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Réflexions
L’hymen, mythes et réalités - rappels anatomiques et réflexions éthiques
par Marc Zaffran/Martin Winckler
Article du 1er juin 2014

A l’occasion d’une demande d’information sur la contraception, une jeune femme me pose également des questions sur l’hymen : est-ce que la pose d’un diaphragme pourrait le perforer ? Et si oui, comment se fait-il qu’on peut mettre des tampons sans le perforer ?

Après lui avoir répondu succinctement, je me suis mis à réexplorer la question, qui n’est pas aussi anodine pour certaines femmes qu’elle peut le sembler aux yeux des médecins.

Ceci est une suite de réflexions suscitées non seulement par l’échange mentionné ci-dessus, mais aussi par la lecture d’une revue de presse scientifique datant de 2012.

1° Qu’est-ce que l’hymen ?

C’est une membrane le plus souvent très fine qui obture partiellement l’orifice externe du vagin chez le nouveau-né de sexe féminin. Dans le monde occidental, la recherche de sa présence à l’âge adulte (et, plus spécifiquement, au jour du mariage, en tant que « preuve » de la virginité antérieure de la femme) date du Moyen-Age, époque où le Christianisme prônait la chasteté absolue avant la nuit de noces. Aujourd’hui, c’est principalement dans les pays musulmans que sa persistance chez la femme est importante – l’Islam considérant les rapports sexuels hors mariage comme un péché.

2° A quoi ça ressemble, l’hymen ?

A la naissance, quand il existe, l’hymen a généralement un aspect en anneau : la membrane est attachée à la périphérie de l’orifice vulvaire ; entre la naissance et l’âge de trois ans, elle prend un aspect en croissant de lune (la plus grande partie se trouvant à l’arrière de l’orifice, du côté de l’anus). Il y a des hymens qui ressemblent à des passoires, d’autres faits de bandelettes horizontales… Bref, il y a des aspects multiples. Quand l’hymen est circulaire, le diamètre de son ouverture est très variable d’une petite fille à une autre, et ne peut absolument pas être, à lui seul, considéré comme un signe d’abus sexuel, par exemple : en effet, les études scientifiques montrent que le diamètre de l’hymen chez les jeunes filles ayant été abusées sexuellement n’est pas toujours différent de ce qu’il est chez les jeunes filles n’ayant pas subi d’abus. Une fois encore, l’aspect et la taille de l’hymen change avec la croissance, au point d’avoir le plus souvent quasiment disparu à la puberté. Il est en effet constitué d’un tissu souple, dénué de fibres sensitives et de vaisseaux sanguins – et donc peu susceptible de saigner. Ce qui explique aussi qu’il puisse être modifié sans douleur ni autre symptôme chez les petites filles sous l’effet d’activités courantes – la course, le saut à la corde, le balancement en appui, la masturbation… - et, chez les adolescentes et les femmes adultes, par l’utilisation de tampons ou d’une coupe menstruelle.

3° A quoi ça sert, l’hymen ?

C’est la question la plus importante, car elle permet de comprendre en quoi tout ce qui s’attache (!) à l’hymen est fantasmatique. La réponse scientifique est : l’hymen n’a pas de fonction biologique connue. On a postulé qu’il servait, à la naissance et chez le tout petit enfant, à protéger la cavité vaginale et l’utérus des bactéries venues de l’extérieur, en particulier des matières fécales éliminées par le tube digestif, mais ce n’est pas démontré. Il est plus probablement un vestige embryologique, lié à la différence de formation des organes sexuels chez la petite fille et le petit garçon. Pour simplifier : les organes génitaux externes ont, dans l’embryon, les mêmes tissus originels qui se développent symétriquement des deux côtés de l’axe central du corps ; chez le garçon ces tissus fusionnent pour constituer le scrotum (la peau qui entoure les testicules) et se développent extérieurement pour former le pénis ; chez la fille, ils restent partiellement séparés (les grandes lèvres) ou se développent surtout intérieurement (le clitoris, dont on sait à présent que son anatomie neurologique est très étendue mais invisible).

4° Est-ce que la rupture de l’hymen fait mal ?

Probablement pas puisque, encore une fois, l’hymen parfois observable à la naissance ne l’est plus à la puberté sans que la petite fille ou la femme aient été traumatisées. De plus, dans les pays industrialisés, le recours au tampon au moment des règles achève souvent de faire disparaître les derniers vestiges d’hymen quand ils existent encore.

