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"Les Cahiers Marcoeur", 52e épisode
Article du 17 octobre 2004

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(Bruit de page qu’on tourne)

Le dossier vert, one more time. Mmmhh. Ouvrez les guillemets... Le plus souvent, je justifie ces notes en caressant l’espoir qu’un jour "tout se mettra en place", toutes les idées éparses, toutes les bribes notées ou non, tous les fragments trouveront leur sens et leur lieu d’élection dans quelque chose, dans un fini qui sera LE livre. Je ne reste jamais sans écrire et pourtant, je n’ai ni le temps, ni la force de tracer régulièrement, méthodiquement, la trame de ce livre. Il est immense et sans bornes dans ma tête alors que cette tête me semble désespérément vide.

Ses contours sont flous et les parois de mon crâne sont dures comme du bois pétrifié. Je nage sans atteindre les bords. Mon objectif consiste à donner forme à un objet dont j’ignore l’aspect final, alors que mille informations le concernant grouillent dans mon cerveau. Peu à peu s’empilent devant moi des pièces grossièrement taillées, de dimensions variables, de forme imprévisible, sans lien apparent que leur appartenance finale à cette chose dont moi seul ai un jour subodoré l’existence - mais à quoi je ne serai peut-être pas capable de donner sens.

Pour reprendre l’image de je ne sais plus qui : je conçois, dessine et taille moi-même les pièces du meccano que je dois assembler. A ceci près qu’il s’agit d’un meccano plus grand que ce qui le contient. Un dédale à trois dimensions, qui ne fonctionnera que lorsque j’en serai sorti, lorsque quelqu’un d’autre pourra enfin y entrer. Car dans ce genre de lieu, il n’y a pas de place pour deux fermez les guillemets.
(Soupir)

(Bruit de papier froissé. Echo métallique)

Le dossier vert, un bout d’enveloppe : Je n’y comprends rien, ça n’est pas possible. Voilà qu’il s’est mis enfin dans la tête d’écrire quelque chose de cohérent, un texte d’un seul tenant qui synthétise et résume et complète tout ce qu’il a écrit auparavant. Il jette sur le papier un résumé, un plan, un synopsis, mais au lieu de foncer, il me le laisse et disparaît, comme si moi je devais continuer sur sa lancée, mais je ne peux pas finir de l’écrire à sa place, ce foutu livre !

(Long silence sur la bande)

Eh ben si, va falloir...
(Bruit de papier froissé. Echo métallique)

Le grand cahier rouge et noir. Charly. Ah, pour lui, c’est simple. Ça tient en trois lignes. A peine. Ce genre de situation ne peut pas durer. Il est trop fragile, ce garçon. On ne s’attache pas ainsi impunément. Il a beau vouloir leur faire sentir à toutes les trois combien c’est un type merveilleux, il ne va pas tenir le coup. Elles ont beau faire le ménage derrière elles, il n’est pas tranquille tant qu’il n’a pas tout vérifié. Notez bien, il pourrait se faciliter les choses et passer la nuit chez Rachel trois fois par semaine, il aurait déjà moins de ménage à faire chez lui.

Mais on peut être amené à observer chez les êtres qui nous sont le plus chers des comportements incompréhensibles, presque empreints de cruauté. Lorsque Charly passe la soirée avec Rachel, ils la finissent au lit, bien sûr. Le plus souvent, ils s’endorment lourdement l’un contre l’autre. Mais, comme s’il avait une horloge dans la tête, Charly se réveille brusquement, en sueur, à 2 heures 08, se lève et titube jusqu’à la douche. Puis il se rhabille et rentre chez lui. Bien qu’elle se réveille en même temps, Rachel ne prend plus toujours la peine de se relever. Elle a d’ailleurs constaté qu’il se sent moins coupable quand elle reste couchée quand il s’en va. Même si ça ne veut pas dire qu’elle en est heureuse.

