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"Les Trois Médecins" : un roman d’aventures et de formation (médicale)

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Les médecins, les patients, et tout ce qui s’ensuit... > Questions d’éthique >


Relation de soin, témoignage et confidentialité
par Marc Zaffran/Martin Winckler
Article du 15 mai 2009


Un courrier reçu il y a quelques mois, m’a conduit à réfléchir aux écueils éthiques que peut rencontrer le soignant qui témoigne de son expérience, que ce soit par la fiction, par un récit documentaire ou des mémoires, ou par l’intermédiaire du cinéma ou de la télévision. Un certain nombre de choses qui me paraissent évidentes ne vont, évidemment, pas de soi pour tout le monde, et quand on pense tout seul dans son coin, il est facile d’avoir des certitudes. Toutes les réactions sont donc les bienvenues.

« Est-ce que vos patients se sont reconnus ? »

On m’a souvent demandé si « mes patients » s’étaient reconnus en lisant La Maladie de Sachs, roman qui retrace la vie quotidienne d’un petit village et du médecin généraliste qui y exerce. Cette question m’a toujours à la fois étonné et fait sourire.

Elle m’etonne d’abord parce que LMDS est clairement un roman, c’est-à-dire un ouvrage de fiction. Le terme figure sur la page, le principal protagoniste, même s’il véhicule mes valeurs, n’est pas moi, ni par l’âge, ni par la vie personnelle, ni par la psychologie (je me marre beaucoup plus que lui). Les figures de son entourage sont parfois inspirées par certains de mes proches, mais ceux-ci n’ont pas vécu ce que je fais vivre aux personnages de ce livre et du roman suivant qui les met en scène, Les Trois Médecins.



La composition de ces livres n’a rien de documentaire : elle joue avec les narrateurs, le temps, les mises en suspens, les formes et, à la fin, avec un soupçon de fantastique... Enfin, un œil un peu attentif (et parmi les lecteurs, il y en a eu beaucoup) remarque très vite que tous les personnages, ou presque, portent des noms d’écrivains : Madame Renard, Madame Destouches, Monsieur Deshoulières, Madame Leblanc...

Tout cela est visible, lisible, sans avoir besoin de connaître l’auteur ni de savoir où il a exercé, ni même s’il est médecin. D’ailleurs, certains lecteurs, qui n’en étaient pas sûrs, m’ont posé la question, ce qui montre bien que ça n’allait pas de soi.

La question de la « reconnaissance » me fait sourire aussi parce que, lorsque le roman a paru, je n’exerçais plus à la campagne depuis plusieurs années. J’ai quitté mon cabinet médical au bout de dix ans d’exercice, le 31 mars 1993 ; LMDS a été publié en janvier 1998 et n’a commencé à avoir un large public qu’à partir du mois de mai de la même année (après le Livre Inter). Cela faisait un bon moment que je n’étais donc plus du tout en contact avec les patients que j’avais suivis ou soignés, je n’avais plus accès à leurs dossiers, je ne savais plus rien de leur vie. Même si j’avais puisé dans mon expérience, le passage du temps était le plus sûr garant du caractère romanesque de mon livre.

Bien sûr, au fil des mois, à l’occasion de signatures dans ma ville ou ma région, quelques personnes sont venu me rapporter qu’elles avaient « reconnu » (ou qu’on leur avait dit avoir reconnu) telle ou telle personne réelle parmi les figures que ce roman met en scène. Chaque fois que je demandais lesquelles, la reconnaissance était fausse (il s’agissait d’un personnage inventé de toutes pièces), ou il s’agissait d’une reconnaissance presque inévitable : « Madame Renard », pilier du cabinet médical de Bruno Sachs, est un archétype, dont il existe de nombreux exemples à travers la France. À tel point qu’à son propos, en particulier, beaucoup de confrères m’ont déclaré : « Comment as-tu fait pour décrire mes patients ? »

Reconnaissance et identification

LMDS s’est vendu à près de 600 000 exemplaires. On compte, en moyenne, trois lecteurs par exemplaire vendu. Il est probable que, dans le département de la Sarthe, et tout spécialement dans le canton où j’ai exercé, le livre a été beaucoup lu. En dix ans - je doute donc que cela arrive un jour - personne ne m’a adressé ne serait-ce qu’un courrier de reproches pour me dire « Vous avez révélé mon secret » ou « Vous avez livré ma vie intime en pâture à des étrangers ». Cela ne prouve évidemment pas qu’aucun lecteur ait rien ressenti de tel, mais j’ai quelques éléments qui vont tout de même dans ce sens. En effet, pendant le même temps, j’ai reçu les lettres vigoureuses de personnes choquée que parmi les quatre dédicataires figure le nom d’un assassin ; d’autres émus d’y reconnaître le nom d’un de mes amis, jeune médecin ayant mis fin à ses jours ; d’autres me reprochant mon agressivité à l’égard de mes confrères ; plusieurs autres encore s’indignant ou s’étonnant que dans un des derniers chapitres je « massacre » (à leur avis) le Kaddish, la plus connue des prières juives.