L’absence d’hymen ne signifie pas qu’un premier rapport sexuel ne fera pas mal, mais que lorsqu’il y a douleur lors d’un premier rapport sexuel avec pénétration, elle n’est pas liée à la « rupture de l’hymen ». Et il y a beaucoup d’autres causes possibles de douleur au moment du premier rapport et, entre autres :

 l’inexpérience, la précipitation et/ou la brutalité du partenaire

 l’absence de lubrification vaginale, elle aussi liée à l’urgence, à l’inexpérience mais aussi à la peur ou au fait que le premier rapport est non consenti ou non désiré - on peut consentir sans désir…

 une contracture des muscles qui entourent le vagin et qu’on nomme les « muscles releveurs de l’anus ». Cette contracture est spontanée et, si on tente de la forcer, elle peut être la cause de ce qu’on appelle un « vaginisme », c’est à dire une contracture douloureuse réflexe, qui peut parfois empêcher toute pénétration. A l’opposé, un hymen persistant après la puberté peut parfaitement tolérer un rapport sexuel avec pénétration tout en restant intact – c’est ce qu’on voit parfois chez certaines femmes qui, bien qu’elles aient des rapports sexuels réguliers, ont leur hymen toujours présent.

5° Mais alors, pourquoi est-ce que le premier rapport sexuel fait saigner ?

Là aussi, il s’agit d’un mythe, entretenu par les cultures qui valorisent la virginité.

Un premier rapport sexuel avec pénétration ne fait pas toujours saigner, même s’il est inconfortable ou douloureux (et il ne l’est pas toujours non plus). Mais la vulve est une zone aussi sensible et fragile que l’intérieur de la bouche ; une pénétration trop rapide ou brutale peut provoquer un saignement, comme quand on se brosse les dents ; et, même minime, un saignement sur un drap blanc est toujours spectaculaire. Evidemment, plus la femme est jeune, plus une pénétration peut être traumatique et susceptible de faire saigner. Et de toute manière, si elle n’est pas consentante, il ne s’agit pas d’un rapport sexuel, mais d’un viol.

Il y a aussi des explications non anatomiques, mais culturelles, au « saignement après le premier rapport ». Dans certaines cultures (de la Méditerranée, en particulier), après la nuit de noces, on tend le drap nuptial à la fenêtre pour montrer d’une part que le mariage est « consommé » et d’autre part que la mariée était vierge. Il est bien évident qu’il faut que ce drap soit rougi. Pour que les femmes, les maris (qui ne sont pas tous des brutes) et les familles ne perdent pas la face, les stratagèmes pour « rougir les draps » ne manquent pas. Mais ce type de coutume pérennise le mythe du « premier rapport qui fait saigner en rompant l’hymen ».

6° En résumé, faut-il comprendre que la présence d’un hymen ne prouve pas la virginité, et que son absence ne veut rien dire ?

Exactement. Personne ne peut affirmer ou réfuter la « virginité » d’une femme en se fondant seulement sur l’examen visuel de son hymen... Rappelons aussi que, dans un pays comme la France, la fâcheuse tendance qu’ont les médecins (gynécologues le plus souvent, généralistes aussi parfois) à imposer aux jeunes femmes dès la puberté des examens gynécologiques manuels et des frottis de dépistage contribue, elle aussi, à rendre très relatives les notions de « virginité » et de « préservation de l’hymen ».

(Note pour les médecins qui s’offusqueraient de ce qui précède : Et non, tous les médecins qui font des frottis à des adolescentes n’utilisent pas des "spéculums de vierge" ; et même s’ils les utilisent, un frottis chez l’adolescente est inutile et source d’angoisses injustifiées ; et un toucher vaginal, je ne vois pas comment ça pourrait "respecter la virginité").

Ajoutons enfin que, dans les cultures où l’on valorise la « virginité » vaginale, les femmes qui ont une activité sexuelle (volontaire ou imposée) adoptent ou subissent la pénétration anale pour « rester vierges ». On est donc ici dans le domaine des apparences, pas dans celui de la réalité.

7° A quoi sert un "certificat de virginité" ?

Même pour un expert médico-légal, il peut être impossible d’affirmer ou de réfuter qu’une femme a eu un rapport sexuel (consenti ou imposé). Il n’est donc pas difficile de comprendre que les « certificats de virginité » rédigés après une simple consultation n’ont aucune validité.