Parfois, elle voudrait ne pas assister à son départ. Encore que le fait de se réveiller seule au petit matin ne la réjouisse pas tellement... Ces derniers temps, elle ne supporte plus les réveils en sursaut au milieu de la nuit, au moment du sommeil le plus profond, après une étreinte éperdue. Elle a longtemps cru qu’il finirait par se rendre compte, par rester. Mais il ne semble pas vouloir comprendre.

(Silence)

(Bruit de page qu’on tourne)

Mardi soir vers 21h30, Charly débarque chez Rachel. Il est tendu, inquiet. L’émission de M.F. Parr a été annulée une heure plus tôt, sans explication, au moment où il entrait dans les studios. Il s’est retrouvé gros jean comme devant. Il se demande pourquoi on lui a fait un truc pareil, à lui. La secrétaire de plateau avait l’air très gênée par ce contre-ordre de dernière minute, mais de toute évidence elle n’avait pas le droit de donner des détails, et quand il a demandé si l’émission du soir serait remplacée, on lui a répondu « On ne sait pas encore, peut-être allons-nous rediffuser une ancienne émission ».

En lui ouvrant, Rachel pousse un cri de surprise. Elle guettait avec impatience le début de l’émission. Il lui explique ce qu’il sait, c’est à dire pas grand-chose. Il est déçu et découragé. Il attendait beaucoup de l’émission, de la rencontre. Il s’affale dans un fauteuil. Il se gratte le dos furieusement. La peau lui fait mal, le dos lui fait mal, la tête lui fait mal, il en a marre de tout. Rachel lui demande s’il veut boire quelque chose, il refuse. Il entre dans la salle de bains, ouvre le robinet du lavabo et laisse longtemps couler l’eau froide sur ses mains. Il s’asperge le visage. Il est sombre, sinistre. Rachel le regarde faire, sans rien dire.

Finalement, elle le prend par la main. Il se laisse faire. Elle l’entraîne dans la chambre. Il se dit qu’elle va être un peu déçue, il n’a pas vraiment la tête à ça, si elle se met à l’embrasser elle va se rendre compte qu’il est aussi stimulable qu’une tortue au soleil, mais non, elle ne l’embrasse pas, elle se contente de lui enlever son pull et sa chemise, son pantalon son slip et ses chaussettes et le pousse sur le lit.
- Allonge-toi sur le ventre.

Elle retourne dans la salle de bains, en revient tenant en main du coton, un flacon, un tube de pommade. Charly la sent s’asseoir à califourchon sur ses fesses.
- Je vais d’abord m’occuper de ton dos. Ensuite, tu auras droit à un massage maison.
Il se laisse faire. Malgré ses cris de douleur, Rachel passe une bonne demi-heure à soigner le dos de Charly, à vider ses pores obstrués, à désinfecter les pustules arrachées par les grattages sauvages, à appliquer du liquide antiseptique ça pique ! et de la pommade cicatrisante c’est froid ! Puis elle le masse longuement. Charly s’endort.

Assise sur lit, Rachel le regarde. Elle se dit que ce serait trop beau, si... Mais elle hoche la tête. C’est la déception et la fatigue qui l’ont fait s’endormir. Quand il est déçu, il se couche et s’endort. S’il ne se réveille pas avant le matin, elle n’y sera pour rien. Elle en a plus que marre, de tous ces chassés-croisés, de ces valses-hésitations.
Elle est fatiguée, elle aussi. Le réveil marque 23 heures 45. Elle se déshabille, se glisse dans le lit. Elle se colle contre le dos nu de Charly. Il partira quand il voudra. Au moins, pour l’instant, il est là. Elle l’entoure de ses bras.

Demain matin, nous serons le mercredi 23 février. Charly sera toujours dans le lit de Rachel. Celle-ci a posé un jour de congé pour pouvoir passer la journée avec lui. Ils se lèveront vers quatre heures de l’après-midi et iront la chercher à la sortie. Entre-temps, Charly - qui aura fait semblant de dormir de 7 h 30 à 7 h 50 - se précipitera sur Rachel, d’abord pour rattraper les heures d’amour dilapidées en sommeil, mais aussi pour manifester la joie et le soulagement qui l’ont empli lorsqu’il s’est réveillé près d’elle au matin.

