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"Les Trois Médecins" : un roman d’aventures et de formation (médicale)
Les médecins, les patients, et tout ce qui s’ensuit... > Soignants en formation, soignants en souffrance >


Le gâchis humain de la "sélection" en médecine
par Laurent B., père d’une étudiante
Article du 9 octobre 2005

De nombreuses contributions de ce site sont consacrées à la souffrance des étudiants en médecine, à la cruauté absolue de la formation actuelle en faculté et au caractère inepte des critères de sélection retenu pour "sélectionner" les futurs soignants. Voici une nouvelle contribution, rédigée cette fois-ci par le père d’une étudiante. La clarté de son analyse mérite toute votre attention.

MW

Pour Marie

Père de famille, j’attends aujourd’hui les résultats des examens de première année de médecine de Marie. Succès ou échec, je l’ignore. Ce que je sais, c’est que cette année de vie étudiante vécue « à distance », mais si proche de ma fille, me laissera un goût amer et une colère enfouie.

« PCEM1, un mal nécessaire »

La première année des études médicales (PCEM1) est d’abord conçue comme une année de sélection, plus que d’apprentissage. Ce paradoxe n’étonne même plus, il est admis comme une évidence, un « cela va de soi », au mieux comme un « mal nécessaire » que seul un naïf pourrait questionner. Or justement, cela ne va pas de soi, et pourquoi, en terme d’enseignement, un mal serait-il « nécessaire ? ».

Il ne va pas de soi que l’objectif d’un enseignement soit de sélectionner et de classer, avant même de penser à former.

Il n’est pas question de nier le besoin d’une sélection, mais de la penser. Actuellement, la sélection opère sur des critères peu ou pas explicités (ne serait-ce qu’aux intéressés eux-mêmes), et dont personne ne sait sur quelles bases et avec quel consensus ils ont été construits. Sur quoi sélectionne-t-on en effet ? Sur un bachottage, d’une intensité extrême, et dans lequel « chaque mot compte », ou sur des bases assimilées en profondeur ?

Sur un apprentissage du « par cœur » qui n’apprend à peu près rien - sinon à apprendre par cœur - ou sur des mécanismes biologiques génériques constituant l’armature de fond des futurs médecins ? Ou sur l’argent enfin en permettant à certains étudiants de mieux se préparer que d’autres par le recours à des organismes privés et parallèles de préparation à un concours (« les écuries ») ? Pourtant, l’une des premières fonctions de l’enseignant, c’est précisément de justifier son enseignement par rapport à un objectif lui-même explicité, et dans lequel son enseignement devient alors légitime.

Il faut donc concevoir un couplage entre l’apprentissage et la sélection différent de celui qui existe, en replaçant d’abord l’étudiant et la pédagogie au centre de l’enseignement, et en considérant que l’échelle de l’individu (apprentissage individuel) est aussi importante que l’échelle collective (sélection de masse). Ce n’est pas parce que le nombre d’étudiants augmente sans cesse que la sélection doit intervenir sur un nombre croissant de questions toujours plus pointues et auxquelles l’étudiant doit répondre dans un temps toujours plus bref (40 questions en 60 minutes par exemple).

Quand le nombre de candidats aux études médicales aura encore doublé, le nombre de secondes pour répondre à chaque item de l’examen sera-t-il encore divisé par deux ? La thèse soutenue ici voudrait que l’on peut sélectionner plus intelligemment, plus efficacement, plus justement, et à moindre coût.

La sélection actuelle correspond probablement à un empilement progressif d’ajustements au cours du temps pour faire face à une masse croissante d’étudiants : passage de l’examen traditionnel aux questions à choix multiples, définition de matières nouvelles à fort coefficient dans le seul but de sélectionner, création « d’écuries » privées de préparation parallèle à ce marathon, etc.

Mais la question fondamentale réside dans le fait que le « centre de gravité » des critères actuels de sélection (bachottage, encyclopédisme, résistance,..) ne correspond pas au centre de gravité des compétences a priori requises pour un médecin : connaissances génériques, mises en relation de connaissances, esprit de synthèse, raisonnement logique, capacité à construire un diagnostic, aptitudes relationnelles, capacité de dialogue, etc.

