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Rêve
par Sarah Schnebert
Article du 18 septembre 2005

A Tommy

J’ai pu dormir, cette nuit.

Malgré la souffrance infâme qui meurtrit mes membres malmenés, malgré l’état de fatigue animal dans lequel je suis, malgré les odeurs exquises des souvenirs qui frappent mes sens en y laissant une vive amertume, cette nuit j’ai pu dormir.

Et cette nuit, j’ai rêvé.

On dit qu’il ne se passe pas une nuit sans que l’on rêve, que c’est scientifiquement prouvé, et qu’une nuit sans rêves n’ai du qu’a l’oubli fatal du réveil trop vif.

Je ne suis pas d’accord.

Pour moi, les cauchemars sont des rêves que l’on a oublié, et c’est peut être pour cela que je ne me souviens d’aucunes de mes nuits. Ici, nous dormons des nuits sourdes, des comas douloureux, loin des caresses somnolentes que nous connaissions.

Mais malgré cela, et je le répéterai sans cesses, cette nuit j’ai rêvé.

J’ai rêvé de Laurelia, de ce prénom de femme donné a ma villa.

J’ai revu le sentier verdoyant qui coulait le long du sol, ouvrant sur une allée de sable. Les camélias, les lauriers-roses et les bougainvilliers, comme des touches de peinture gracieuses, et les fleurs écarlates qui enflamme le paysage, perçant d’un rouge vif la douce aquarelle du paysage.

L’ombre odorante des arbres immenses aux feuilles vernie, brillantes, qui embaument les chemins de parfums sauvages. Et j’ai revu, au bout de l’allée, Laurélia, pareille à mes souvenirs. La pâleur de ses murs de craie allumant le jardin, éclairant, aveuglant d’une lueur irréelle les tendres gammes de vert des alentours. Son corps carré, parfaitement battit, qui coupait si bien avec les douces formes rondes des plantes et le turquoise idyllique du ciel.

Dans le jardin, une mer de pâquerettes, boutons d’or habillés de mignonnes corolles blanches, semblables aux enfants candides que nous aimons, jouant et riant de plaisir sur cette pelouse qui un jour, à eux aussi, hantera leurs souvenirs d’intense bonheur.

J’ai revu, derrière la villa, les dunes au sable frémissant, dissimulant la mer restée au loin.
Cette nappe immense, Reine, ce drap argenté et tumultueux dont les plis froissés bordés de dentelle d’écume s’écrasent sur la plage dans un souffle de vie.

J’ai revu son odeur, la caresse du vent sur l’eau chatoyante, le bruit de l’écume qui mousse, et la vue de cet océan profond qui enveloppe des terres oubliées.

Et les souvenirs animaient mon rêve délicieux, ces mémoires douloureuses, ces matins pales et tendres, bercés par les murmures calmes de l’aurore. Ces longues soirées encore claires, ou le jour tarde à partir, s’arrachant aux nuages en y laissant de fines traînées d’or et de sang.

Puis la nuit, tiède, maternelle, la nuit parfumée des belles saisons, animée par des cigales invisibles, mais qu’on devine chantantes et amoureuses.

C’est là que s’est arrêté mon rêve, agrippé par le nuit, happé par des plaisirs et des joies trop vieux, dévoré l’espace de quelques moments de repos.

J’entend au loin des voix d’hommes qui hurlent le réveil, et le compagnon qui partage ma couche me secoue. Je peine à me redresser tant mon corps me fait souffrir.

Il est l’heure de la soupe, et j’ai beau fouiller sous mon matelas, je ne parviens pas à trouver mon bol et ma cuillère. Ni les quelques provisions de ce pain fin et coupant d’eau et de sciure de bois qui me maintient à peine hors de la faim.

Les fantômes autour de moi se lèvent, marchent, sortent du bâtiment, et je perçois leurs ombres squelettiques hanter la cour du camp. Ils flottent dans leur pyjamas rayés devenus trop grands, tendant du même mouvement las leurs bols à la matrone.

Je n’aurai pas de soupe aujourd’hui, on m’a volé mes couverts ; mais j’ai mieux car j’ai eu cette nuit, l’éternel cadeau des souvenirs trop beaux, un rêve qui anime encore de ses feux les quelques reliques d’espoir qu’il me reste…

Sarah Schnebert

(Texte reçu en mai 2005 ; mis en ligne le 18 septembre 2005)

Sarah Schnebert est née en 1989.

Ses autres textes publiés sur le site :
 Deux fictions (2003)
 Marc ouvrit les yeux (2003)
 Le Pain (18 septembre 2005)

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