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Quelle est la différence entre Dieu et un médecin ?
Article du 10 septembre 2002

Cette chronique fut ma seconde intervention quotidienne sur l’antenne de France Inter, en 2002. Elle provoqua de nombreuses réactions et donna le ton de tout ce qui allait suivre.

Chronique du 10 septembre 2002, reprise dans Odyssée, une aventure radiophonique, Le Cherche Midi, 2003

***********

Pour amorcer la pompe, le docteur Zaffran, auditeur de France Inter et généraliste dans la Sarthe, m’a adressé une question plutôt difficile :

" Quelle est la différence entre Dieu et un médecin ? "

Et pour y répondre, je me suis transporté à Valenciennes où a eu lieu l’histoire suivante. Une femme entre à l’hôpital pour accoucher. Elle est Témoin de Jéhovah et annonce d’emblée qu’elle ne veut pas de transfusion. Après son accouchement, elle fait une hémorragie. Contre sa volonté, les médecins la transfusent. Or, la loi sur les droits des malades votée en mars 2002 précise que " Le médecin doit respecter la volonté de la personne après l’avoir informée des conséquences de ses choix. " Les médecins ayant l’intention de la transfuser de nouveau, la patiente fait appel à la justice et le tribunal administratif, constatant que la patiente ne court pas de danger immédiat nécessitant une transfusion urgente, somme l’hôpital d’arrêter les transfusions. Aussitôt, le corps médical français, conseil de l’Ordre en tête, proteste : " C’est inadmissible ! Nous ne pouvons pas laisser les gens mourir ! Le tribunal aurait dû donner raison aux médecins ! "

Bien sûr, le " corps " médical est un groupe très hétérogène. Je suis donc persuadé que tous les médecins ne sont pas de l’avis du conseil de l’Ordre, et voici pourquoi :

D’abord, il me semble que la loi sur les droits des malades a été votée pour protéger les patients, pas pour faire plaisir aux médecins. De plus, s’élever contre cette loi, c’est hypocrite car on ne peut pas dire que la profession n’ait pas été consultée. Figurez-vous que la plupart des quelques députés présents dans l’hémicycle le jour du débat étaient médecins. Le problème des transfusions a même été évoqué précisément mais, pour tourner la difficulté l’un des médecins présents a déclaré en substance (la chose m’a été rapportée par un témoin direct ) : " C’est pas grave. S’il saigne, vous transfusez quand même et vous ne dites rien. " Manque de pot, dans le cas présent, les médecins se sont fait prendre, et les juges les ont désavoués. Ben oui, les médecins ne sont pas au-dessus des lois, même quand ils les ont votées.

Ensuite, je trouve malhonnête d’affirmer que ne pas transfuser cette patiente c’était la laisser mourir, ou que c’était de la " non-assistance à personne en danger ". La non-assistance, ça consiste à ne rien faire du tout. Évidemment, ne pas transfuser, ça exposait la patiente à des complications et peut-être à la mort, mais ça n’empêchait pas de la soigner. De plus, la patiente avait prévenu qu’elle ne voulait pas de transfusion. Or, une hémorragie après un accouchement, c’est la hantise de tous les obstétriciens. Rien n’empêchait donc de surveiller cette femme de très près pour agir au moindre doute et éviter d’avoir à la transfuser. Est-ce qu’on lui a proposé de la surveiller de près ? Je l’ignore, j’aimerais bien le savoir. J’aimerais être sûr qu’on ne s’est pas dit, en la voyant arriver : " Elle est témoin de Jéhovah ? C’est pas grave. Si elle saigne, on transfuse quand même et on ne dit rien ".

Personnellement - et je rappelle que je suis médecin - je ne crois pas que la mission du médecin soit de " sauver des vies ". C’est un peu vaniteux de prétendre sauver des vies. Le boulot du médecin consiste plus modestement à soigner, ce qui n’est déjà pas mal du tout. Souvent, les soins permettent aux malades de guérir. Ça ne transforme pas les médecins en surhommes, ça ne leur donne pas le droit de faire tout et n’importe quoi et surtout, ça ne leur confère aucune supériorité morale ou éthique. Si le simple fait d’être médecin rendait moralement irréprochable, il n’y aurait jamais eu de médecin nazi.

La vie et la mort sont des choses beaucoup trop sérieuses pour être laissées à la seule discrétion des médecins. C’est ce qu’on pense depuis longtemps dans tout plein de pays " sous-développés " comme le sont la Suède, l’Angleterre, la Hollande, les Etats-Unis, le Canada...

En France, pays des lumières, on entend encore des gynécologues refuser de prescrire une contraception aux femmes qu’ils trouvent " trop jeunes pour avoir des rapports sexuels ", on voit encore des chirurgiens stériliser des personnes handicapées à la demande de leur famille, et il y a quelques jours, un cardiologue hospitalier interdisait à un vieillard suffoquant l’accès de son établissement parce que le patient avait plus de 90 ans. (Toutes ces anecdotes sont authentiques. Hélas.)

Grâce à la loi de mars 2002, au moins, les patients ont leur mot à dire. C’est inestimable et, franchement, si ça doit défriser quelques médecins mal embouchés, ce n’est pas dramatique.

Alors, avez-vous trouvé la différence entre Dieu et un médecin ?
Eh bien, c’est simple : Dieu ne se prend pas pour un médecin !

Le texte de la loi du 4 mars 2002


Note :
Le 11 septembre 2002, pour cause d’émission spéciale, il n’y eut pas de chronique. Mais ce jour-là le standard de France Inter fut assailli par un grand nombre d’appels très agressifs venus de personnes - le plus souvent médecins de leur état - qui n’avaient pas du tout apprécié la chronique de la veille. Le même jour, un membre de la rédaction de France Inter m’appela pour me donner son sentiment personnel sur cette chronique. Pour le résumer en deux mots : il était d’accord avec le fond, à deux restrictions près : ma remarque sur les médecins nazis était superflue et je n’aurais pas dû mentionner que la patiente était témoin de Jéhovah car, pensait mon interlocuteur, c’était faire une publicité excessive à un groupe religieux que la France considère comme une secte.

Je lui répondis que c’était précisément l’appartenance de cette patiente à un groupe controversé qui rendait l’anecdote signifiante. Aurait-on eu la même attitude (médecins et médias en auraient-ils parlé de la même manière ? ) si la femme avait refusé la transfusion par peur de la contamination, par exemple ? Probablement pas. À mes yeux, peu importe que la patiente fût Témoin de Jéhovah ou Athée-oh-grâce-à-Dieu. Ce qui était en jeu, c’était sa liberté de dire non à un traitement administré en dehors de toute urgence vitale immédiate. Et puis, je ne voyais pas pourquoi j’aurais caché les convictions religieuses de cette patiente, alors que tout le monde les connaissait déjà. J’aurais eu l’air un peu bête, non ?

Cette chronique me valut un nombre impressionnant de courriers électroniques et manuscrits. Beaucoup de correspondants me reprochaient violemment de " compliquer le travail des médecins ". D’autres, en revanche, me remerciaient d’avoir pris le parti de la patiente. Et ceux-là n’étaient pas tous Témoins de Jéhovah, loin s’en faut.

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