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Comment annoncer une mauvaise nouvelle...
Témoignages d’auditeurs et de lecteurs (1)

6 mars 2005

La lecture ou l’écoute de ma chronique d’Arteradio.com sur l’annonce d’une mauvaise nouvelle par un médecin a suscité de nombreuses réactions. Voici les premières. J’ai également reçu d’une jeune femme médecin un résumé fort intéressant de son mémoire de thèse, consacré à ce même sujet. Elle y décrit l’attitude des médecins français (vus par eux-mêmes !) et le moins qu’on puisse dire, c’est que le bilan n’est pas fameux. D’autres témoignages affluent venant de personnes de tous horizons, patients et soignants, et elles donnent à penser qu’on n’a pas encore assez parlé de cet aspect très particulier du travail du médecin. A noter que ces séances de formation des étudiants de troisième année de médecine, consacrées à l’annonce d’une mauvaise nouvelle, auxquelles j’ai participé dans une des facs parisiennes, n’existent pas encore partout en France...
Merci à tous et à toutes pour ces contributions présentes et à venir.
MW




Pouvoir médical

La lecture de votre conférence aux étudiants en médecine me pousse à écrire sur un sujet qui m’a tellement bouleversée à l’époque. Mon père est mort il y a trois ans d’un AVC, il avait 83 ans. Plus d’un an auparavant, il avait eu une "alerte" un peu plus corsée que les autres, il avait dû être hospitalisé et il avait mis du temps à "revenir à la surface", nous avions eu très peur. A la suite de cette hospitalisation, ma soeur a un jour accompagné ma mère au RV que lui avait donné un des neurologues qui s’était occupé de mon père. Celui-ci n’était pas présent à ce RV.

Ce médecin, dont le souvenir me fait encore frémir, a reçu une vieille dame de plus de 80 ans, extrêmement fragilisée par ce qui arrivait à son mari, extrêmement angoissée par ce qu’on allait lui annoncer, extrêmement impressionnée par le "pouvoir médical". Il l’a reçue et il lui a dit, sans sourciller, que son mari allait devenir "sénile et grabataire" et qu’il n’y avait rien à faire, qu’elle devait s’y attendre. Ma soeur a été très choquée par la crudité de l’annonce et du vocabulaire mais dans l’émotion n’a pas pu réagir. Elle m’a ensuite téléphoné pour me raconter l’entrevue et pour me dire qu’à son grand soulagement, Maman ne semblait pas avoir enregistré les mots du médecin.

Nous avons réalisé par la suite que ces mots avaient été tellement VIOLENTS à entendre pour elle qu’elle les avait immédiatement refoulés dans son inconscient de vieille dame paniquée. Nous n’en avons jamais reparlé devant elle.

J’ai écrit une lettre à ce médecin, je lui ai expliqué à quel point il avait été violent dans le choix de ses mots, je lui ai dit qu’à mon avis, on ne parle pas à une dame de 80 ans très angoissée et très perturbée comme on parle à ses confrères, qu’on peut choisir ses mots sans pour autant mentir, que "sénile et grabataire" sont des mots peut-être justes médicalement parlant mais terriblement chargés d’angoisse pour le commun des mortels, que moi-même en tant qu’enseignante, si j’avais quelque chose de difficile à dire à des parents sur un enfant, je choisissais mes mots pour qu’ils soient justes mais aussi "recevables" à ce moment-là de leur histoire pour les gens que j’avais en face de moi et pour qui tout faisait sens avec beaucoup d’acuité. Je lui ai dit qu’il était certainement un bon neurologue mais malheureusement un très mauvais psychologue et qu’il oubliait d’être à l’écoute de l’angoisse des gens qu’il avait en face de lui. Je n’ai jamais reçu de réponse, le mépris le plus total...

