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"Faites comme si elle n’était pas là"
par Emma Sachs
Article du 18 avril 2005

Je vais avoir 41 ans cette année, et je suis, depuis l’âge de 18 ans, visiteuse de personnes hospitalisées (je ne dis jamais "malade"). « Comme il y a des visiteurs de prisons » dit un de mes fils. Oui, c’est ça. Et l’hôpital est souvent une prison.

Mon travail m’a fait souvent changer de ville, et je me suis plus ou moins bien intégrée aux services hospitaliers à qui je proposais…mes services. J’ai dû interrompre cette activité lorsque j’ai été hospitalisée moi-même, et ces hospitalisations et opérations m’ont mieux fait comprendre le ressentiment (quand ce n’est pas le désarroi) d’une personne alitée et dépendante. Je reste cependant consciente que nous ne sommes pas tous fait « du même bois » et que nous ne vivons pas tous la même chose quand nous sommes hospitalisés.

J’avais donc envie de vous raconter ce que j’ai vu vendredi dernier, dans un hôpital d’une ville moyenne, et qui m’a profondément émue. Dans cet hôpital, je ne vais qu’à l’étage de chirurgie digestive. C’est un choix personnel, je ne serais utile à rien dans certains services. Les services de chirurgie digestive ont des patients assez âgés pour la plupart, ce qui me convient tout à fait car mes grands-parents sont décédés et ils me manquent.

Pour revenir à ce vendredi donc, je suis rentrée dans une chambre à deux lits. Dans l’un des lits se trouvait une dame que je connaissais et dans l’autre non. Je me suis assise à côté de la femme que j’avais déjà rencontrée, je lui ai tendu ma main, elle m’a dit aller mieux et je lui ai trouvé bon moral. Je l’admire car elle est là depuis 3 semaines, et a subi une opération qui lui a laissé une cicatrice du milieu de la poitrine au bas du ventre. C’est assez impressionnant.

La femme couchée dans l’autre lit, près de la fenêtre, ne bouge pas et me tourne le dos. Alors que je parle avec Madame M., une infirmière entre dans la chambre et crie : « Mademoiselle D., vous pourriez vous lever et faire des efforts ! Allons ! ». Mademoiselle D. sort du lit en me tournant le dos : je vois qu’elle est vêtue de la blouse fournie par l’hôpital - "habillée", c’est vite dit… : vous savez ce truc qu’il faut nouer dans le dos et qui vous laisse les fesses à l’air...

Je vois son corps de dos, maigre, courbé, la colonne vertébrale saillante. Puis elle contourne le lit lentement. Le temps que je me lève pour l’aider à marcher, sa blouse tombe par terre. A ce moment-là l’infirmière dit : « Tiens, vous allez en profiter pendant que vous êtes debout pour aller aux toilettes », puis elle sort de la chambre. Tout est allé très vite, je me retrouve face à cette femme, et je reçois une gifle : cette femme, qui a l’air plutôt jeune (pour moi, « jeune », c’est moins de 40 ans…), a un sein en moins, le droit.

Un sein en moins…
Un sein en moins !
A la place, il y a une grande cicatrice, en biais. Plus de mamelon, plus rien, rien que la peau sur les cotes, visibles. Et à gauche, son sein droit, qui tombe sur le côté. J’ai mal pour elle, mal de ce qu’on lui a fait, mal qu’on la traite comme ça, comme une enfant sans intérêt.

Je ramasse la blouse, lui fais passer ses bras dans les manches et lui noue les liens dans le dos. Je lui dis d’aller aux toilettes, et que je vais revenir tout de suite. Je sors de la chambre, je cours derrière l’infirmière (ce qui m’arrive rarement, c’est d’ailleurs contraire à notre « statut » de visiteur ou visiteuse, qui nous interdit de poser des questions sur les maladies des personnes hospitalisées par exemple).

Je n’ai pas le temps d’ouvrir la bouche que l’infirmière me toise : « Elle nous vient de psychiatrie, j’ai l’impression qu’elle est complètement dans les nuages. Elle a été opérée d’un cancer du sein, je ne suis même pas sûre qu’elle le sache ou qu’elle ait compris ! Elle nous a été amenée comme ça, avec une blouse de l’hôpital psy. Faites donc comme si elle n’était pas là ».

Ben tiens oui… « Faire comme si elle n’était pas là ». C’est comme faire comme si elle n’existait pas. C’est la première fois que j’entends ça en vingt ans. Alors les personnes venant de psychiatrie n’ont plus qu’à mourir sans déranger personne ?

Lorsque je suis retournée dans la chambre, elle s’était recouchée. Je lui ai parlé, elle ne m’a pas répondu. Je lui ai pris la main, elle ne l’a pas repoussée. Sa voisine était silencieuse aussi. En partant, j’ai dit au revoir.

Oui, « Au revoir », parce que la semaine prochaine, je reviendrai avec une vraie chemise de nuit. Je ne vais d’ailleurs pas attendre vendredi , j’irai la lui porter dés lundi. Mon mari m’a dit que ça ne servait à rien, que je le fais pour avoir bonne conscience, que si ça se trouve, elle ne se rend même pas compte de ce qui lui arrive. Moi je n’en suis pas sûre, et tant que je n’en serai pas sûre, je ferai ce que je pourrai.

Emma S.

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