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"Les Trois Médecins" : un roman d’aventures et de formation (médicale)

Le blogue de Martin Winckler (Dr Marc Zaffran) - PasseportSanté.net

pla.ce.bo

Pour ceux qui s’intéressent au sujet, voici un excellent site consacré au placebo.


Le médecin et le patient nouveau - Entretien avec MZ pour Passeportsanté.net

Entretien donné à Passeportsanté.net (site québecois de santé) en 2008 autour des relations soignant-soigné.


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Edito
Souvent, soigner c’est facile
par Marc Zaffran/Martin Winckler
Article du 20 septembre 2013

Grâce à Vincent Berville (qui le raconte sur une autre page), j’ai ouvert ce site en 2003. Très vite, je l’ai alimenté en articles consacrés à la contraception. Pendant cinq ans, j’ai reçu beaucoup de messages à ce sujet. Des messages qui parlaient du cycle et de ses « anomalies », de la sexualité, des craintes et questions de leurs auteurs. Plus de dix mille, si mes calculs sont exacts. Je me suis inspiré d’un grand nombre de ces messages pour le chapitre « Polyphonie » du Chœur des femmes.

Pendant plusieurs années, j’ai répondu à un grand nombre de ces messages. Près de 95%, je pense. Il est arrivé un moment où je n’ai plus pu répondre, et où je me suis rendu compte que beaucoup de questions se répétaient. C’est bien naturel : tous les jours, des femmes se posent des questions qu’elles ne s’étaient pas posées auparavant, et dont personne – pas même les femmes qui les entourent – ne leur a parlé. Elles surfent, elles tombent sur des sites qui abordent plus ou moins ces questions, et certaines trouvent mon site, les articles, l’adresse courriel. Et m’écrivent sans avoir pris le temps de chercher les réponses sur le site ou, l’ayant pris, sans avoir trouvé de réponse à celle qui les tracasse le plus.

Alors je n’ai pas été très étonné de voir les mêmes questions réapparaître périodiquement. Penser que si l’on répond une fois, on répond à tout le monde, c’est idiot ou vaniteux. J’ai essayé de répondre à un grand nombre en colligeant les questions et les réponses, en les anonymisant, et en les publiant dans une rubrique spéciale. Mais même ça n’a pas suffi. Et ça ne peut jamais suffire. D’abord, parce qu’une seule personne ne peut pas répondre à toutes les questions (je sais beaucoup de choses, mais mon ignorance est bien supérieure à mes connaissances) ; ensuite parce qu’il est parfois difficile de trouver « LA » réponse qui convient à une question personnelle. Tout simplement parce que la manière dont la question est formulée ne recouvre pas toujours la complexité des interrogations sous-jacentes. « Pour poser une bonne question », ai-je lu il y a longtemps dans une nouvelle de SF, d’Isaac Asimov ou de Robert Sheckley, « il faut connaître une bonne partie de la réponse ».

Autrement dit : il m’est arrivé plus d’une fois, en toute bonne foi, de répondre « à côté » parce que je n’avais pas compris la question. Souvent, la personne qui s’adresse à moi (et c’était vrai aussi en consultation) s’avance avec un pré-texte. Littéralement. Une question-test, destinée tout à la fois – et, souvent, de manière non délibérée – à tester sa propre formulation, ma compréhension et surtout ma réaction. « Je vous pose cette question, sans savoir si je pose une bonne question et si ça va vous intéresser d’y répondre. »

Quand j’étais jeune médecin, je prenais les questions au premier degré. J’étais bienveillant mais un peu bête. Je pensais que les patients parlaient le même langage que moi. Non, pas le langage des médecins, que je m’efforçais de bannir de mon vocabulaire, mais le même langage humain. Je ne savais pas que communiquer est un miracle : nous utilisons les mêmes mots, mais ils ne veulent pas dire la même chose pour chacun(e). Il m’a fallu beaucoup d’erreurs avant de me mettre à dire que je n’étais pas sûr de comprendre (je craignais d’avoir l’air bête ou offensant), et de m’engager dans ce processus d’abord un peu long puis de plus en plus rapide, qui consiste à recevoir une question, à la reformuler pour être sûr qu’on parle de la même chose, et de travailler avec mon interlocuteur/trice à un véritable accord sur la nature du problème soulevé.