Quand mon père, un an et demi plus tard, est venu mourir dans ce même hôpital, nous avons eu affaire à un autre neurologue, quelqu’un d’humain, d’attentif, qui a su nous dire la vérité : "Votre père va mourir", et ce n’est pas rien, mais qui a su le dire en nous accompagnant, qui nous a guidés tout le long de cette agonie qui a duré presque huit longs jours, qui a toujours parlé à mon père comme à un être humain digne alors même qu’il était dans le coma, lui disant bonjour Monsieur Bellet quand il entrait dans la chambre et lui expliquant chacun de ses gestes sur lui. Lui et son équipe nous ont aidés à cheminer ensemble vers cette mort.

Cependant un jour, l’autre neurologue, celui que je souhaitais ne jamais voir, est venu dans la chambre de mon père car il était de garde. J’étais près de mon père inconscient et il m’a dit : " Nous ne nous connaissons pas mais vous êtes celle qui m’envoie du courrier..." J’ai dit oui, j’ai dit aussi que j’attendais toujours une réponse. Alors, il y a eu comme un déversement de haine, j’ai dû sortir dans le couloir tant j’avais honte pour mon père et peur aussi qu’il puisse entendre encore quelque chose dans son presque au-delà, j’ai redit ce que j’avais écrit, il a soutenu avoir employé alors les mots justes, les mots au sens exact, il a dit qu’il n’avait rien à se reprocher dans l’exercice de son métier, il est devenu agressif, hautain, méprisant et complètement paranoïaque, l’équipe médicale dans le couloir était complètement atterrée par l’esclandre qu’il créait devant la porte d’un mourant, on essayait nous de rester calme, de lui réexpliquer qu’il s’agissait juste de faire attention aux gens, il n’écoutait rien, c’était terrifiant.

J’ai réussi à lui dire que mon père avait vécu plus d’un an depuis son dernier AVC, qu’il n’était devenu ni sénile ni grabataire même si tout n’était pas simple depuis et que la mort lui faisait cette grâce finalement de venir le prendre avant de le devenir...peut-être. Comme quoi le cerveau humain comporte encore des secrets inaccessibles aux neurologues et qu’il faut réfléchir avant d’asséner des soi-disant certitudes. Tout cela a été extrêmement douloureux à vivre et j’en porte encore l’émotion, intacte. Je ne peux pas penser à ce toubib sans colère et sans ressentiment. Et si maman avait compris ce qu’il lui avait dit ce jour-là ?

Pardon, Martin, d’avoir été un peu longue. Annoncer une mauvaise nouvelle, c’est difficile. Mais franchement, avoir brillamment traversé 10 ans d’étude pour apprendre à soigner et ne pas être capable de ça : Réfléchir aux mots qu’on va employer et à la manière dont ils vont faire leur chemin, regarder qui on a en face de soi, écouter chez l’autre ce qu’il est capable d’entendre sans être détruit, être bienveillant et attentif...Ce même neurologue était celui aussi qui était capable d’avoir 2 ou 3 heures de retard dans ses RV et de passer, très affairé, devant mes parents humblement assis dans le couloir à l’attendre, sans leur adresser un regard, sans leur dire un seul mot d’excuse...Et pourtant, ils auraient été les premiers à accepter de le plaindre, lui, le type si important et si occupé dont leur sort leur semblait dépendre...

VG


Loupés et bons contacts

J’ai été très heureux d’apprendre qu’on donnait aux étudiants en médecine une sorte de formation sur la façon d’annoncer une mauvaise nouvelle à un patient ou à ses proches. Je suppose (j’espère ?) que cette formation s’inscrit dans un cadre plus large qui est la communication avec autrui selon son caractère propre et celui de son interlocuteur. J’ai des expériences malheureuses et d’autres plus réussies sur ce sujet.

Les loupés : Le chef de service de l’hôpital m’annonce dans le couloir de l’hôpital que ma mère, atteinte d’un cancer du poumon n’en a plus que pour 3 mois maximum. C’était il y a 20 ans, ma mère est toujours là Dieu merci. Elle est un peu fatiguée mais c’est normal avec ce qu’elle a vécu : cancer du sein il y a 15 ans et péritonite il y a 10 ans. Nous ne lui avons bien sûr pas dit ce que ce "chef de service" nous avait dit...