Puisqu’il s’est trouvé des lecteurs pour me reprocher des intentions réelles (ce livre contient beaucoup d’agressivité vis-à-vis de mes confrères), des projets imaginaires (je n’ai pas voulu « massacrer » le Kaddish, mais le transformer à ma manière en manifeste de révolte et d’espoir) et un fait notoirement connu dans mon département (mon beau-père, Christian Koenig, a disparu en 1992 après avoir tué son ex-compagne), il est vraisemblable que mes anciens patients n’auraient pas hésité à dénoncer la moindre violation de confidentialité à leur égard.

À la question « Est-ce que vos patients se sont reconnus ? » je ne peux donc répondre que ceci : « C’est bien possible, d’autant que beaucoup de lecteurs qui n’étaient pas mes patients se sont reconnus dans mon livre. Mais tout le monde peut « se reconnaître » dans un texte, même s’il a été écrit dans un autre pays, une autre langue, à une autre époque.
Ce qui importe n’est pas qu’un lecteur « se reconnaisse » dans un personnage, c’est qu’un lecteur - ou l’un de ses proches - découvre, sans aucun doute possible, qu’il est question de lui et de personne d’autre - autrement dit, que l’auteur le désigne, lui et personne d’autre de manière indiscutable. Si tel est le cas, il y a bien viol de la confidentialité.

Je n’ai jamais cherché à « raconter les histoires de mes patients » dans mes romans. Dans le premier, La vacation, lui aussi inspiré par mon expérience, je décrit décrit l’activité de Bruno Sachs dans un centre d’interruption de grossesse. Aucun personnage - à l’exception de Bruno - ne porte un nom, et les protagonistes - pour la plupart des femmes - ne sont jamais décrits, sinon par leurs paroles. Mon désir, lorsque j’écris des romans, est de partager des idées et des sentiments, non de désigner des personnes réelles et leurs actes comme autant de bons ou mauvais exemples. Et je n’hésite jamais à « tailler » (réécrire, réinventer, couper, développer, mélanger, métisser) les histoires apparemment « vraies » dont je m’inspire pour en faire une fiction sur mesure.

Ecrire une fiction, c’est travestir la réalité pour mieux en rendre compte

La MDS est bien sûr ancrée dans mon expérience, et s’appuie sur des éléments anecdotiques réels : comme Bruno Sachs, j’ai exercé dans une ancienne salle de classe ; la femme qui assurait mon secrétariat était une perle ; il m’est arrivé de soigner des femmes âgées impotentes qui vivaient seules avec leur fils ou leur fille, etc). Mais il s’agit là d’ « échafaudages », d’éléments « réalistes » auxquels la fiction s’accroche pour mieux proliférer. Lorsque j’écris, je ne vise pas l’« authenticité » des situations, mais la vraisemblance (tel ou tel monologue est-il crédible ?), la cohérence (telle ou telle histoire remplit-elle sa fonction ?) du récit. Mon objectif était d’écrire un bouquin qui tienne debout. Les histoires racontées dans mes romans « médicaux » (La Vacation, La Maladie de Sachs, Les Trois Médecins) sont pour certaines inventées, pour d’autres inspirées de faits réels, pour d’autres encore, adaptées de récits qu’on m’a faits. Aucune n’est jamais la transcription pure et simple d’une histoire vraie.
La réalité dépasse souvent la fiction, mais la réalité ne livre presque jamais des histoires toutes faites. Tout travail de fiction s’inspire d’histoires vraies - même Madame Bovary... Mais pour leur donner du sens, l’écrivain les travaille, les transforme, les modifie. Écrire de la fiction, c’est « raconter des histoires » - autrement dit, travestir la réalité. Pour en faire des fictions qui tiennent debout, un écrivain réinvente toujours les histoires qu’il a entendues ou vécues. Et le fait que cet écrivain soit médecin ou professionnel du soin n’y change rien. En écrivant de la fiction, je n’ai donc jamais eu peur, de « révéler » ce que m’avaient confié les patients : mes fictions prennent beaucoup trop de liberté avec leur réalité...