Le système actuel a donc statistiquement toutes les chances de ... ne rien sélectionner du tout, sinon un « échantillon moyen » de la population française probablement plus apte à participer à « Questions pour un champion » qu’à constituer « le meilleur potentiel médical du futur ».

Autrement dit, le paradoxe serait que résultat de cette année de travail inhumain, désastreuse sur le plan psychologique, à coûts individuel, social et familial exorbitants, soit finalement... de ne pas sélectionner du tout : dans un échantillon sélectionné par l’examen, les élus ont tous bien sûr quelques points communs. Ils n’ont manqué ni de courage ni d’abnégation, ils ont beaucoup travaillé, en partie inutilement, ils sont « formatés » sur un mode d’apprentissage unique, ils ont appris à se taire, ils ont découvert un enseignement distant, parfois hautain.

Pour le reste, en se basant sur une distribution statistiquement normale, cet échantillon sélectionné comprend sans doute une minorité de futurs médecins brillants et aux multiples qualités, une minorité de parfaits incapables pour soigner des malades, et une majorité de futurs médecins « moyens », ni pires ni meilleurs les uns que les autres.

« Une préorientation et une information... »

La solution semble finalement dans son principe assez simple, il s’agit à la fois de préorientation et de présélection. Une présélection bien comprise se pratique dans beaucoup de lieux de l’enseignement supérieur. On rentre dans un IUT ou dans une classe préparatoire sur dossier, et personne ne semble le contester ou s’en émouvoir.

Outre qu’elle permettrait d’alléger considérablement les effectifs en première année, qu’elle permettrait donc de re-concevoir de fond en comble l’enseignement de première année (introduction de travaux dirigés par exemple), de le ré-humaniser aussi (ne serait-ce qu’avoir le droit de poser une question oralement à un enseignant, pour rétablir un minimum de dialogue entre l’enseignant et l’étudiant). La présélection obligerait aussi le corps enseignant médical à réfléchir sur ce qu’il veut finalement construire, sur les critères de sélection. Elle obligerait à expliciter un corpus de critères réfléchis et consensuels, à choisir et à arbitrer.

Les critères étant définis, on disposerait alors d’une grille d’analyse et de lecture permettant d’orienter des candidats et non des inscrits à ce stade, de façon d’une part à alléger tout le dispositif d’enseignement ultérieur, et d’autre part, d’éviter à des milliers d’étudiants de commencer leurs études par l’expérience amère de l’échec en perdant une année, voire deux.

... que l’éducation nationale ne propose pas

Parmi les modalités possibles, on peut en évoquer plusieurs. Tout d’abord, une présélection pourrait s’appuyer en amont sur un réel travail d’aide à l’orientation dès les classes de première et de terminale.

Ce travail d’aide à l’orientation approfondie n’est malheureusement pas réalisé actuellement (ou mal) par l’éducation nationale, alors que ceci devrait faire partie intégrante de ses missions si l’on conçoit la formation comme une démarche continue. Comme les « écuries » privées préparent les étudiants de PCEM1 à leurs examens, des sociétés privées ont déjà pris le relais de ce créneau d’aide à l’orientation, et certaines le font même très bien.

Les critères dont on dispose pour aider dans ce processus d’orientation sont nombreux : (i) l’analyse du dossier scolaire des classes de première et terminale, (ii) un avis engagé et circonstancié des professeurs de terminale par rapport à un ensemble de critères scolaires et comportementaux définis, et choisis pour avoir du sens par rapport aux qualités et propriétés attendues d’un futur médecin, (iii) des tests révélateurs de compétences croisés avec des tests révélateurs des goûts, (iv) des entretiens individuels, et enfin (v) une information complète sur le métier qui manque cruellement dans le système actuel.

Il est par exemple assez incroyable que des forums d’échanges permettant un dialogue entre des médecins (décrivant eux mêmes une large palette de spécialités, de conditions de travail, de contextes) et des futurs (éventuels) étudiants en médecine ne soient pas organisés depuis longtemps, pour éclairer vraiment les candidats potentiels sur le métier, ses avantages, ses limites, ses contraintes, ses satisfactions et ses déceptions.