Plus tard, entre deux chahuts, il ouvrira un oeil, ôtera de ses lèvres les cheveux noirs de Rachel, et laissera échapper un crisoupir : MondieuJ’aiOublié ! Et son corps entier sera secoué de spasmes, ses yeux se mettront à pleurer sous l’effet d’un rire inextinguible. A ce moment-là, aussi curieux que cela puisse paraître, Rachel saura que quelque chose s’est passé. Comme il ne lui dira rien, elle mettra un certain temps avant de comprendre. Il lui faudra environ trois semaines, un mois. C’est le délai habituel quand - homme ou femme, peu importe à présent - on a oublié sa pilule.

(Bruit de page qu’on tourne)

(Raclement de gorge) Le do-hossier vert, ouvrez les guillemets : Selon les sources, les hypothèses abondent. Ainsi, d’une version à l’autre, Les Cahiers Marcoeur pourraient être :
- un journal d’adolescence ;
- un texte métaphysique (réflexions, aphorismes, discours logique) ;
- une suite de nouvelles dans lesquelles les déplacements des personnages restituent la topographie de Tourmens et le déroulement des saisons dans la cité provinciale ;
- une description du monde destinée à lui permettre de s’y insérer ;
- une liste exhaustive des accidents physiques (de la piqûre de moustique à la douleur de fracture) qu’un homme peut ressentir au cours de sa vie ;
- une autobiographie écrite parallèlement à la vie dont elle traite, selon un délai incompressible de dix ans (le 3 mars 1982, par exemple, Marcoeur tente de relater la journée du 3 mars 1972) ;
- un roman initiatique en sept parties ; chaque partie est centrée sur un personnage, le style de la narration change chaque jour de la semaine : médical (lundi), érotique (mardi), policier (mercredi), de science-fiction (jeudi), à l’eau de rose (vendredi), humoristique (samedi), historique (dimanche). Bien que les protagonistes évoluent dans des univers distincts, ils effectuent régulièrement des passages d’un roman-monde à un autre. Chaque personnage est identifié par une lettre de l’alphabet hébraïque. Aleph, Beth, Guimmel, Daleth, Hé, Vav, Zaïn. Fermez les guillemets.

(Bruit de papier froissé)

Le grand cahier rouge et noir, Daniel. Dans la minuscule cuisine de Sara, la fenêtre vibre chaque fois qu’une voiture passe. Daniel se fait du café - il paraît que c’est bon pour la migraine. Il entend un frottement sur la vitre, comme si un bout de ruban adhésif claquait au vent. Il se retourne, ce n’est pas le vent, mais le vieux chat roux. Il a grimpé du toit du garage sur la gouttière et de la gouttière sur le rebord de la fenêtre. Sara ouvre la fenêtre et l’animal entre et se frotte à ses jambes.

- On dirait le chat de Madame Larcher, dit Daniel.
- Qui est Madame Larcher ?
- Une vieille dame dont je m’occupais quand j’étais étudiant. Elle habitait dans une maison de plain-pied. Sa fenêtre donnait sur la rue. Un jour en sortant de chez moi, j’entends quelqu’un m’appeler par la fenêtre. Elle était tombée et son aide-ménagère ne parvenait pas à la remettre debout. Je suis entré pour les aider. Pendant plusieurs semaines, j’allais aider à la lever le matin et la coucher le soir, elle était incapable de se déplacer toute seule, je l’installais dans son fauteuil roulant avec son aide-ménagère. Elle avait un chat comme celui-ci. Un jeune chat roux, et elle m’avait fait promettre que lorsqu’elle mourrait je m’en occuperais. Mais un jour, quand nous sommes arrivés, elle était morte. J’ai cherché le chat, il avait disparu. Je n’ai pas pu respecter ma promesse.

Le chat lape le bol d’eau que Sara lui a versé. Daniel verse le café dans les tasses, puis s’assied. Le chat saute sur ses genoux et s’y installe.
On dirait qu’il m’a adopté, dit Daniel, et les larmes lui montent aux yeux.