Ils ont en revanche une énorme valeur symbolique et, quand une femme en demande un à un médecin, elle le met dans une situation problématique. Faire un certificat de virginité, c’est, scientifiquement parlant, dénué de signification : on ne peut pas déterminer la "virginité vaginale" (la virginité sexuelle étant de toute manière impossible à affirmer...), en examinant les organes sexuels – à moins que la femme n’ait un hymen complètement fermé ce qui est rarissime, car les rares cas d’imperforation totale sont en général identifiés à la puberté et traités chirurgicalement pour permettre les menstruations.

Soit dit en passant, ce que les cultures les plus attachées à l’intégrité anatomique de l’hymen veulent préserver, consciemment ou non, ce n’est pas tant la "virginité" que la (relative) certitude de la paternité de l’enfant au cas où l’épouse se révèlerait enceinte peu après ses noces. Cette incertitude par rapport à la paternité est l’une des principales sources de conflits (conscients ou non) entre hommes et femmes, dans toutes les cultures et depuis toujours, comme c’est le cas dans la plupart des espèces animales non-humaines.

Un médecin devrait-il accepter ou refuser de rédiger un certificat de virginité ?

En France, pays dont je connais les lois, règlements et pratiques, on ne demande pas de certificats de virginité pour des raisons médico-légales ou pour une administration, mais pour des motifs privés, psychologiques et symboliques.

Si c’est la famille ou la belle-famille (ou le futur époux) qui fait la demande, alors, il est légitime que le médecin refuse, et ce pour une raison toute simple, et professionnellement incontournable : un médecin n’a pas à livrer quelque information que ce soit concernant une personne à un tiers : c’est une violation du secret professionnel et de l’obligation de confidentialité.

Notez que la confidentialité protège également les mineures : un médecin qui informerait une famille que leur fille utilise une contraception, est enceinte et/ou interrompt sa grossesse est passible de poursuites. Il n’a donc pas non plus à « attester de la virginité » d’une mineure à la demande d’un tiers, fût-ce sa propre mère, et encore moins à la demande d’une personne étrangère.

En revanche, si c’est la femme elle-même qui en fait la demande, il me semble que le médecin ne commet pas d’acte contraire à l’éthique en rédigeant le certificat d’une manière suffisamment imprécise ou ambiguë pour qu’on y lise ce qu’on veut. Ce n’est pas illégal et il ne viole pas le secret professionnel en délivrant à la première intéressée des informations qui la concernent. En effet, dans le code de la santé publique et le code de déontologie, le secret professionnel n’est pas opposable au patient lui-même. C’est la raison pour laquelle refuser par exemple de donner à un patient le diagnostic de sa maladie mais le livrer à quelqu’un d’autre est en principe passible de poursuites. Enfin, la personne concernée est libre de faire ce qu’elle veut du certificat : elle n’enfreint en rien la loi en le donnant à quelqu’un d’autre.

On me dira qu’une femme qui demande un certificat de virginité le demande peut-être sous contrainte, directement ou non. C’est possible. Et il n’y a pas moyen d’être sûr du contraire. Mais il n’appartient pas au médecin de "deviner" ou de juger des motivations des patient(e)s. Ainsi, quand on prescrit une contraception, il n’y a aucun moyen de vérifier que la femme a des rapport sexuels consentis, voire même qu’elle a effectivement des rapports sexuels ! Elle peut tout à fait vouloir prévenir une grossesse à la suite de rapports imposés… ou qui n’ont pas encore eu lieu. C’est à elle de décider ce qu’elle veut faire de sa contraception, pas au médecin.

Par conséquent, si une femme demande un certificat de virginité, on est en droit de penser qu’elle a une toute aussi bonne raison de le faire que de demander une contraception. Puisque la loi ne l’interdit pas, au nom de quoi va-t-on le lui refuser ?

Anecdote : il m’est arrivé qu’un jeune couple me demande un certificat de virginité parce que les parents et beaux-parents l’exigeaient… alors que le jeune couple en question avait une activité sexuelle (clandestine, bien entendu) depuis plusieurs mois. Ils n’allaient en tirer aucun profit financier ou administratif. Ils voulaient seulement avoir la paix.