Elaborer des critères collectifs, de manière consensuelle

En confondant a priori le « métier » et la « formation », les risques futurs de désenchantement sont ainsi maximisés.
A l’issue de ce premier travail de préorientation, débouchant pour l’étudiant sur une autosélection ou une autocensure, l’Université devrait alors assumer un travail de présélection stricto sensu . On peut sans doute procéder en plusieurs étapes (première sélection sur dossier, puis conception de tests spécifiques, etc.). En allant plus loin, on pourrait imaginer un niveau basé sur une analyse des motivations et un entretien oral par exemple.

Il existe sans doute bien d’autres modalités de sélectionner, l’essentiel étant d’abord de construire de façon consensuelle et collective les critères de cette sélection par rapport à un objectif donné, les modalités n’étant donc que la mise en œuvre de ces choix collectifs.

Il ne va pas de soi d’ailleurs que ces choix de critères relatifs à la présélection ne soient que l’affaire du corps enseignant médical. A titre d’exemple, la construction de ces critères avec l’ensemble du corps médical, et pourquoi pas ... les citoyens eux-mêmes mériterait discussion.

« Les études ne sont pas faites pour souffrir, mais pour se former »

L’enseignement, parlons en justement : Basé sur une conception encyclopédique de l’apprentissage, un apprentissage qui collectionne les faits plus qu’il ne les explique, qui met bout à bout plus qu’il ne met en relation, et qui a pour premier effet de ne jamais fournir aux étudiants les critères de distinction entre l’essentiel et l’accessoire.

Qu’en penseraient notamment les enseignants du secondaire qui mènent leurs élèves au baccalauréat en essayant de leur fournir des bases, de trier l’important du détail, et le générique du cas particulier ? Tout ceci est balayé en une année, voire deux puisqu’il est également de bon ton d’admettre que cette première année se fait ... en deux ans, c’est du moins l’une des stratégies explicite en la matière.

Mais enseigner, c’est autre chose, et les études ne sont pas faites pour souffrir, mais pour se former. Enseigner, c’est apprendre bien sûr, mais aussi, apprendre à apprendre. C’est accepter une progression par étapes, c’est ouvrir un dialogue avec l’enseigné, c’est accepter de recevoir ses questions mal formulées et ses réponses décousues pour ensuite les reconstruire.

C’est accepter de faire le constat de ses propres échecs pédagogiques à travers les échecs des étudiants, c’est être plus qu’un livre en enrichissant les connaissances par la somme d’incertitudes, de controverses, et d’humilité qui les accompagnent. C’est enfin construire un apprentissage multiforme, varié, attractif aussi, bref une pédagogie, qui articule des éléments a priori disparates entre eux (et qu’il faut bien séparer provisoirement).

C’est enfin reconnaître le droit à l’erreur (la sienne et celle de l’étudiant), et le devoir de la corriger. La place de l’enseignant même se trouve ainsi posée. Avec un « bon poly » et « une bonne écurie », on peut aussi réussir sans aller en cours.

Mais à quoi sert l’enseignant alors ? Quelle est sa « plus value » par rapport à l’ouvrage ? Aucune sans doute, et c’est dans un sens normal et logique pour un enseignement qui a perdu toute notion de dialogue et d’interaction « enseignant-enseigné », qui ne transmet plus rien ayant à voir avec « l’expérience » ou « la démarche », mais tout à voir avec « la connaissance », elle-même figée et sanctifiée dans l’ouvrage ou le poly « de référence » auquel tout étudiant sensé devra se référer s’il veut bénéficier de « la science qui fait foi ».

Des enseignants sourds à ceux qu’ils prétendent éduquer

Mais qui sont ils d’ailleurs ces enseignants, ces forçats des polycopiés aussi denses qu’abscons (on pourrait d’ailleurs parler de certains polycopiés manuscrits, mal rédigés, voire incompréhensibles) ? Et quelle conception se font-ils de la pédagogie, du métier en acceptant, qu’on le veuille ou non, de contribuer à une telle conception de l’enseignement ? Comment acceptent-ils de réduire leur mission à cette récitation bien trop longue dont l’étudiant doit capter chaque détail ?

Comment acceptent-ils de si peu connaître, et si peu entendre aussi, ces étudiants auxquels ils s’adressent ? (On assiste par exemple à l’impossibilité de poser des questions en amphi - « pas le temps, trop pressé, trop nombreux », et un étudiant d’une université de Médecine m’a appris qu’il n’avait jamais vu « le visage du prof » : il n’a vu que ses mains, projetées sur l’écran géant de l’amphithéâtre puisque « le prof » en question était dans un autre amphithéâtre... Comme exemple symbolique achevé de la déshumanisation de l’enseignement supérieur, on ne pouvait guère trouver mieux...).