Un demi loupé : mon épouse passe une mammographie, j’attend dans le couloir, elle sort du cabinet du médecin complètement défaite :"Il m’a dit qu’il y avait une chose bizarre et m’a demandé d’attendre dans le couloir. Nous l’avons revu ensuite, il nous a dit qu’il n’y avait pas une seconde à perdre et qu’il fallait voir une clinique de toute urgence. Nous en sommes ressortis plutôt paniqués.

Un bon contact : en apprenant cette nouvelle mon épouse a été voir une nouvelle gynéco car elle n’avait pas confiance dans son ancienne. La nouvelle a été très bien, très pro et très précise, expliquant les alternatives, recommandant une voie à suivre, une clinique réputée sur ce point mais recommandant à mon épouse de prendre plusieurs avis. Elle nous a recommandé le docteur X en nous disant qu’elle avait dans son fichier de nombreuses patientes qu’il avait traitées avec succès.

Un autre bon contact : notre médecin de famille. Très humain, sérieux et rassurant à la fois. Il a dit une phrase que je n’ai jamais oubliée : si ma femme ou ma mère avait le même problème que vous, je la confierais au Docteur X (le même que celui de la gynéco), j’ai toute confiance en lui. Je crois que c’est le genre de message que ma femme souhaitait entendre et ça nous a donné de l’espoir. Je précise que ma femme est très "branchée médecine" et essaye de comprendre.

En résumé ma perception de tout ça :
Ne jamais fermer la porte à l’espoir en disant : vous êtes condamné. Même si le malade le demande : "Docteur dites moi la vérité, je suis prêt à tout entendre."
Essayer de percevoir ce que le malade est prêt à entendre pour "adapter" le message.
J’ai trouvé le coup de la petite phrase "si ça arrivait à ma femme..." très humain. Le médecin fait comme s’il s’impliquait personnellement dans la maladie sans le faire réellement...et heureusement pour lui !
Citer, sans les préciser, des références : "j’ai eu plusieurs cas de ce type..." Ca peut, sinon rassurer, au moins aider un peu à se sentir moins cruellement touché : "Pourquoi ça nous arrive à nous ?".

JYD


Epuisant, mais gratifiant

Petite réaction sur le vif, en tant que médecin généraliste (refusant toujours d’être sous -traitant...!!!) : hier j’ai été causer une heure avec Mr B que je connais depuis 10 ans qui porte un crabe dans son poumon gauche depuis 6 mois, qui le sait, avec qui on a discuté de l’avenir (ou de son absence), pour envisager éventuellement d’arrêter les thérapeutiques agressives pour se concentrer sur tout ce que l’on peut faire pour améliorer son état de santé actuel...et pour cela il fallait bien parler de l’avenir.

Visite faite à reculons... avec exactement toutes les interrogations et les réflexions ressenties dans votre texte acquises au cours de mon "expérience" sur cette situation malheureusement fréquente, et qui porte a s’interroger sur son propre vécu surtout quand il s’agit de patient que l’on connaît depuis longtemps...Il y a 15 jours je refusais de croire que Mme F. pouvait être porteuse d’une turberculose...pourtant tout collait : finalement il eut mieux valu que ce soit cela, c’est probablement un cancer...

J’ai quand même du mal a me retenir devant les patients, sur des attitudes de fuites de certains correspondants devant l’annonce de la maladie et de sa gravité, que j’explique bien par leur propre vécu mais quand on choisit d’être pneumologue ou cancérologue on peut s’attendre au pire quand même.

Un élément positif : Vous enseignez aux étudiants à se poser ces questions et ce dès la 4eme année (soit avant le choix spécialité ou médecine générale) .Cela rend optimiste pour l’avenir (si avenir il y a pour la médecine générale !!!).

