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Le médecin patraque, 3
Ouf : j’avais peur, mais ce n’est qu’un cancer !
Article du 13 décembre 2010

Le médecin patraque est un médecin écrivain de grande expérience. Sa dernière expérience en date : un cancer. Il nous en parle à tous, médecins et non-médecins. MW
PS : Oui, c’est un médecin réel (et non, ce n’est pas moi) Son pseudonyme est destiné à lui permettre de prendre du champ.


Comment rassurer un cancéreux ? La question n’a sans doute pas de sens, car il n’est pas évident qu’il soit possible, ni même utile, de rassurer à tout prix quelqu’un qui se trouve dans une situation qui n’a rien de rassurant, et nous avons déjà vu (chronique 1) que mentir, ne serait-ce que par dissimulation ou atténuation d’une part de la vérité, aura l’effet inverse, surtout sur un médecin ; disons plutôt « tenter d’aider à vivre sans angoisse une situation plus ou mois (selon les cas) mais toujours angoissante ». Là encore, ce que je dirai ici ne s’applique peut-être qu’à ma personnalité, mais je ne peux pas parler au nom des autres.

Ecartons tout de suite les cas extraordinaires que tout un chacun, médecin ou pas, s’est cru obligé de me raconter, avec les meilleures intentions du monde, de gens ayant eu des cancers très évolués et métastasés, et qui mèneraient aujourd’hui une vie tout à fait normale, feraient du sport de haut niveau, etc. ; tout juste s’ils ne donnent pas des concerts de piano à Pleyel alors qu’avant leur cancer, ils ne savaient pas en jouer : même si ces histoires sont authentiques, on se doute quand même, sans être cancérologue, qu’elles ne sont pas la règle... D’où, effet inverse garanti de celui qu’on recherchait.

On peut, d’abord, s’aider soi-même, et l’attitude que j’ai adoptée s’est révélée efficace : j’ai décidé non seulement de parler de mon cancer à tous mes amis, de façon très naturelle, sans en faire un fromage, et sans m’appesantir non plus sur ce sujet ; mais aussi d’en parler toujours avec humour, fût-il parfois macabre, jusqu’à réussir à les faire rire ; ce comportement m’a non seulement définitivement condamné à ne plus pouvoir en changer, pour ne pas tomber dans le ridicule (« Il faisait son malin, mais il craque maintenant, comme tout le monde »), mais l’humour, qui est toujours un recul, m’a installé dans une prise de distance vis-à-vis de moi-même maintenant très apaisante, un peu comme s’il s’agissait des ennuis de quelqu’un d’autre ; et cette relativisation fonctionne assez bien.

Et puis, il y a la structure dans laquelle j’ai été soigné, dont la nature a joué un rôle inattendu.

Les circonstances ont fait que je suis soigné dans une très grande structure hospitalière (j’y reviendrai dans une autre chronique), de 400 lits, soignant chaque année 45 000 patients, et exclusivement consacrée au cancer. Ce n’est pas le petit « Pavillon des cancéreux » de Soljenitsyne, mais une grande tour, dans laquelle on sait que tous les patients qu’on y croise, sans exception, sont des cancéreux, de l’homme apparemment en pleine forme, souriant et sûr de lui qui manifeste son dynamisme en ne lâchant pas son téléphone portable, au malade qui n’a que la peau et les os qu’on transporte en civière et qui donne le sentiment de ne plus en avoir pour longtemps. Dans cette véritable « cité du cancer », qui s’appelle « Institut du cancer » pour lever toute ambiguïté, le non-dit et les longues périphrases classiques (« une longue et pénible maladie », « des cellules qui se multiplient de façon anarchique », etc.) n’ont plus leur place, et « cancer » n’est plus le mot-tabou qu’on ne prononce qu’en chuchotant avec des airs de conspirateur, comme si le seul fait d’en parler pouvait déclencher la maladie chez celui qui ose cette transgression supersticieuse. Du coup, on cesse d’être le malchanceux sur lequel la foudre est tombée, on est un « cancéreux normal » parmi des milliers d’autres, et la banalisation de cette maladie chasse définitivement les siècles de malédiction divine et d’angoisses millénaristes que ce mot traîne avec lui.

Et puis, il arrive qu’on y croise des enfants cancéreux, souvent enjoués et mutins comme tous les enfants ; et la seule vue de ceux qui devraient avoir toute une vie devant eux, alors que, cancer ou pas, j’ai l’essentiel de la mienne derrière moi, suffit à mettre fin à toute velléité d’apitoiement sur mon propre sort : cancer ou pas, l’âge oblige à conserver un minimum de dignité envers soi.

Le médecin patraque

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