Tout enseignant qui monologue sait pourtant, par la pratique, le désastre auquel il assiste quand, faisant passer à l’occasion un étudiant « au tableau », il mesure la distance entre ce qu’il croyait avoir expliqué et ce qui a réellement été compris (on n’ose pas dire « assimilé »). Il en est de même quand il « corrige les copies » et lorsqu’il mesure alors « ce qui passe et ce qui ne passe pas ».

Mais en Médecine, il y a longtemps qu’on ne corrige plus de copies, ce sont des machines qui comptabilisent les cases cochées des « QCM » (questions à choix multiples) : c’est plus rapide, plus facile, et ça permet en plus de ne pas se poser de question... Ne disposant ainsi plus de mesure de l’écart entre ce qui est enseigné et ce qui est réellement assimilé et construit dans le cerveau des étudiants, l’enseignant est isolé, il ne peut plus « corriger le tir » de son enseignement, ni s’adapter, ni s’interroger. Et finalement, il ne peut plus progresser. L’enseignement court le risque de ne plus être un « plaisir de former », mais de devenir une corvée.

« Des processus d’examen pervers »

Il est sidérant de concevoir qu’après plusieurs milliers d’heures de travail (environ 3000 heures par an, pour 270 jours à plus de 10 heures par jour), les examens se résument à des épreuves uniques par matière, courtes (1/2 heure, 1 heure), et dont le résultat final peut se jouer sur quelques questions ultra précises, voire perverses (des « questions piège »).

Quand l’enseignement qui a déjà perdu dans son enseignement même le sens de l’essentiel ou de l’accessoire, qui enseigne sans situer son enseignement dans une conception globale, sans mise en relation avec les autres matières s’en vient à cultiver la perversité, c’est inquiétant...

Par ailleurs, l’absence de contrôle continu semble injuste et injustifiée, sauf à admettre que le non dit derrière cette mesure consiste à introduire un moyen de sélection supplémentaire encore plus arbitraire que les autres en jouant sur le stress propre à l’examen.

Que dire à ce sujet aux candidats malheureux, qui ayant suivi et assimilé un enseignement d’une année, s’écroulent sous le poids du stress, de la fatigue, et de la tension, le jour de l’examen, ce fameux jour où, justement, il fallait « assurer ».

Une sélection élitiste et humiliante

En étant plus pragmatique, on pourrait penser que le corps enseignant cherche à minimiser le temps total passé à la conception des examens (la conception n’est pourtant pas si futée quand elle consiste simplement en un schéma tronqué d’un cours en « gommant » les légendes détaillées que l’étudiant devra réinscrire sans une erreur...), à leur correction (la correction des QCM n’est elle pas déjà automatique cependant ?), à leur traitement et archivage, etc.

Si telle était la bonne interprétation, on vérifierait alors une fois de plus que cet enseignement supérieur médical est d’abord conçu autour de l’enseignant, pas de l’étudiant.

Comment enfin ne pas être effondré du mode de présélection des spécialités médicales ultérieures et conditionnées par les examens ? Du rang 1 au rang 300, tu seras médecin mon fils. Du rang 301 au rang 400, tu seras dentiste ma fille. Du rang 401 au rang 450, bon pour être sage femme... Pour quelques heures de bachottage de plus ou de moins, un futur bon médecin deviendra un mauvais dentiste, un bon dentiste aurait pu devenir un mauvais médecin, tu tireras sur le corps du bébé ou sur la dent douloureuse... Quel gâchis !

« Les sciences humaines en médecine : ouverture ou hypocrisie ? »

"Les Sciences-Hu" - Sous ce vocable d’initié, il faut entendre les « sciences humaines ». Quoi ? Des sciences humaines en première année d’études médicales ? Serait-ce enfin cette ouverture si naïvement demandée par le moindre malade vers plus de « dialogue », de « communication », de réflexion éthique, de questionnements économiques aussi ?

Las ! Les « sciences-hu », c’est avant tout cent textes dactylographiés d’une page environ sur un sujet donné et à apprendre par cœur. C’est avant tout 4 de ces sujets tirés au hasard le jour le l’examen et qu’il faut régurgiter au mot près en deux heures.