Sara lui propose de conduire le minibus et de faire l’écrivain public, pendant qu’elle se chargera de problèmes plus administratifs. Personne ne veut faire ce travail ingrat et mal payé, et le bénévolat bat de l’aile. Le chat roux ronronne sur ses genoux. Daniel accepte.

Il s’installe avec Sara.

Il ne se résout pas à emmener le Navire à la casse ; en fin de compte, il le donne à une autre association des QUB. Le Navire devient une île de tôle au milieu d’un terrain vague transformé en "terrain d’aventures".

(Bruit de page qu’on tourne)

Le dossier vert. En haut de la page : Le manuscrit CHEK est un roman de science-fiction dans lequel un homme détenteur d’un secret est multiplié par sept. Ses doubles, éparpillés dans sept univers parallèles, sont menacés de mort. S’il veut survivre, il doit les retrouver tous, les réintégrer à lui. Chacun d’eux ne se souvient que d’une bribe du secret, et ne pourront le révéler qu’une fois redevenus un. Le héros se bat et va d’aventure en aventure sans savoir s’il est bien l’"original", ou si sa personnalité disparaîtra dans la fusion finale.

Au milieu de la page :
- Qu’est-ce que c’est, C.H.E.K. ?
- C’est un roman dans lequel sept personnages écrivent chacun un roman mettant en scène les six autres.

En bas de la page, ouvrez les guillemets : Et puis il y a dans ce projet un fantasme profond, quoique non précisé, qui est celui d’être le lecteur final de sa propre écriture. Pour cela, il ne doit pas relire. Il doit laisser derrière lui, abandonner à un autre le soin de combattre le désordre des textes afin de pouvoir lire plus tard ces textes comme s’ils lui étaient étrangers. Il faut qu’il se débarrasse de la censure qu’il porte en lui. Que nous portons tous. Pour pouvoir donner le texte dans sa crudité, sa force brute, sa vérité, il faut courir le risque de le perdre à jamais. Fermez les guillemets

(Bruit de papier froissé. Echo métallique)

Le grand cahier rouge et noir, Emmanuel. Ah ! Emmanuel. Brave vieux Manu. A se demander s’il en finira jamais, de tourner en rond, de prendre ses désirs pour des projets de livres et ses tâtonnements pour des idées neuves. Il n’est qu’une bien faible proie entre les griffes de ses contradictions et de ses velléités. Il n’a pas vraiment choisi l’écriture contre la médecine, il n’a fait que s’accorder une période d’essai. Comme un homme qui vit avec une femme pendant quelques mois, "pour voir", en se donnant la possibilité de retourner vivre avec celle d’avant si jamais ça ne marchait pas.

Il aime écrire, pourtant. Il ne parvient pas à voir sa vie autrement qu’en l’écrivant. Dans sa tête, sinon sur le papier. Il est trop facilement distrait pour pouvoir véritablement travailler. Par exemple, en dehors de la cuisine, du ménage et des courses, qu’il s’impose de faire pour se déculpabiliser de ne pas travailler, nous lisons ici :

Il adore aller à Tourmens, se balader dans les librairies ou les magasins de disques - il a bien le droit de se détendre un peu, tout de même ! - feuilleter les romans policiers chez les bouquiniste des quais, reluquer la belle asiatique lorsqu’elle installe ses livres à la vitrine du Shôgun, s’asseoir à une terrasse de café, regarder ce qui se passe dans la rue et en tirer une note laconique évoquant l’éventuel embryon de commencement d’idée de texte à venir, dévisager les passants, compter les autobus... et rêver.

Mardi après-midi, il est assis à la terrasse de La Villa, justement, et remarque un homme assez jeune - 30 ou 35 ans... ouais, finalement, à peine plus jeune que lui. Mais la barbe, ça vieillit ! pense-t-il en caressant trois poils entre le pouce et l’index, surtout quand elle arbore des poils blancs mêlés au roux et noir... Jeune homme, vieil homme, comment désigne-t-on un homme qui n’est ni jeune ni vieux mais entre les deux ? Assis deux tables plus loin, l’homme écrit. L’énergie avec laquelle il semble s’acharner sur la feuille laisse Emmanuel jaloux et pantois.