Cela est un enseignement éprouvant (je suis maître de stage), et ce sont des consultations très épuisantes...mais gratifiantes (curieux cet impression être impuissant avant et pendant la consultation, et puis d’avoir rendu service après) : Mr B m’a "remercié" a la fin de la consultation d’hier en me disant simplement : maintenant je sais enfin ou j’en suis... (Il avait repris le contrôle de sa vie ?)

GS


Le grand tabou médical

Bonsoir,
J’imagine qu’il n’est pas simple d’enseigner l’annonce d’une mauvaise nouvelle ... mais quelle victoire qu’elle soit enseignée !

A Lyon l’item de l’annonce d’une maladie grave a été dilué dans tout un tas de considérations "relationnelles" traitées par des enseignants qui ne s’étaient, je crois, jamais posé ces questions à eux mêmes ... bref.
Je peux témoigner que cela nous pose question (du moins à certains) ... et c’est vrai que ça fait peur d’être un jour le porteur de telles informations ... initiant un tel changement de vie ! Pour ma part je me questionne beaucoup sur la fin de vie, la mort (grand tabou médical en dehors des "pourcentages de mortalité à 5 ans") ... d’ailleurs j’en ai fait le sujet de mon mémoire dans le cadre du certificat de Monsieur G.

Intuitivement je me rapproche de la conception de l’annonce que vous évoquez ... j’ajouterai qu’après le patient, il ne faut pas oublier la famille dans ses particularités (chacun n’avance pas à la même vitesse).

En tant que soignante (dans ce cas là aide soignante) je me souviens d’un homme à qui je faisais la toilette et qui nous disait (à l’infirmière aussi qui était venue m’aider car il était lourd) ... "Je vais mourir" ... c’était terrible ... j’ai parlé au médecin pour qu’il lui dise que oui (en plus la famille était présente et aurait pu l’accompagner ; et l’équipe soignante, je pense, en aurait été soulagée) ... le médecin lui a dit qu’il fallait attendre pour une nouvelle chimio parce qu’il était trop fatigué !!! Cet homme est mort dans les jours suivants et je regrette qu’il n’y ait pas eu de monde pour l’accompagner !

En tant qu’externe je suis passée en hémato dans un service qui traite des lymphomes et tous les patients étaient informés à leur rythme et ils allaient "bien" ... du fait de la compréhension de la situation.

En tant que famille je peux vous transmettre cette expérience que je trouve exemplaire ... J’ai une cousine qui a eu un néphroblastome l’an dernier, elle avait 16 ans à l’époque (elle va bien aujourd’hui si ce n’est l’épreuve d’avoir perdu ses cheveux ... et un rein, elle est entrée dans la longue période de surveillance). Elle a été prise en charge en pédiatrie (aux urgences, puis en onco, puis en chirurgie), du fait de son âge et du fait de sa pathologie qui est normalement celle du nourrisson ou très jeune enfant. J’ai suivi la démarche d’annonce car elle a été hospitalisée dans des hôpitaux très proches de ma fac et de chez moi. A chaque étape les médecins ont informé ma cousine et sa famille de toutes les éventualités ... au début elle avait juste une image échographique (découverte fortuite sur une suspicion de pyélonéphrite).

On a immédiatement évoqué le cancer parmi d’autres options et l’attente a été dure et pleine d’inquiétudes, mais a aussi permis de faire un chemin dans la tête de chacun. Finalement l’annonce du cancer a été faite trois jours après et aussi par des (onco-)pédiatres je crois que ça s’est "bien" passé ... Le même jour (celui de l’annonce) j’ai moi-même assisté à la visite d’un médecin qui revenait parler de la maladie et aussi du traitement ... Il y avait ma cousine (dans son lit) sa sœur, sa mère, son père, et moi dans la pièce (ma tante m’a présentée en disant que j’étais étudiante en médecine) : c’était de mon point de vue exceptionnel, tout d’abord le médecin a parlé à ma cousine avec un langage parfaitement adapté à une grande adolescente en parlant bien de ses inquiétudes (surtout la perte des cheveux) puis secondairement il a eu un mot pour chacun présent dans la pièce considérant les inquiétudes propres à des parents, propres à une sœur, et propres à une cousine qui fait médecine (il m’a indiqué le synonyme de tumeur de Wilms, si je souhaitais faire des recherches) ...