C’est avant tout le plus fort coefficient de toutes les matières (biologie cellulaire, anatomie, embryologie,...), celui qui ne vous fait rien gagner si vous êtes dans la moyenne, mais qui peut vous faire tout perdre si vous êtes un cran en dessous. C’est avant tout des milliers de copies (ou plus si on admet une double correction) à corriger et pour lesquelles il n’est sans doute pas besoin d’un professeur de sciences humaines : un prof de biochimie fera l’affaire.

C’est avant tout le choix judicieux par l’étudiant de la taille de la pointe du stylo (0.3 mm ? 0.4 mm ?) qu’il devra utiliser pour « respecter strictement le cadre imposé » pour l’écriture du texte. Quel désastre !

Un coût psychologique insupportable

Il faut écouter les étudiants, au risque d’ailleurs de les entendre. Il faut écouter ces « doublants » qui n’ont pas encore compris parfois ni pourquoi ni comment ils n’ont pas passé le cap l’année d’avant, avec le sentiment tenace de ne pas avoir démérité, et la peur au ventre de perdre encore une fois. Et dans le cas de deux échecs, que leur reste-t-il d’ailleurs ?

Deux ans de travail acharné, d’isolement, de retrait de la vie sociale, familiale, affective, un écoeurement profond sans doute, deux ans de perdus, et rien en poche... La dépression n’est pas toujours si loin (cf. les rapports ou enquêtes disponibles sur les conditions de vie et/ou de santé des étudiants en France), d’autant plus que cette première année est aussi celle de la déshumanisation. La journée typique de l’étudiant(e) en médecine passe de l’amphi de six cents ou neuf cents étudiants devant des écrans géants et où chacun est un étranger pour l’autre, à la réclusion dans la chambre d’étudiant où le même isolement perdure.

Il faut aussi entendre ces « primants », inquiets sur la meilleure stratégie à suivre, inquiets sur les bruits de couloirs diffusés par les « doublants », et croyant parfois à la réussite tout en devant, statistiquement, se préparer à l’échec. On pourrait même prolonger le bilan en terme de santé pour les étudiants. De l’aveu même d’un médecin responsable de la visite médicale des étudiants, deux problèmes de santé concernent spécifiquement les étudiants en médecine : la baisse de l’acuité visuelle (liée probablement à une sollicitation visuelle continue et excessive), et la prise de poids (« grignotage » et sédentarité).

On pourrait éventuellement ajouter à la liste la prise de fortifiants divers, vitamines et autres aides mémoire, voire anti-dépresseurs. En caricaturant, l’une des conséquences de la conception de la première année d’études médicales consiste d’abord à rendre ces étudiants...malades. Ces études ne forment pas, elles déforment. Elles n’irriguent pas, elles dessèchent.

Un coût social exorbitant à court et à long terme

Les études médicales sont doute les championnes du maintien de l’hypocrisie de « la démocratie » à l’Université. Sous ses airs d’ouverture quasi-totale, l’université survit à côté d’un système parallèle d’écoles privées en général (les « écuries », rien que le nom fait frémir...) de préparation au concours de première année.

Ces organismes dont les droits d’inscription annuels varient de 500 à 4500 euros environ, sont la face cachée de cet harmonieux édifice de « la démocratie à l’Université », de « l’égalité des chances », et de « l’absence de sélection » à l’entrée de l’Université. Bien entendu, les étudiants ont besoin probablement de cet appui complémentaire qu’ils ne trouvent plus dans l’Université.

Plus encore, ils y retrouvent un minimum de contact, d’humanité, de relationnel dans un groupe plus restreint qu’un amphithéâtre avec des interlocuteurs qui vous appellent par votre prénom, vous connaissent personnellement. Jusqu’où pourrait aller ce système ?

Très loin probablement, presque sans doute vers une sorte d’université parallèle et « clé en main » et dans ce système, l’étudiant n’irait qu’une seule fois à l’Université : pour passer son examen. Rien d’anormal me direz-vous, un mal nécessaire de plus sans doute

L’absence de présélection aboutit non seulement à un système inhumain sur le plan individuel, inefficace peut-être sur le plan de la formation, mais aussi à coût social exorbitant : Que l’on pense au coût d’enseignement des étudiants dont 80 à 90 % environ seront éjectés du système (soit environ 30 000 étudiants en médecine chaque année), au coût de logement (pour lequel on sait que les grandes villes universitaires sont aussi le lieu de spéculation et d’exploitation de la vie étudiante), au coût d’inscription supplémentaire dans les « écuries », etc....