C’est Marcoeur !, pense-t-il. Et il se met à dévisager toutes les personnes présentes. Cinoche ne doit pas être loin. Mais pas de Cinoche en vue. Emmanuel sent son coeur agité de palpitations incoercibles, trop rapides pour être enregistrées et probablement au-delà de toute ressource thérapeutique connue. Devant lui, l’homme écrit frénétiquement. Manu transpire. Toujours pas de Cinoche. Il gamberge : Il ne doit pas encore savoir qu’il est là. Il ne sait pas qu’il est revenu. Et c’est sur moi que ça tombe !

Tu vois, Dolorès, c’est pas complètement inutile d’aller se balader en ville même si on n’a rien de précis à y faire, d’ailleurs ça m’arrive tout le temps, j’entre dans une boutique et je tombe pile sur le bouquin qui m’intéresse sans avoir à le chercher, ou j’achète un magazine que je n’achète jamais et au beau milieu je trouve un article importantissime sur tel écrivain mort depuis dix ans, ou je sors pour ouvrir la grille et justement le facteur m’apporte le Sheldon & Langseth’s en douze volumes que j’ai commandé dix jours à l’essai - Tiens ! ça aussi c’est une histoire intéressante : je voulais traduire un bouquin assez difficile, du genre si Beckett écrivait comme Joyce, et pour trouver le dictionnaire qui va m’aider à faire ça, très dur, je fais toutes les librairies spécialisées de Tourmens, je cherche sur le comitex, les banques de données de la Thèque, zéro, mais voilà que dans le TéléGuide une publicité pour le British Literature Book Club, me propose trois livres pour des clopinettes.

Je choisis des machins marrants, Jane Austen’s Complete Novels illustré par Adams et Frazetta, Walt Maltmall’s Country Cooking (avec les mesures en onces et en grammes, s’il vous plaît !) et Sensuous Dream Girls, un recueil de photos... artistiques. Quand je reçois mon paquet, qu’est-ce que je vois dans le catalogue ? La nouvelle édition refondue du Sheldon & Langseth’s Cross-over Encyclopedia of 20th Century Literature, 15.000 pages, 253.000 notices, des flopées d’auteurs, la simple pensée qu’il y en ait autant a de quoi donner le vertige, rien que les chinois et les japonais comment peut-on seulement connaître le nom de tous ces types ? -

Enfin, tu vois, ça encore c’est par hasard, un hasard objectif, une rencontre merveilleuse, signifiante, comme là aujourd’hui : Sur qui je tombe ? Je rêve, je me pince et je suis toujours réveillé, mais ça veut rien dire, quand je m’endors au volant j’ai beau me pincer, me mordre la lèvre, ouvrir la fenêtre en grand, ça continue, les yeux me piquent et les paupières tombent et c’est pas possible, qu’est-ce qu’il fout, Cinoche ? Marcoeur s’assied à sa table et l’autre ne débarque pas là dans la minute ? Il n’a pas donné aux serveurs la consigne de le prévenir si jamais ils le revoyaient débarquer ? S’il ne vient pas, c’est moi qui fais main basse sur le texte. Un original de Marcoeur, tu te rends compte ! »

Emmanuel cesse de respirer. L’homme vient de s’interrompre. Il se redresse, recapuchonne son stylo, le glisse dans sa poche, et se met à relire.

Emmanuel avale douloureusement sa salive.

L’homme a allumé une cigarette, il relit calmement, sourit à certains passages, hoche la tête en faisant la grimace à d’autres, approuve du menton à d’autres encore. Une fois qu’il a terminé, il ramasse la liasse, la plie en deux et la glisse dans une enveloppe kraft qu’il tire de son sac. Puis il règle sa consommation et s’en va.

Rouge de confusion (les oreilles) et blanc de rage (le visage), Emmanuel somme le ciel de le faire disparaître sur le champ de la face du monde. Le ciel l’ignore.

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