Le premier motif de consultation c’est la peur

Avec le temps et beaucoup de séances de groupe Balint, j’ai fini par subodorer que derrière les questions/rationalisations de convenance se cachent, avant tout, des sentiments. « Est-ce qu’il est normal que je ressente ceci ou cela » veut aussi souvent dire « SUIS-je normal(e) » que « Suis-je malade ? ». Le principal motif de consultation (et donc, de question) est avant tout la peur et tous ses degrés - de l’inquiétude passagère à la grande bouffée d’angoisse. Et la peur naît, avant tout, de l’ignorance. Attention, quand j’utilise le mot « ignorance », je ne lui associe aucune étiquette morale. Ignorer, c’est ne pas savoir. Un point, c’est tout. Nous sommes tous des ignorants, jusqu’à ce que nous sachions un peu ou beaucoup de choses dans les innombrables domaines du savoir. Et l’ignorance n’est pas, en soi, répréhensible, risible ou criminelle. Ce qui peut l’être, c’est la volonté délibérée de rester ignorant(e). C’est pour cette raison que j’aime souvent dire : « Il n’y a pas de question stupide. » Une question, c’est fait pour obtenir une réponse. Donc, pour ne pas rester ignorant. (Oui, il y a des questions méchantes, des questions-piège, des questions tordues, mais on va laisser celles-là de côté pour le moment).

Quand un homme ou une femme me posent une question, la première chose qui me vient à l’esprit est souvent : « Voilà quelqu’un qui cherche à savoir. Donc, à s’affranchir de la peur. » Je ne trouve jamais ça stupide.

Hier, par exemple, j’ai reçu un message d’une internaute me posant la question suivante : « J’étais enceinte. Tard dans son évolution, ma grossesse s’est interrompue. Quand je suis sortie de l’hôpital, on m’a prescrit un traitement pour « faire revenir mes règles ». Deux mois ont passé et elles ne sont toujours pas revenues. Est-ce normal ? Que dois-je faire ? »

Pour cette femme, c’est une situation compliquée : elle a perdu sa grossesse, ce qui est déjà un traumatisme important ; on lui prescrit un traitement pour tout ramener à la normale, et ça ne marche pas.

Inévitablement, cela suggère que quelque chose d’inquiétant succède à l’événement, déjà très pénible, d’une grossesse qui s’interrompt. Cela lui donne à craindre que cette expérience l’a changée de manière peut-être irrémédiable. Si ses règles ne reviennent pas, cela signifie-t-il qu’elle ne sera plus jamais enceinte ?

De mon côté, en lisant son récit, je peux puiser dans ce que je sais pour lui répondre très vite : lorsqu’une grossesse a pris fin, que ce soit très tôt (fausse couche spontanée du premier trimestre) ou tard (accouchement à terme), il peut se passer plusieurs semaines ou plusieurs mois avant que le cycle habituel de la femme concernée reprenne. Et cela, en l’absence de toute anomalie. Tout simplement parce que le corps prend du temps pour retrouver son équilibre. Et il attend aussi souvent que le cerveau l’ait retrouvé. Le temps travaille pour nous. Beaucoup de médecins ont tendance à l’oublier et à vouloir tout accélérer. Ils ont tort. Ils aggravent les choses.

Un soignant qui connaît son métier prévient les femmes enceintes que leur « retour de couches » peut prendre un certain temps, surtout si elles allaitent, sont fatiguées, ont d’autres enfants à la maison, sont angoissées par la reprise du travail ou les soucis de santé de leurs parents ou les difficultés professionnelles de leur conjoint, etc. Et une fois qu’il les a prévenues, il évite de leur prescrire le moindre traitement, car d’une part c’est inutile, d’autre part, si le traitement a la moindre action pharmacologique, il risque d’interférer avec la reprise spontanée du cycle…

Expliquer, c’est soigner

J’ai expliqué ça à cette internaute en lui disant qu’il n’y avait pas de danger pour elle à cesser le traitement et à s’armer de patience. Elle m’a répondu très vite qu’elle se sentait déjà mieux.