Un rapide calcul d’ordre de grandeur aboutit en prenant en compte simplement les frais les plus directs de logement (4000 euros par an), écurie (2000 euros par an en moyenne), inscription et divers (1000 euros par an) pour 25 000 étudiants à 245 millions d’euros par an. A ce prix là, on pourrait sans doute financer la pré orientation dont nous parlions plus tôt, ou refaire plus d’une université...

Des parents exclus

Les parents sont les grands absents du système, et pourtant, ils sont là chaque jour et à chaque instant : Présents pour la course à l’inscription, présents pour le choix de « l’écurie », présents pour maintenir le moral de leur enfant basculé brutalement dans un monde parallèle qui n’est plus vraiment « la vie », en tout cas plus la « vraie vie ».

Les parents auraient beaucoup de chose à dire s’ils prenaient la parole, ou si on leur la donnait. Leur absence comme interlocuteur ou acteur d’un dialogue avec le corps enseignant fait d’ailleurs encore partie des « cela va de soi » de l’enseignement supérieur : A qui viendrait il l’idée saugrenue en effet d’inviter à la table du dialogue avec les enseignants des parents qui pourraient apporter leur part de témoignage et leur contribution constructive ?

A qui viendrait l’idée de réexaminer la place inexistante des parents qui portent encore plus à bout de bras leurs enfants (dont certains sont encore mineurs) que dans le secondaire, ces parents étant tout simplement invités à comprendre qu’après le bac, « ce n’est vraiment plus leur affaire ».

Il est grand temps pour les enseignants de renouer le dialogue avec les étudiants, avec les parents, et pourquoi pas entre eux aussi, pour repenser le système en profondeur.

« C’est le système qui veut ça... »

Comment se fait-il finalement qu’un système dont l’ineptie, la brutalité, sans même oser parler de pertinence, sont reconnus à peu près sans doute par tous perdure (en en discutant avec des médecins, enseignants universitaires, étudiants, ou parents, je n’ai pas rencontré à ce jour un défenseur de ce système, encore moins un « théoricien » capable d’en défendre les vertus ou les présupposés), et se raffine même d’année en année dans sa conception sélective aveugle ?

Système venu de nulle part, élaboré au fil des ans, lent processus adaptatif à une ouverture en masse de l’université mais n’ayant jamais pris le temps de se repenser, sans responsable vraiment identifié (« C’est le système »), il s’impose « de lui-même » comme une évidence, progressivement intériorisé comme ce simple « mauvais moment à passer ».

Car l’immobilité de ce système amène en arrière fond un autre constat plus terrifiant encore : Personne n’a la possibilité de - ou intérêt à ?- changer le système : Les étudiants ? Dominés par un système qui les écrase et qui les traumatise et dans lequel ils jouent leur avenir dans l’angoisse, impossible sans doute pour eux d’être les porteurs du changement.

Les politiques ? Sûrement pas, qui s’amuserait d’ailleurs à mettre des étudiants dans la rue à la simple prononciation du mot « présélection » ?

Les parents ? Inorganisés, inexistants aux yeux de l’université, présents mais invisibles, ils ne comptent pas. Les enseignants ? Mais le veulent-ils ? Acceptent-ils de revoir les bases mêmes de ce système (au risque de se remettre en cause), veulent-ils un consensus médical sur des questions de formation, donc de fond, ou préfèrent-ils, vaille que vaille, ne rien faire, en acceptant d’un air résigné « ce mal nécessaire » et en attendant... la seconde année ?

Les médecins ? Miraculés eux-mêmes de ce système, confrontés à d’autres soucis, enjeux, ou intérêts, sans doute très diversifiés eux-mêmes dans leurs trajectoires respectives, sans instance de dialogue organisé avec le système de formation médicale, quel espoir de ce côté-là ?

Les malades ? Peut-être...

Le téléphone sonne. C’est Marie...

Laurent B.

(Texte envoyé en juin 2005 ; mis en ligne le 9 octobre 2005 )

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