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Le médecin patraque, 7
« Ne vous en faites pas, mon vieux : cancer ou pas, au point où vous en êtes... »
Un médecin raconte son cancer...

7 janvier 2011

Le médecin patraque est un médecin écrivain de grande expérience. Sa dernière expérience en date : un cancer. Il nous en parle à tous, médecins et non-médecins. MW
PS : Oui, c’est un médecin réel (et non, ce n’est pas moi) Son pseudonyme est destiné à lui permettre de prendre du champ.


Avec un recul de près d’un an depuis que mon cancer a été décelé, je prends progressivement conscience de l’absurdité de le considérer « en soi », hors tout contexte, comme je l’avais fait au début.

Vers la cinquantaine, j’ai dû abandonner le tennis, auquel je jouais été comme hiver au moins deux fois par semaine, parce que j’ai commencé, une fois sur trois, à me faire des claquages du mollet, malgré toutes les précautions (terrains en terre battue uniquement, échauffement, garder le pantalon du survêtement...) ; un ami médecin du sport m’a dit qu’il n’y avait rien à faire, que c’était l’âge ; je lui ai dit que j’allais essayer de continuer, il m’a répondu « qu’est-ce que tu essaies de prouver ? » ; j’ai donc abandonné, et je l’ai très mal vécu, car j’avais conscience d’abandonner définitivement, pour la première fois de ma vie, quelque chose d’important pour moi . Depuis, d’autres choses ont suivi ; il est certes banal de changer d’activités : ce qui l’est moins, c’est d’avoir conscience que chaque abandon (contraint, et non choisi) est définitif.

Vers la soixantaine, comme presque tout le monde, je suis devenu presbyte et j’ai dû porter des lunettes, d’abord uniquement pour lire, puis en permanence lorsqu’un astigmatisme et une hypermétropie s’y sont ajoutés : première prothèse de ma vie. Depuis, d’autres ont suivi (implants dentaires, et, depuis peu, prothèse auditive) ; je ne suis certes pas encore totalement prothétique, mais...



J’ai pris avec satisfaction, et même enthousiasme, ma retraite de cardiologue (j’avais commencé à exercer jeune, à 28 ans) pour me lancer dans un métier totalement différent ; cela a duré plusieurs années, mais s’est terminé à la suite de sombres histoires de rachats d’entreprises.

Je suis devenu enseignant en santé publique ; et puis, un beau( ?) jour, à 65 ans, on m’a dit qu’on ne pouvait plus, statutairement, me payer , mais que je pouvais continuer à le faire de façon bénévole, ce que j’ai accepté (c’était au moment de la réforme Fillon des retraites, accompagnée d’un discours sur la nécessité d’accepter, à partir d’un certain âge, de changer de métier, de gagner moins, etc. ; je lui ai écrit pour lui dire que c’était un beau discours, et qu’il restait à l’appliquer dans l’administration...Sa réponse a mis en émoi l’organisme dans laquelle j’enseigne, mais n’a rien changé à ma situation). Depuis, j’ai exercé des tas d’ autres activités entièrement nouvelles pour moi : j’ai écrit cinq livres (pour des droits d’auteur symboliques) qui m’ont valu des passages à la radio et à la télé, j’exerce le métier nouveau pour moi de chroniqueur sur le site Internet d’un grand hebdomadaire, j’ai eu des responsabilités au Secrétariat National d’un parti politique, etc., mais toutes ces activités ont un point commun : sources de grandes satisfactions personnelles et de grands bénéfices secondaires pour mon ego, elles sont, elles aussi, toutes bénévoles. Ce qui est une façon très claire de la société de me signifier qu’elle me laisse m’amuser, mais qu’elle n’a plus besoin de moi : ma valeur marchande est devenue nulle.

Et mon cancer ne survient que comme la cerise sur le gâteau, venant couronner un processus de dégradation physique et sociale entamés depuis longtemps ; il fallait bien que quelque chose arrive un jour, et, si ce n’avait pas été un cancer, ç’aurait été un accident vasculaire cérébral, un infarctus, une rupture d’anévrysme, etc. (d’ailleurs toujours possibles : les cumuls sont autorisés).

Et j’ai bien compris que mon cancer n’avait absolument pas la même importance, la même signification, que le cancer d’un enfant, ou celui d’un adulte en pleine activité physique ou professionnelle ; et que la question importante n’est pas « est-ce un cancer ou pas ? », mais « un cancer, c’est possible : mais chez qui ? ».

"Le médecin patraque"

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