Soigner, c’est simple : ça commence par écouter les questions et leur donner une réponse sensée, une réponse vraie, une réponse précise – car ce genre de réponse rassure. Et, le plus souvent, soigner ça commence par rassurer.

Beaucoup de professionnels ne le font pas. Ils ont tort. Ils peuvent se trouver toutes les explications du monde, ils ont tort. On a toujours tort de ne pas rassurer. Rassurer, ce n’est pas mentir. Ce n’est pas cacher. Ce n’est pas minimiser, c’est dire : "Vous n’êtes pas seul." C’est dire : "Vous n’êtes pas désarmé, et je vais vous soutenir." C’est dire : "Dans les situations les plus graves, il y a toujours quelque chose à faire." Et, contre la peur, il y a TOUJOURS quelque chose à faire.

Certains diront : « Oui mais on ne peut pas toujours rassurer, il y a quand même des gens qui ont des choses graves et fatales ! »

Certes, mais :

1° l’immense majorité des personnes qui posent des questions aux médecins ne sont pas menacées de mort, ni de souffrir d’une maladie grave. On peut déjà rassurer celles-là, ce qui contribuera aussi à faire baisser l’angoisse de leur entourage. Le principal ennemi des soignants, à l’heure actuelle, c’est le terrorisme ambiant - politique, commercial, professionnel - consistant à faire croire à tout bien portant qu’il est un malade qui s’ignore (comme le faisait très efficacement Knock dans la pièce de Jules Romains).

2° on ne soigne pas les gens en partant du principe que tout est toujours grave. Ce n’est pas une attitude scientifique, c’est une attitude d’obscurantisme. Et c’est du terrorisme. On soigne en partant du principe que la peur doit être combattue par le savoir y compris la peur du soignant, car la peur compromet toute décision sensée. O, soigne en affirmant que lorsqu’on prend la peur en compte, on comprend mieux ce qui se passe ; quand on répond aux questions, on aide le premier intéressé à comprendre et à ne plus subir cette peur ; et lorsque la peur s’estompe, tout le monde peut prendre des décisions raisonnables.

3° même quand quelqu’un a une maladie grave, il y a que de bonnes raisons de lutter contre les angoisses parasites - il y en a toujours - qui rendent sa situation encore plus intenable.

La peur est une douleur

Quand un homme entre dans un hôpital avec une douleur intense et inconnue, il faut analyser cette douleur pour en comprendre l’origine. Mais on n’analyse pas une douleur sans l’avoir d’abord apaisée, tout simplement parce qu’une personne qui souffre intensément est dans l’incapacité de donner des indications sur qui le fait souffrir. La démarche rationnelle est donc, d’apaiser la douleur et de chercher sa cause simultanément. Donner un antalgique (un médicament contre la douleur) est, en soi, une démarche diagnostique : toutes les douleurs ne sont pas soulagées par tous les antalgiques. Donc, la réaction de l’individu à l’antalgique est déjà une indication. Soulager, même sans savoir tout de suite ce qu’on soulage, c’est déjà soigner.

De ce qui précède, j’ai fini par conclure que la peur devrait être traitée comme une douleur. Car la peur est toujours présente, que l’on souffre physiquement ou non, elle accentue le malaise général de la personne malade.Elle compromet la réflexion et la prise de décision. Pourquoi croyez vous que les gens vont consulter un médecin, un guérisseur ou une tireuse de cartes ? Parce qu’ils ont peur, pardi ! Ceux qu’ils consultent ont deux attitudes possibles : profiter de leur peur (en les faisant payer le plus possible) ou l’apaiser. Deux attitudes incompatibles.

