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Une journée de travail...
par Suki, du réseau DÉesCAa
Article du 18 mai 2012

Une journée de travail... C’est une journée que tout le monde rencontre dans sa vie... N’est ce pas ?

Pour moi une journée de travail peut être synonyme de diverses choses, de plutôt sympathiques au demeurant, à cauchemardesque... J’ai parfois eu des emplois qui me plaisaient, bien sur, surtout les emplois où j’avais ma journée préétablie, avec des taches précises et que je maitrisais, ces type de journée étaient idéales, presque...

Je me levais avec un certain plaisir, pour aller accomplir ce que je savais faire, qui ne m’apporterait donc pas trop de surprise, et je pourrais faire preuve de professionnalisme, me sentir utile a l’engrenage de l’entreprise... Comme une petite goutte d’huile...

Certains jours, tout s’embrumait dès le matin, un départ chaotique, des rencontres imprévues et surtout une journée qui ne s’annonce pas aussi prévisible... Et tout bascule.

Malgré tout j’ai toujours tenu a faire de mon mieux, en toutes circonstances bien sur.


Déjà le matin, lorsque tous les collègues arrivent, cette sacro sainte blaguounette du matin on ne sait pourquoi, il faut qu’on en rit. [1] et toute l’équipe joyeuse de renchérir... Sur le pauvre Christophe, par exemple, qui se plait au jeu. A t-il eu le malheur d’arriver avec un vêtement dit passé de mode, ou de trébucher... Et chaque matin de la semaine le refrain sera tout trouvé...

Mais on sent la bonne humeur ambiante et c’est ça qui compte.

Personnellement, lorsque j’arrivais au travail, je savais que j’allais au devant de certains écueils, mais à force de travail personnel, j’avais appris à les esquiver avec panache... Presque.

Je vais raconter là une journée que j’ai pu connaitre, par exemple, une journée au hasard...

Une journée d’aspie au travail.

Une arrivée matinale donc, un bref arrêt devant la porte de la salle où je vais devoir partager mon lieu de vie avec 9 autres collègues en pleine forme et toutes neurotypiques.

Je respire une grande bouffée... Et j’entre. Je connais les priorités : la supérieure d’abord [2] puis les collègues ensuite, en chœur pour éviter les bises matinales qui déjà me stressaient au départ. Ensuite si une autre collègue arrive elle s’arrête joyeusement a chacune pour faire la bise et j’ai toujours cet air perdu, un peu hagard... [3] et je tente de prendre une contenance.

Ensuite la journée démarre. Je prends mes quartiers avec des tâches définies si tout va bien, j’attends fébrilement les tâches si tout va mal.

Je travaille... Une fois dans l’action, mon attention est entièrement prise le plus souvent.

À vrai dire, je ne suis pas trop gênée par les discussions alentours... Des collègues toutes charmantes mais très bavardes parfois. Je saurais tout, malgré moi, du malaise du petit dernier de chez Agathe, qui a vomi toute la nuit... Des adresses de bon pédiatres que Claudine s’empressera de lui donner, sur un post-it...

Puis j’entendrai les rires rythmer la matinée, sur des gentilles blagues attendues mais sympathiques [4] tout en restant concentrée au maximum sur mon ordinateur...

L’heure redoutée arrive et, une par une, les collègues se lèvent... C’est la pause. Rien que l’évocation de ce mot peut me rendre mal a l’aise... Ce moment qui évoque plutôt en général un arrêt, un ressourcement, je le vois autrement aujourd’hui....

La grande table, ovale, afin que tous puissent être vus, s’érige là au milieu de la salle de pause, et je ressens la nervosité du matin, en plus accentuée...

Je prépare ma tasse... J’y pose le thé... [5] et j’attends que l’eau boue, en général seule dans un coin car j’ai une envie irrépressible de regarder dehors !!

Ahh le ciel !! Mon ami ! Les oiseaux... Les arbres... Que je vous aime dans ces cas là !... Même le ballet des passants dans la rue me distrait... Les couleurs et les scènettes...

Les discussions vont bon train. Oui, Mme T a eu sa promotion, tout le monde s’y attendait, mais on est heureux pour elle... Sylvie a amené le catalogue tant attendu des collègues pour sa robe de mariage qui aura lieu en juillet... Et toutes se pâment devant ces robes « magnifiques », et y vont de leur petits conseils... Elles, quand elles se sont mariées... Etc.

Et puis il y a Christophe, un des seuls homme du bureau, qui aura lui la place du chef de table, du « coq ». D’un humour caustique, il ira titiller ces demoiselles et dames de ses stéréotypes sexistes mais pas trop, qui feront bondir mais pas trop. Les damoiselles... Tout le monde rit, est bien ensemble. Cela les ressource... Les rassemble... On sait tout de tous... Chacun pose son trop plein.

Sauf que...

Moi, je fuis ce type de chose, comme la peste, et je n’aspire qu’à une chose, la solitude !! S’il vous plait, comprenez que je ne ressens pas le même besoin d’être ensemble que vous...

Je tourne nerveusement ma cuiller dans ma tasse et me réfugie près de la fenêtre... Les rires de la table ne m’atteignent plus, je les mets en stand-by et je me réfugie dans ma bulle à moi.

Un mois à ce rythme et déjà, je ressens un début de chuchotement derrière moi lorsque je passe.