Il est naturel pour un soignant de partager son expérience...
Puiser dans son expérience pour raconter des histoires est, pour un professionnel de la relation, une démarche non seulement spontanée, mais consubstantielle à son métier. Avec les hauts et les bas de la pratique, les histoires que les patients confient - non par leur anecdote, mais par le sens qu’ils leur donnent et que nous croyons y voir - constituent non seulement le matériau du soignant mais aussi son outil de formation. Car l’expérience du soignant est faite pour être partagée, afin de profiter aux patients et aux soignants en puissance. Quand un soignant raconte une histoire (un « cas », comme on dit dans les groupes Balint), le nom et l’identité des personnes n’ont pas d’importance, il est même plus constructif de les oublier, car ce sont la démarche, les tribulations, les comportements, les interrogations, les erreurs, les paroles et non les personnes qui ont valeur d’exemple.
Ce travail de transmission de l’expérience a évidemment lieu au sein même des groupes professionnels, mais il peut régulièrement en sortir et prendre soit la forme d’une fiction (c’est celle que j’ai choisie) soit celle d’un document ou d’une émission documentaire. La télévision, en particulier, est friande de ce type d’émissions, qui traitent aussi bien de la médecine la plus spectaculaire et la plus technologique que des domaines les plus mal connus ou les plus tabous. Pour parler de la mort ou de la sexualité, il est plus « attractif » de faire parler un médecin que d’interroger un historien, un sociologue ou un ethnologue. Et beaucoup de médecins ne demandent pas mieux que de s’exprimer face à une caméra.

... mais livrer le nom ou le visage d’un patient est contraire à l’éthique

Il m’a cependant toujours semblé évident que lorsqu’un médecin entreprend un travail documentaire (témoignage, récit, reportage) fondé sur son exercice professionnel il lui est, en toute circonstance, moralement interdit de dévoiler le nom ou le visage des patients à qui il a eu affaire.

Ainsi, pendant la préparation du documentaire de Marie Agostini, L’école de médecine, je me suis déclaré ouvertement hostile à ce qu’on montre des patients. Dans mon esprit, ce documentaire était consacré à la formation des médecins et à leurs relations avec leurs enseignants, et je ne voulais pas que des patients y soient montrés dans les situations de cobayes ou de tiers muet qui sont souvent leur lot. La productrice et la réalisatrice n’étaient pas de mon avis. De fait, elles ont montré le visage de certains patients, en ont nommé d’autres, après avoir obtenu leur autorisation m’ont-elles assuré. N’ayant participé ni au tournage, ni au montage, je n’ai pas eu mon mot à dire. Mais entendre le nom de certains malades dans la bouche des médecins, et voir le visage de certains autres sur leur lit de souffrance, cela m’a mis profondément mal à l’aise et je l’ai écrit aux auteurs du film. Il en va de même pour tous les films, émissions, documentaires ou reportages au cours desquels on montre un(e) ou des patient(e)s à visage découvert en situation face à un médecin. Je pense qu’un soignant ne devrait jamais se prêter à ce jeu de représentation. Si le patient a quelque chose à dire dans la scène, personne n’oblige à le montrer ; on masque bien le visage des personnes dont on veut préserver le témoignage. Ici, il s’agit de préserver son anonymat. Si le patient désire se montrer à visage découvert, alors c’est au soignant de ne pas se montrer avec lui, puisque de fait, sa présence à ses côtés indique qu’ils entretiennent une relation thérapeutique.

Malgré de nombreuses sollicitations, j’ai toujours refusé de me mettre dans cette situation, comme je me suis toujours refusé, dans mes livres de non-fiction, à nommer mes patients ou à donner des éléments qui permettent de les identifier. Qui consulte un médecin, qui ce médecin reçoit, cela ne regarde personne.

Il me semble donc que, lorsqu’il écrit un document (un livre contenant des témoignages ou des récits présentés comme avérés et concernant des personnes réelles), le soignant qui livre le nom des patients qu’il a eus à soigner commet toujours une transgression de la confidentialité et ce, que le patient lui donne son accord ou non.