Il n’y a pas de question stupide

Chaque fois que je reçois une question, même si je pense que le problème n’est pas grave en soi, je ne néglige jamais de prendre en compte la peur qui l’accompagne. Quand je ne comprends vraiment pas ce qui se passe (et oui, ça m’arrive régulièrement), j’en reviens toujours à une question simple : « Qu’est-ce que vous redoutez ? Qu’est-ce qui vous inquiète ? » Et, croyez-le ou non, la réponse vient très vite. Quand on sait d’où vient la peur, elle est beaucoup plus facile à combattre.

Poser des questions, c’est s’efforcer de sortir de la nuit. S’efforcer d’y répondre, c’est partager la lumière. Il ne peut pas y avoir de question stupide. Il ne peut y avoir que des manières stupides ou méprisantes ou malveillantes de les entendre.

Le savoir est un antalgique ; le partager est une obligation morale

C’est un antalgique paradoxal : « Qui accroît sa science accroît sa douleur », disait L’Ecclésiaste. Et c’est vrai : plus on sait de choses, plus on se sent écrasé par son ignorance et sa futilité. Mais c’est une question de perspective. Je ne sais pas assez de choses pour changer le monde, mais j’en sais assez pour aider mon voisin, ma voisine (mon « prochain », dirait la bible) à dérouiller un peu moins. Tout le savoir qui figure sur ce site a seulement cet objectif : éclairer les zones d’ombre, balayer les préjugés et les dogmes qui pourrissent la vie, faciliter les choix.

Tous les soignants devraient mettre leur savoir à la disposition des souffrants pour les aider à comprendre eux-mêmes ce qui se passe et à prendre des décisions en conséquence, au lieu de leur balancer des explications expéditives et des traitements inutiles en disant « Ce n’est rien, prenez ça et ça va passer » et en laissant entendre au patient que, si ça ne passe pas, c’est parce qu’il y met vraiment de la mauvaise volonté.

Tous les soignants devraient avant tout s’occuper de la peur des souffrants, de leurs inquiétudes pas toujours liées à leur état. (Beaucoup de malades s’inquiètent d’abord pour leur entourage et ne sont pas pris au sérieux, ce qui accentue leur anxiété et leur souffrance.) Et commencer par traiter cette peur par le respect, et non par le mépris.

Prendre la peur en compte, beaucoup de professionnels de santé le font du mieux qu’ils peuvent, mais ceux qui ne le font jamais, hélas, sont beaucoup plus nombreux. Les premiers sont des soignants. Les autres, non. Et ils n’ont aucune excuse.

Ils n’ont aucune excuse, car leur savoir ne leur appartient pas. Le savoir appartient à tout le monde, et celui qui dispose d’un savoir susceptible d’aider les autres à mieux vivre a l’obligation morale de le partager. Garder le savoir pour soi, c’est se comporter en privilégié. C’est c’est en faire un instrument de pouvoir et de domination. Pour un dictateur, c’est logique. Pour un professionnel de santé, formé pour soigner et non pour excercer un pouvoir, c’est contraire à l’éthique. C’est même crapuleux.

Ils n’ont aucune excuse même et surtout quand ils ne savent pas : être un professionnel de santé, c’est avoir accès aux outils du savoir, à ses sources, aux personnes qui permettent de le comprendre. Quand on est un professionnel de santé, on a les moyens de poser les bonnes questions et d’obtenir les réponses. Et ne pas savoir n’est jamais une excuse pour refuser d’apprendre.

Ils n’ont aucune excuse car soigner, souvent, c’est facile ; il suffit de deviner ce qui soulagerait l’autre et lui ferait du bien : l’écouter, l’aider à comprendre, répondre à ses questions (ou chercher les réponses pour lui), le rassurer, le soutenir. Et il n’y a pas grand effort à faire pour deviner de quoi les autres ont peur : leurs peurs sont les mêmes que les nôtres.

Marc Zaffran/Martin Winckler

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