Dans la suite de la prise en charge ce soucis de clarté a perduré dans le respect constant de ma cousine ... je me souviens par exemple d’avoir eu l’occasion (une autre fois) de poser une question au médecin, celui-ci ayant auparavant demandé à ma cousine si elle était d’accord pour que je pose une question. Ce que je retiens de cette histoire c’est qu’on ne peut pas faire d’une nouvelle triste une bonne nouvelle, mais on peut faire en sorte qu’une nouvelle triste, dure, terrible ... mauvaise, soit comprise et que l’inquiétude, la douleur de chacun, le patient d’abord et ceux qui l’entourent en suite, soient entendues !
Nos émotions de vie sont fortes et nous souffrons de voir l’homme mal en point, de le voir mourir ; ce sont, aussi, des moments de vie, puissions nous faire, en tant que soignants, de ces moments durs des moments de vie, riches, aussi !
Belle soirée à vous.

MLB


Cette blouse blanche qui s’assoit près de lui, la patient va l’interroger...

Je suis étudiante en 4ème année de médecine à Lyon, et je voulais réagir sur notre chère formation et sur l’annonce d’une maladie grave...

Nos stages hospitaliers...moi je suis heureuse qu’on ait des stages de 3 mois, et pas moins, pour pouvoir "s’installer" dans un service, la possibilité de suivre des patients... mais la formation au sein de ces stages est tellement aléatoire !

Il y a des chefs de service qui considèrent que la formation des externes est un de leurs rôles, et souvent l’attitude de tout le personnel hospitalier, comme par magie, n’est plus hostile à l’externe !
Des "chefs", "PH", "médecins" qui sont présents dans leurs services, qui connaissent les externes par leurs prénoms, qui en un mot nous apprennent leur vision de la médecine ; pour tous les étudiants qui n’ont pas encore rencontré cette espèce de chef de service là, ne désespérez pas, ils existent ! C’est fabuleux de vivre ça, on a enfin l’impression d’ÊTRE des étudiants en médecine, avec un rôle hospitalier tout à fait clair.

Et puis il y a tous les autres stages... où le rôle de l’externe est plus flou, c’est souvent de trier les dossiers, d’appeler la radio pour récupérer un dossier, de suivre le grand tour sans poser de question parce que les vrais médecins soignent alors ils n’ont plus le temps pour faire autre chose et surtout pas de "l’enseignement"... c’est dans ces situations qu’on a envie de hurler : "mais je suis là pour apprendre, comprendre... et pas seulement pour regarder, passive, le fonctionnement d’un service qui n’a pas besoin de moi".

Mais il est rare que dans ces services où le rôle de l’étudiant est bafoué, on ne l’empêche de voir les malades, au contraire, quand l’externe est dans une chambre il n’est pas dans les pattes des "seniors"... oui, mais c’est là que je ne comprends pas, si on laisse des étudiants s’approcher de personnes qui souffrent, comment ne pas s’inquiéter avant de ce qu’ils savent ou non ?
Parce qu’avec le malade on va parler, et le malade se pose des questions, et cette blouse blanche qui s’assoit près de lui il va l’interroger : vous croyez que je vais mourir ? Si j’arrête ma chimio maintenant je perds combien de mois de vie ? Dites-moi la vérité il réussit combien de fois sur 100 ce traitement ?

