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Petit éloge des séries télé

P.O.L Editeur

Le site de P.O.L, maison d’édition de littérature contemporaine (poésie, roman, théâtre, essais), présente ses nouveautés, des biographies et bibliographies d’auteurs, des lectures vidéos, des premières pages, un agenda, des feuilletons.

Les livres de Martin Winckler chez P.O.L : La Vacation (1989), La Maladie de Sachs, 1998 ; Légendes, 2002 ; Plumes d’Ange, 2004 ; Les Trois Médecins, 2004 ; Histoires en l’air, 2008 ; Le Choeur des femmes, 2009.

La page consacrée à Martin Winckler sur le site POL

Les autres éditeurs de Martin Winckler :
L’Amourier (Le Mystère Marcoeur)
Le Diable Vauvert (Contraceptions mode d’emploi et Les Miroirs Obscurs ;
Baleine et Librio (Touche pas à mes deux seins ;
Fleuve Noir (Mort in Vitro, Camisoles)
Calmann-Lévy (Un pour Deux)
Fleurus (Les droits du patient ;Choisir sa contraception, TOut ce que vous vouliez savoir sur les règles)
et aussi Stock, EPA, La Martinière, Zulma...


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Ma mère américaine
Betty Ann Hanson, 1930-2003
Article du 6 octobre 2003

En 1972-1973, à l’âge de 18 ans, j’ai passé une année à Bloomington, Minnesota, dans une famille américaine. Les Stainer (Charlie et Betty, les parents ; Chuck, Juno et Jimmy, les enfants) m’ont accueilli et adopté et je peux dire que l’année passée avec eux a changé ma vie. Je n’ai jamais cessé, depuis, de leur écrire et de les voir à chaque occasion possible. J’ai raconté cette année et mes relations avec les Stainer - et avec Betty, en particulier - dans Légendes (POL, 2002), mon premier livre pré-publié en feuilleton sur le net. En voici un extrait.

La langue maternelle

Si j’aime particulièrement les comédies télévisées américaines, c’est parce que leur humour est fondé sur deux ressorts principaux : la phrase à double sens et le clin d’oeil au spectateur.

Au début, évidemment, je ne comprends pas grand-chose. Quand je demande à Betty ou à Charlie de me dire ce qui les fait rire ils commencent par répondre : " Oh, I can’t translate that ! " Et puis, ils précisent le contexte, détaillent le jeu de mot, expliquent qui est la personne ou l’événement à quoi il est fait référence.

Ils le font de bonne grâce, systématiquement, et bientôt c’est un jeu collectif : Juno, Jimmy, Chuck, mais aussi leurs camarades prennent l’habitude de le faire. "You’ve got a lot to learn, Sjaaaack !" me dit régulièrement Chuck. (Il m’a surnommé " Jacques " parce que " ça fait plus français " que Marc.)

Betty, en particulier, sera toujours très attentive à la langue. Elle profite du fait que je comprends bien l’anglais pour m’en apprendre les nuances, mais surtout pour m’apprendre la culture environnante. Quand nous nous rendons en Oklahoma, elle me prévient que les gens n’y parlent pas comme dans le Minnesota.

Un jour, nous déjeunons quelque part à Kansas City, et quand la serveuse, une femme d’une cinquantaine d’années, s’adresse à moi, Betty attire mon attention sur l’accent de cette femme et sur sa manière de me parler comme si j’étais un petit garçon...

Pendant les semaines qui ont suivi mon arrivée, tout s’est bien passé, mais Betty s’est rendu compte que j’ai du mal à m’intégrer aux camarades de Juno, souvent présents à la maison. Ils sont un peu plus jeunes que moi, mais très brillants : ils parlent de politique, de philosophie, d’écologie, d’économie mondiale, et je ne suis incapable de les suivre.

Ils jouissent d’une complicité à laquelle je suis étranger. Petit à petit, je les prends en grippe et je finis par devenir carrément désagréable.

Un jour, nous sommes tous deux seuls à la maison, Betty me parle assez fermement, et m’explique que je ne peux pas continuer à me replier comme ça et à traiter les autres de haut.

Elle comprend que ce n’est pas vraiment du mépris, mais surtout de la peur, du manque de confiance. Je n’ai pas de mal à parler avec elle, mais j’en éprouve beaucoup dès qu’il s’agit de poser des questions à des étrangers. Je fais tout à contretemps. Je m’immisce dans les conversations quand il ne faut pas ; je me replie quand on attend que je m’ouvre.

Cette conversation m’est pénible, mais elle me soulage, au fond. Je sais que je peux lui demander conseil, je sais qu’elle est de mon côté, je sais que je ne suis pas seul : dans cet univers fascinant mais inconnu, j’ai une alliée.

Betty n’a pas seulement été très heureuse de m’accueillir, elle m’aime depuis la seconde où elle m’a vu. Elle m’a adopté. Elle me traite comme si j’étais vraiment son enfant. Elle me parle et m’écoute.

Elle m’apprend à relativiser en m’initiant à l’ironie et à l’auto-dérision. Elle me fait taire quand je parle trop, elle me tance quand je dépasse les bornes. Elle me prend dans ses bras quand je ne vais pas bien. Elle rit quand je commence à faire des calembours. Elle m’enseigne le sens des gestes et la texture des phrases. Elle est ma mère en terre étrangère, ma mère dans les mots. (Légendes, pp.370-371)

Betty s’est éteinte le dimanche 14 septembre 2003 à l’hôpital régional de Worthington, Minnesota.


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