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L’éthique dans les séries télé : une émission radio hebdomadaire en ligne sur Radio Créum

Les séries TV et le soap opéra

Conférence donnée à l’université de tous les savoirs le 17/04/2004.


Voir aussi :

Séries télévisées
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Radio et télévision > Séries télé >

Ailleurs qu’en France...
Les téléfictions sont plus libres, plus engagées, plus subversives que les émissions d’actualité
par Marc Zaffran (Martin Winckler)
Article du 2 avril 2009

Pour faire passer des idées et questionner la société, les fictions télévisées sont plus puissantes et plus libres que les débats en plateau, les sujets d’information et les reportages documentaires.


À la suite d’une courte présentation, à Radio-Canada, du feuilleton « Ethique en séries » que Daniel Weinstock et moi-même animons sur Radio CREUM, j’ai été interrogé par une journaliste de La Presse sur l’importance des téléséries pour la propagation des idées.
Deux heures plus tard, je discutais avec Manuel Toscano-Méndez, un de mes collègues, chercheur invité au CREUM, et au fil de cette deuxième conversation, j’ai formulé quelques idées expliquant pourquoi, à mon sens, la fiction télévisée est plus puissante, plus pertinente et plus libre que les débats, les sujets d’actualité et les documentaires pour véhiculer des idées, des valeurs éthiques, et des confrontations de point de vue.

Toutes les émissions de « non-fiction » mettent en œuvre un dispositif qui nécessite de faire appel à des personnes ou à des situations réelles. Pour aborder un sujet, il faut pouvoir mettre devant une caméra ou sur un plateau des personnes qui peuvent en parler, émettre des points de vue discordants, en débattre et tirer de cette confrontation ou de leurs exposés de quoi nourrir une réflexion. Or, ce qui pourrait apparaître comme un atout (faire parler des « spécialistes ») est aussi un écueil extrêmement fort, pour plusieurs raisons :

 dans un sujet d’actualité, le choix de la durée, de la personne interrogée, de la forme et de la place chronologique accordée au sujet peut varier du tout au tout d’une journée à l’autre selon les autres informations à délivrer ; si la France gagne le Mondial, ou si N. Sarkozy fait une « tournée express en Afrique » tout le reste passe à la trappe ; est-ce qu’un sujet sur les manipulations de l’industrie pharmaceutique pour faire bouffer des anti-cholestérol aux femmes (chez qui le cholestérol n’EST PAS un facteur de risque) sera diffusé en première partie ? Non, bien sûr.
 dans un débat en plateau le choix des intervenants peut être biaisé par l’appartenance des journalistes à des réseaux susceptibles de favoriser cooptations et exclusion ; en quoi un débat entre deux « personnalités » bien connues du public peut-il être plus éclairant que le choix de deux personnes inconnues ayant une bonne connaissance du terrain ? Si l’on prend l’exemple de la médecine générale en France, par exemple, le choix de représentants des syndicats dits « représentatifs » ne favorise en rien l’expression des problèmes réels de la population générale ou de celle des généralistes de terrain, car deux des trois principaux syndicats français sont depuis toujours inféodés aux intérêts des spécialistes et se comportent en défenseurs d’intérêts corporatistes, pas en défenseurs du bien commun ou de la santé de la population ;
 en tournant un documentaire, le cinéaste est obligé, lui aussi, de s’appuyer sur la réalité : s’il veut enquêter sur la situation des immigrés à Sangatte, il lui faudra faire agréer le sujet par sa direction, se battre pour avoir les autorisations de filmer, trouver des personnes qui acceptent de témoigner, et... une case pour diffuser son doc.

42 minutes de liberté hebdomadaire

Par comparaison, une série hebdomadaire (ou une série quotidienne comme Virginie, à Radio Canada), peuvent aborder tous les problèmes de société au quotidien, l’éthique médicale (pensez à ER/Urgences qui nous a dit au revoir le jeudi 2 avril 2009 après 15 saisons de réflexion sur le soin et à House, qui est bien partie pour durer), la loi l’ordre et la justice (Law & Order, ses spin-offs et toutes les séries de David Kelley) et tout plein d’autres sujets sans contraintes autres que narratives :
 les sujets ne sont pas limités : tout ce qui est abordé dans les émissions d’actualité peut l’être dans la fiction, et même de manière plus approfondie, plus nuancée, plus durable ; (c’est fou ce qu’on peut dire en 22 fois 42 minutes...)
 les personnages peuvent être aussi variés qu’on en a besoin : si le scénariste veut opposer un créationniste fervent à un darwiniste militant, il le peut sans craindre de fâcher la direction de la chaine. Ce sont des personnages de fiction.
 les points de vue peuvent être aussi extrêmes qu’on le désire : faire parler un assassin ou une victime de viol, un raciste du Ku-Klux-Klan ou un partisan du suicide assisté, c’est beaucoup plus facile dans une fiction qu’en débat public ; ainsi, ce sont les fictions qui ont les premières donné la parole aux défenseurs de l’avortement légalisé, aux patients atteints de Sida, aux femmes victimes de violence, aux sans papiers... sans avoir besoin de flouter leur visage ou de craindre pour leur image ou leur sécurité.

La fiction : espace de liberté de pensée et d’expression

Il n’est pas question de dire que les séries sont « plus réelles » que les émissions d’information, les débats ou les documentaires. Ce que je veux dire ici c’est que la liberté des scénaristes est infiniment plus grande que celle des journalistes(et encore plus quand la série a du succès et lorsque, comme c’est toujours le cas aux Etats-Unis, la chaine fiche la paix à ceux qui la produisent de peur de « casser le mécanisme »).