Il me semble qu’il n’y a pas de comparaison possible entre la rédaction d’un certificat à usage strictement privé et celle d’un document ayant des retombées médico-légales ou administratives (faux certificat de vaccination ; arrêt de travail injustifié ; falsification d’un certificat de naissance ou de décès...)

A mon sens, les questions que devrait donc se poser un médecin à qui on demande un certificat de virginité sont celles-ci :

« Ce certificat respecte-t-il l’obligation de confidentialité ? »
« Ce certificat sert-il les intérêts de la patiente ? »
Si l’on répond non à l’une des deux questions au moins, alors rédiger le certificat est à mon sens contraire à l’éthique.
Si l’on a répondu oui aux deux questions, on peut se poser la question suivante :

« Suis-je prêt à rédiger un certificat dont la validité scientifique est inexistante ? »

Ce qui est éthique, ce n’est pas de rédiger ou non le certificat, c’est de le faire en pesant la conséquence de cette rédaction pour la personne concernée.

Certains médecins refusent de faire un certificat qui leur apparaît comme une "fraude" à l’égard du futur mari. Cette objection n’est pas valable  : leur patient, ce n’est pas le futur mari, c’est la femme. Mettre en avant "la fraude à l’égard du mari", c’est prendre le parti des hommes, tout comme le serait de refuser d’aider une femme à avorter sous prétexte que le père biologique n’est pas prévenu ou, encore une fois, de révéler à un homme que l’enfant dont son épouse est enceinte n’est pas de lui.

On peut à l’inverse considérer que demander un certificat de virginité est parfois la seule manière, pour une femme, à un moment donné de se mettre à l’abri de violences morales ou physiques potentielles - tout comme le fait de demander une contraception à l’insu d’un mari qui veut qu’elle soit enceinte. Dans un cas comme dans l’autre, la loyauté du praticien doit d’abord aller à la personne qui fait appel à lui et non aux tiers. Sinon, le médecin n’est plus un soignant, c’est un agent du pouvoir (familial, conjugal) en place.

Pour le médecin, rédiger le certificat ne résout pas d’un coup tous les problèmes de la patiente, mais il me semble que c’est plus éthique que de refuser et de s’en laver les mains, ou de « faire la morale » à la femme et de chercher à la convaincre à tout prix que sa demande n’est pas rationnelle ou culturellement "rétrograde". Un médecin n’a pas à juger des valeurs des patient(e)s.

La violence (passive ou active, selon le cas) exercée par le refus brutal d’un tel certificat demandé par la femme est donc à mon avis inacceptable, car elle n’annule pas les violences exercées par l’environnement familial, mais s’y ajoutent.

Enfin, questionner la femme sur ses motivations n’est acceptable que si leur exposé permet au médecin de déterminer de manière plus claire sa propre posture morale par rapport à la rédaction du certificat et non, encore une fois, pour "jauger" la valeur morale de la demande elle-même.

8° Et les « reconstruction chirurgicales d’hymen », alors ? Que faut-il en penser ?

D’abord, il n’est pas inutile de rappeler qu’il est impossible de savoir à coup sûr ce qu’en pense la première intéressée et qu’on ne peut se fier qu’à ce qu’elle en dit.
Pour ma part, je pense qu’un médecin n’a pas d’autre choix que de croire ce que les patient(e)s lui disent. Même s’il court, de temps à autre, le risque d’être induit en erreur.

En effet, il ne faut pas inverser les rôles. Ce n’est pas au patient de dire toute la vérité. C’est au médecin.
Ce n’est pas au patient de mettre tous les moyens en oeuvre pour se soigner, c’est au médecin.
Ce n’est pas au patient d’être loyal envers le médecin, c’est au médecin d’être loyal envers le patient. Toujours, que le patient le soit ou non.

Une demande de reconstruction hyménéale (hyménoplastie) peut avoir de nombreux motifs, dont le médecin ne connaît souvent pas le détail, et que la patiente elle-même n’est pas toujours en mesure de définir exactement. Mais à mon humble avis, pour un praticien en consultation, l’approche éthique est la même que pour le certificat.

Si la chirurgie de « reconstruction » est demandée par un tiers, il n’y a aucune raison d’accepter. Pas plus qu’il n’y a de raison d’imposer, à la demande des parents, une IVG à une adolescente qui veut garder sa grossesse (ça m’est arrivé) ou d’imposer une contraception à une adolescente sous prétexte que sa mère croit ou craint « qu’elle couche » (ça m’est arrivé aussi).