C’est une transgression de la confidentialité pour une raison simple : le secret professionnel est absolu. Seule l’autorité judiciaire - et encore, dans certains cas - peut amener un soignant à le transgresser. Les informations de caractère privé auxquelles ma fonction de soignant me donne accès ne m’appartiennent pas. Il ne m’est pas possible de les livrer à autrui ni même de révéler à un tiers qui sont les personnes que j’ai soignées. Car le secret s’applique aussi à l’identité des patients. Autrement dit : si une personne m’appelle simplement pour me demander si une autre m’a consulté, je n’ai pas le droit de lui répondre. Un patient peut très bien ne pas vouloir que quiconque sache qu’il me consulte, moi - voire même qu’il consulte un médecin, tout court.

Je postule ici que la confidentialité de ce qui m’est livré en consultation est garantie par l’engagement que je ne révèlerai jamais à quiconque qui entre dans mon bureau, qui fait appel à moi, qui je soigne, qui j’écoute. Même lorsqu’une personne me choisit ouvertement comme soignant (comme le font la majorité des patients en s’asseyant parmi les autres dans la salle d’attente), je ne me permets pas, pour autant, de dire à ma propre compagne : « Tiens, Madame Durand, vous savez, la mère du copain de [nom d’un de mes enfants] est venue me voir en consultation ce matin. » Ça ne la regarde pas.

Seule cette discrétion absolue sur l’identité des personnes peut garantir que leurs confidences seront soigneusement préservées. Je prends un exemple tout simple : lorsque je travaillais au centre d’IVG, il arrivait qu’un mari appelle pour demander si sa femme était bien venue en consultation le matin. Le simple fait de répondre « oui » ou « non » était un viol du secret. En effet, une consultation dans un centre d’IVG n’a rien de « neutre », en soi. La seule réponse possible était donc : « Je n’ai pas le droit de vous donner d’information sur les personnes qui consultent ici. » Je ne procédais d’ailleurs pas autrement dans le cadre de mon propre cabinet médical lorsque quelqu’un me demandait, l’air de rien et de manière parfaitement naturelle, si j’avais vu (ou si je soignais) son fils, sa cousine ou son voisin. Je répondais que je ne pouvais pas répondre. Et je précisais que si quiconque m’appelait et me demandait au téléphone qui se trouvait devant moi en cet instant, mon interlocuteur attendait certainement que je taise son identité.

La confidentialité commence par le respect absolu de l’identité du patient : des situations concrètes comme l’accouchement sous X, le dépistage anonyme du VIH ou la délivrance anonyme d’une contraception d’urgence le démontrent parfaitement. Non seulement un soignant n’a pas à livrer l’identité de celui qu’il soigne, mais il n’a même pas le droit d’exiger de la connaître. La délivrance des soins n’est en aucune manière assujettie à la révélation de l’identité du soigné.

Que le secret professionnel protége par-dessus tout l’identité du patient me semble ne souffrir aucune exception et pourtant, les situations courantes où les médecins violent ce secret en révélant, directement ou non, l’identité de leurs patients, sont nombreuses. Quelques exemples parmi d’autres :

Une personne plus ou moins connue (mettons : un acteur ou un homme politique) est hospitalisée pour un problème de santé. Le médecin hospitalier qui s’occupe de lui révèle à la presse de quoi il souffre, dans quel état il est, quel est le pronostic, etc. Il y a là viol caractérisé du secret professionnel. Si le patient lui-même ou sa famille veulent parler à la presse, c’est leur affaire. Pour autant, le médecin n’a pas à servir de porte-parole... d’autant que tout médecin est déjà tenu au secret à l’égard des familles  ! Je sais, c’est rude, mais c’est comme ça. Et pourtant, nombreux sont les médecins qui foulent au pied cette règle sans la moindre hésitation...

Un soir, la gendarmerie de mon canton m’appelle pour me demander si j’ai soigné la nuit précédente une personne pour plaie par arme blanche. Je réplique que je ne peux pas donner de réponse à cette question et je m’étonne qu’on me la pose : je suis lié par le secret professionnel ! Or, le simple fait de répondre oui ou non peut aider, par élimination, à identifier la personne recherchée. L’officier de gendarmerie qui m’a appelé me répond alors : « Ah, Docteur, je suis très étonné : la plupart de vos confrères n’hésitent jamais à nous répondre... »