Dans les pays où on respecte le public et où on produit des fictions télévisées exigeantes (je pense aux USA, au Royaume-Uni, au Canada, et aux internautes qui connaissent d’autres pays, merci de me dire que c’est vrai ailleurs) :
 beaucoup de téléfictions sont écrites collectivement, ce qui leur donne un volume et une épaisseur que peu de films, de romans et de pièces de théâtre peuvent revendiquer.
 les meilleures téléfictions sont en constante prise avec la réalité et interpellent constamment la situation sociale, politique, idéologique du monde où vit son public ;
 les meilleures téléfictions n’ont que faire du politiquement correct ; les meilleures téléfictions donnent la parole aux plus démunis ;
 les meilleures téléfictions prennent position contre tous les abus de pouvoir.

La France, pays de censure des téléfictions : les siennes...

Dans les pays où la télévision ne peut pas produire des fictions ayant ces caractéristiques (la France...), la raison est claire et simple.

Les gouvernements totalitaires ou simplement autoritaires (voyez les manœuvres actuelles destinées à remplacer les directeurs de Radio France et de France Inter) cherchent toujours à contrôler les informations, l’actualité et même les émissions dites « culturelles » en particulier à la télévision (mais on a vu aussi des chroniqueurs se faire évincer de France Inter et de France Culture pour n’avoir pas été politiquement correct...)

Ils ne cherchent pas à contrôler ce qu’ils considèrent comme vulgaire et sans intérêt. C’est pourquoi, pendant très longtemps, à l’époque du Gaullisme ou de nouveau pendant les premières années de pouvoir de la Gauche, la fiction télévisée française pouvait être incisive, drôle, sarcastique et satirique : revoyez donc les Shadoks ou Monsieur Cyclopède ou Merci Bernard ou Palace et demandez-vous pourquoi des téléfilms épatants du début des années 80 (dans la collection Série Noire en particulier) ne sont jamais rediffusés.

Et au cours des vingt dernières années (depuis le retour de la droite au pouvoir) très peu de fictions télévisées françaises peuvent se vanter d’avoir autant d’impact que les fictions du monde entier que montraient encore, jusqu’à l’an dernier, les Rencontres Internationales de Télévision de Reims [1].

Si la France produit très peu de téléfictions engagées et qui émettent une critique sociale, c’est parce que les scénaristes qui voudraient le faire ne le peuvent pas. Les châines (toutes les chaînes) refusent a priori les séries qui pourraient sembler critiquer les pouvoirs en place. Elles refusent les sujets "chauds". Elles écartent les scénaristes ou les auteurs "contestataires".

... et celles des autres

Mais plus grave encore : elles censurent les fictions étrangères. Soit en les ignorant ; soit en les coupant ou en modifiant les dialogues.

Entre 1955 et 1986, nombre de séries médicales et judiciaires américaines (ayant toujours une dimension de critique sociale) et d’innombrables téléfilms britanniques [2] n’ont jamais été diffusés à la télévision française, qui programmait pourtant des westerns et des séries policières américaines. Ce n’était donc pas seulement de l’anti-américanisme primaire. Et elle ne s’est pas privé de diffuser Dallas au début des années 80 en la présentant comme "ce que l’Amérique pouvait faire de pire", mais en omettant soigneusement de relever qu’il s’agissait, pour les Américains, d’une série satirique, et non d’une série mettant en scène des personnages "modèles".

Au cours des années 70 et 80, la télévision française a "réécrit" les dialogues de séris comme Starsky et Hutch pour en faire disparaître, par exemple, toute référence implicite ou explicite à l’homosexualité de certains personnages.

Il y a quelques années, France 2 censurait des dialogues de Urgences entre Alex Kingston et une adolescente de 12 ans qui déclarait ouvertement avoir des rapports sexuels volontaires (et non imposés). Pas politiquement correct pour les responsables de France 2, sans doute.

En 2004 TF1 censurait avant diffusion un téléfilm historique [3], et continue à ce jour à réécrire les dialogues de House ou de Grey’s Anatomy, tandis France 2 diffuse l’extraordinaire et dérangeante série québécoise Minuit le Soir en la doublant en « bon » français !!! Quel mépris pour les auteurs et les spectateurs, qu’ils soient français ou vivent dans le pays d’origine de la fiction censurée !

Comment ne pas voir dans cette censure de fait la crainte que les fiction nues, sans entraves, n’aient des effets puissants sur le spectateur ? Des effets subversifs.

Oui, tout, y compris la censure, indique que les fictions télévisées (comme d’ailleurs, le cinéma, le roman et le théâtre) sont plus subversives que les émissions d’ « information ». Et à mon humble avis, la liberté de pensée d’un pays se mesure à la manière dont ses dirigeants contrôlent ce qu’écrivent les auteurs de romans, de films, de pièces ou de séries qui veulent interpeler la réalité politique, sociale, humaine de sa population.

Un pays qui tente de museler les auteurs et les artistes et qui censure, avant production ou avant diffusion, les fictions présentées à son public est un pays menacé de devenir totalitaire.

Martin Winckler
Montréal, le 2 avril 2009

Merci à Manuel Toscano-Méndez pour son écoute lumineuse.


[1que la nouvelle municipalité de gauche a supprimées, démontrant que la bêtise des politiciens est de tous les bords...

[2Les fictions les plus audacieuses en Europe sont produites en Grande-Bretagne. Vous ne les voyez pas.

[3Voir, sur ce même site, l’affaire du téléfilm Hitler, La Naissance du Mal

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