Mais si c’est la femme qui la demande, je ne vois pas de différence « morale » entre, d’une part, la pose d’implants mammaires, une chirurgie du nez, une injection de botox ou une liposuccion et, d’autre part, un chirurgie de reconstruction de l’hymen ou, d’ailleurs, une plastie « esthétique » des lèvres (petites ou grandes). Nous faisons la distinction parce qu’il s’agit des organes sexuels, mais moralement, il n’y en a pas. S’il s’agit de modifier l’aspect du corps, en quoi serait-ce différent parce que cette partie du corps est le plus souvent masquée ? Est-ce qu’une femme "trompe" plus son monde en se faisant refaire la vulve que si elle se fait refaire les seins ou un lifting ? Et si elle choisit de "tromper son monde" ainsi, est-ce "moralement" plus condamnable que de se maquiller ou de porter un wonderbra ? Nos appréciations des transformations et modifications que s’imposent les individus sont très variables en fonction de notre culture, de nos fantasmes, de nos préjugés. Mais sont-elles vraiment « morales » ?

Oui, bien sûr, une femme qio demande ce type chirurgie le fait peut-être sous la pression de tiers (le mari, l’environnement...). Mais si elle vient la demander seule, et si elle veut se faire opérer, la seule attitude possible consiste à dire qu’on accepte ou qu’on refuse de pratiquer ladite chirurgie, non que ses raisons sont "mauvaises". On n’en sait rien. On n’en saura jamais rien.

Un chirurgien peut choisir, pour des raisons personnelles, de ne pas pratiquer ce type d’intervention, tout comme on peut choisir de ne pas pratiquer d’IVG. Mais il n’a pas à juger de la demande, il n’a pas à la qualifier de « moralement (in)acceptable », il n’a pas à humilier, culpabiliser, harceler ou « engueuler » une femme qui la lui ferait. Il n’a pas, encore une fois, à juger de la « valeur morale » des actes des patients ; il est en devoir d’apprécier si SON comportement de praticien est éthique ou non, et seulement ça.

Quand on sait que l’enfant d’une femme n’est pas celui de son mari, est-ce « cautionner l’adultère » que de soigner la mère et l’enfant sans révéler le secret ? Non, bien sûr. Il serait contraire à l’éthique de refuser de les soigner, de toute manière. Alors, faire un certificat de virginité, est-ce une faute morale inacceptable ? Je vous laisse en juger, chacun(e) pour vous-même.

En guise de conclusion provisoire :

"Everybody lies". (House, M.D.)

Pierre Bernachon, médecin d’expérience et grand soignant qui anima pendant de longues années le groupe Balint que j’ai co-créé au Mans, disait volontiers : « On se fait toujours plus ou moins manipuler par ses patients. La question est de savoir jusqu’où on accepte de se laisser manipuler. » Il le disait sans cynisme et sans mépris, mais avec une grande lucidité. Car être médecin, c’est fondamentalement se mettre du côté de la personne qu’on soigne. Or, personne n’est moralement irréprochable, et tout patient veut mettre "son" médecin de son côté, fût-ce au prix de quelques arrangements avec la réalité. Comment lui en faire le reproche ? C’est exactement pour ça qu’il s’est adressé à lui, pour commencer !

Pour ma part, je m’en tiens fermement à ce que dit ressentir et vouloir la personne qui est en face de moi. Je choisis de ne pas juger sa requête, mais de me demander si, en y accédant, d’une part je viole la loi et/ou les principes éthiques que j’entends défendre et, d’autre part, je l’aide à vivre mieux ou moins mal, au moins dans l’immédiat, sinon à long terme.

Et, quand je prends une décision, c’est sans faire porter au patient, à la patiente, la responsabilité morale de mes actes.

Marc Zaffran/Martin Winckler
Médecin et écrivain

Pour en savoir plus : « Hymen : facts and conceptions », par AA Hegazy et MO Al-Rubkan theHealth 2012 ; 3(4) : 109-115 (téléchargeable en ligne).

A noter que cette revue de la littérature, très complète et très documentée, et qui prend clairement position contre les idées reçues, n’est pas due à des Européens ou à des Américains, mais à deux médecins exerçant en Egypte et en Arabie Saoudite.

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