Depuis que je suis un écrivain-médecin « connu », je ne compte pas le nombre de fois où j’ai reçu des appels de producteurs de télévision me demandant de les aider à prendre contact avec des personnes ayant souffert de telle ou telle maladie. J’ai toujours systématiquement répondu que je ne fais pas de rabattage de patients. À mon sens, toute situation dans laquelle un médecin accepte d’apparaître (d’être photographié, filmé, enregistré, interrogé) face à ou aux côtés d’un patient qu’il a personnellement soigné est, de la part de ce médecin, un manquement à l’éthique et à l’obligation de confidentialité. J’ai souvent entendu mes interlocuteurs dire : « Ah, mais vos confrères le font pourtant couramment... Et si c’est vous qui le demandez au patient de participer... ? » ajoutent-ils. Ils ne comprennent pas que si je demande pour eux à un patient de participer à une émission, je commets encore un manquement à l’éthique !

Qu’il le veuille ou non, le soignant est en position d’autorité et de confiance. Par conséquent, quand « son » soignant l’invite à témoigner, le patient peut avoir quelque difficulté à refuser. Il peut décider d’accepter par timidité, par gratitude ou tout simplement par manque de recul, s’il n’a pas pris la pleine mesure des conséquences que ce témoignage peut entraîner.


Les situations dans lesquelles un soignant est autorisé par la loi à transgresser le secret professionnel sont rares et très précises : par exemple le signalement aux autorités des maltraitances envers un mineur est autorisé (mais pas obligatoire...) ; en revanche, l’annonce de la séropositivité d’un(e) patient(e) à son/sa conjoint(e) est interdite.

S’il est inacceptable de révéler à un proche l’identité d’un patient séropositif ou atteint de quelque maladie que ce soit, il est tout aussi inacceptable, à mon avis, de faire sortir un patient de l’anonymat ou de le pousser à en sortir, quel qu’en soit le motif. La relation de soins est une relation de confiance, et cette confiance interdit toute manipulation, directe ou indirecte. Les journalistes et les gendarmes ont certes un travail à faire mais les soignants n’ont pas à se mettre à leur service, pas plus qu’ils n’ont à se mettre au service des compagnies d’assurances qui demandent les causes d’un décès ou d’un père qui demande si sa fille a déjà eu des rapports sexuels.

La confiance accordée par le patient n’est pas un blanc-seing ; le soin n’est pas une « faveur » en échange de laquelle le soignant peut tout se permettre. Si le respect de la confidentialité et la préservation de l’anonymat est une condition indispensable au secret professionnel du soignant, il est contraire à l’éthique de demander ou de suggèrer à un patient d’apparaître nommément ou en photographiquement dans son livre, et d’exposer ainsi, aux yeux de tous, la situation ou la maladie préalablement confiée sous le sceau du secret.

Le fait que le patient donne son accord pour figurer dans le livre d’un soignant n’est en rien une absolution, car le manquement à l’éthique est commis dès que le soignant demande au patient son accord pour l’exposer dans son livre. Cette demande, en soi, est en effet inacceptable puisqu’elle consiste à instrumentaliser le patient et sa maladie, tout autant que les « expositions de patients » des années 70. [1]

Les soignants (et en particulier les médecins) sont souvent prompts à dénoncer les les patients qui les manipulent Cette situation n’autorise pas les soignants à les instrumentaliser en retour !!!

Certes, pour une personne qui souffre ou qui a souffert, il est tentant de figurer à visage découvert dans le livre d’un soignant ; le malade peut le percevoir (consciemment ou non) comme une mise en valeur... Mais les conséquences de de cette mise en avant sont constamment imprévisibles et personne - pas plus le soignant qu’un autre - ne peut les anticiper ou les maîtriser. Or, ce qui peut légitimement être redouté d’une fiction peut encore plus l’être d’un « témoignage », surtout si ce témoignage donne des noms et montre des visages !!!

La fiction ou le témoignage sont des actes indispensables pour qu’un soignant puisse partager ses expériences et contribuer à l’information éclairée des citoyens et à la formation d’autres soignants. Mais à mon humble avis, ce partage n’autorise jamais le soignant qui écrit à révéler l’identité des personnes, que ce soit pour valider, pour justifier ou pour « illustrer » ses propos.

Martin Winckler

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[1Voir l’article authentique du Monde repris p. 384 de Les Trois Médecins, P.O.L, 2004 : Claire Brisset y rapportait que chaque année, dans un CHU parisien, des patients atteints de maladies rares de la peau étaient exposés en rang d’oignon pour assurer la « formation permanente » des dermatologues...

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