« c’est elle qui est tout le temps seule. Elle cause pas beaucoup...elle est bizarre, non ? »

De fil en aiguille, on en arrive à ne plus avoir envie de me parler, sauf pour le travail... Et c’est très bien ainsi.

Sauf que, ca n’est pas parce que j’ai du mal à m’exprimer au milieu du groupe joyeux que je suis une rabat joie et que je ne comprends pas ce qui est dit... Et ça c’est parfois dur a faire entendre...

Je respecte profondément tout ce mode de fonctionnement qu’est le votre... Je comprends très bien que vous ayez ces envies et besoins qui ne sont pas les miens. J’ai toujours eu la chance d’avoir des collègues formidables d’ailleurs...

Mais je ne partage pas ce mode de fonctionnement, ce qui ne fait pas de moi un monstre.

La matinée suit, se ressemble, et sonne le tocsin du repas. Le tocsin car, pour moi, ça en est un...

Ah le repas est tout une « expérience » pour moi. Je ne peux plus manger avec mes collègue... C’est une énergie effroyable dépensée à chaque tentative. [6]

Les phrases sortent de leurs bouches, comme robotisées, jour après jour, du même acabit, du même genre, toujours la vie de Julie, les problèmes de voiture de Jacques, la construction de la maison de Agathe... Et chaque jour ce seront les thèmes en déclinés...

Au début j’ai pu ,oui. j’ai timidement participé. Mais j’ai vite arrêté car cela me prenait toute mon énergie pour le reste de la journée et j’en avais besoin pour travailler... D’où des erreurs en fin de journée, des fins de journée difficiles... Piquer du nez... Et trop pleins de sensations amassées.

Alors, je les laisse. Poliment, je leur souhaite un bon appétit, et sort me ressourcer dehors, près d’un arbre. Seule. Délicieusement seule...

Car là, je récupère « l’énergie du dehors », je suis certes soumise aux bruits extérieurs [7] mais je suis si bien... Je suis dans ma chère bulle à moi. Je pense à des choses à moi... J’entends de la musique à moi...

L’après midi se passera en général sous le même schéma, avec la pause incluse, mais je perdrai petit a petit de l’efficacité-rapidité au fur et à mesure. [8]

Parfois lorsque je suis dans, cet état de travail et réflexion, et que tout le monde parle, je peux faire de mini crises d’angoisse si il faut que j’utilise le téléphone par exemple.

Très difficile. Le cœur se met a battre sauvagement... Je tremble et le plexus se bloque... Je vais donc envoyer un mail. Les collègues, elles utilisent avec joie cet instrument... En observant du coin de l’œil que moi, non...

Lorsque je pénètre dans la salle, après la pause de l’après midi, elles sont toutes déjà au travail, j’ai toujours une sorte de de rythme personnel en décalage avec elles... Elles s’y sont habituées...

Mais je ressens ma bulle très fortement autour de moi, qui m’empêche d’interagir avec elles comme je l’aimerais parfois. J’y suis comme prisonnière, tout en y étant protégée. C’est difficilement descriptible... Je ressens fortement cette barrière invisible qui fait que j’ai l’impression comme dans la vie, de vivre ma journée à coté d’elles, à coté de leur vies, mais sans être dans le même univers.

Je perçois chaque blague comme un élément extérieur auquel une réaction est attendue... Je donne une réaction... Ou pas selon.

Je vais régulièrement aux toilettes pour juste... Tomber le masque lourd, être moi, juste 2 min, souffler longuement, reprendre une grande respiration, et retourner dans « l’arène productive ».

Voilà... Je ressens parfois mes journée de travail comme cela et, là, ce n’est qu’un exemple.

Malgré des collègues souvent adorables et parfaitement sympathiques je ne peux que constater mon incapacité a être parmi elles, mais juste à les accompagner dans leur vie, au bord de leur vie tout comme dans ma vie d’ailleurs en général...

Je suis au bord des autres.

J’aimerai juste être acceptée sans tricher, pour ce que je suis, ce que je peux et veux donner, en terme d’emploi... Et être enfin moi, aspie, HPI, et pas sur-adaptée... Ni bizarre ou étrange. Juste moi.

J’arrive en règle générale épuisée à la maison où m’attend ma seconde journée habituelle des mamans... Avec les enfants... Atypiques, comme maman...

Mais celle là, je la raconterai une autre fois.

Pour commenter cet texte, rendez vous sur le fil dédié dans le réseau DÉesCAa.

L’inscription au forum est nécessaire pour intervenir. Tous les membres le peuvent y compris les non autistes.

Les non autistes doivent impérativement sélectionner le groupe « curieux, entourage et famille » lors de leur inscription. Ce groupe leur donne à titre exceptionnel des droits d’accès réduits au site qui est réservé aux échanges entre personnes autistes.

Merci de m’avoir lue ! :-)
La semaine prochaine... Le témoignage d’Updating-Boy
Un contrat en alternance pour mon Master en étant Asperger ?


[1il faut que quelqu’un en fasse les frais aussi...

[2bonjour avec un sourire poli

[3euh je dois faire quoi...

[4j’irais de mon rire timide parfois, pour montrer mon appartenance au groupe...

[5en sachet...

[6moi qui suis anorexique, en plus, et ne peux manger en présence d’autres... Sauf cas rares.

[7voitures, gens qui passent et me regardent manger seule, « la pauvre... »

[8je ne parle pas, mais je le ferai, de l’intervention éventuelle d’un imprévu et d’une obligation importante d’interaction avec un supérieur... Etc.

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