Parce que je veux pouvoir répondre aux questions que les malades vont me poser j’essaye d’apprendre correctement, mais j’en veux à tous ces médecins qui s’imaginent qu’un externe ça ne compte pas... ne doit-on pas, lorsqu’on est médecin, garantir au patient que l’on suit les meilleurs soignants ?

Et la maladie grave ? Pour moi une maladie est grave du moment qu’elle est considérée comme telle par le patient. L’effort constant pour essayer de comprendre ce que ressent la personne en face du médecin, comment elle se place par rapport à sa maladie, ce qu’elle ressent, comment elle vit sa maladie, est indéniablement une des choses les plus difficiles en médecine, mais ce qui fait aussi toute la beauté du métier de médecin, non ? Savoir adapter "son" soin à chaque personne...

Je pourrais écrire tout le mal que je pense de certains dermatologues et allergologues qui ont croisé ma route mais le plus simple est encore de vous raconter une histoire :
Je suis atteinte depuis ma grande enfance de dermatite atopique, ce n’est pas une maladie vitale, mais ce n’est pas curable. Elle s’est longtemps localisée sur mes mains. J’avais décidé dès le début que jamais cette maladie ne dicterai mes comportements, que je ferai ce que j’avais envie de faire... et me voici accomplissant le début de mon rêve pour devenir un jour peut-être obstétricienne... pendant mes premières années de médecine j’ai vite compris que tout ne serait pas aussi simple... une externe se lave les mains, les médecins aussi, et la dermatite atopique n’apprécie guère... C’est à ce moment là que j’ai compris que ma "maladie" pouvait être grave.

Et puis il y avait les médecins : quand j’étais encore enfant, une dermato a dis à ma mère (j’étais présente mais il y a des médecins qui ne parlent pas aux enfants) que "si je voulais avoir une vie normale il fallait me mettre sous cloche", c’était peut-être sa façon à elle de signifier que cela pouvait être grave ?

Et il y a eu surtout les médecins que j’ai croisé quand ma route en médecine avait commencé : "il faut changer d’études mademoiselle, vous ne supporterez pas", "il faut changer de spécialité, choisissez-en une où ne se lave jamais les mains, la dermato par exemple" (cette dernière citation vient d’un grand ponte de dermato lyonnais), "il n’y a pas que l’obstétrique dans la vie", à chaque visite je mettais plusieurs heures à m’en remettre, quand on a un rêve c’est dur d’entendre de telles phrases... alors la dernière médecin que j’ai rencontré, avant de lui expliquer quoi que ce soit je lui ai affirmé que le plus important pour moi c’était de pouvoir faire de l’obstétrique et de gérer mon externat le mieux possible, j’ai presque cru que j’avais trouvé "ma" soignante... et à la deuxième visite quand je lui réexplique ce que je fais quotidiennement pour mes mains, elle se met presque en colère parce que "c’est trop, vous n’allez jamais tenir avec des mesures aussi sévères, changez de spécialité ou de voie !", décidément, c’est un complot...

Alors j’ai décidé de me passer de médecin, j’ai lu ce que les médecins écrivaient sur la dermatite atopique et j’ai continué mes mesures pour soigner mes mains...et depuis que je ne vois plus de médecins pour mes mains, mes crises de dermatite atopique ne surviennent plus sur mes mains, la vie en stage est beaucoup plus agréable vis à vis des patients puisque je peux palper comme tout le monde...
Mais ce n’est pas toujours facile de faire médecine contre avis médical...
Merci de ce que vous faite pour le soin !

D


Cruauté

Un exemple qui m’a été relaté par un stagiaire, lors d’une formation que j’animais (économie d’entreprise, rien à voir avec tout le monde médical...) :
Sa femme était enceinte, la grossesse avait été peu suivie, et vers les deux tiers de la gestation, l’échographe lui annonce : "ah tiens, le bébé est mort... mais c’est pas grave il y en a un deuxième ! Vous aviez des jumeaux, madame !" Et il se barre !

En l’espace d’une seconde, il a réussi à créer la souffrance d’une perte, que cette femme porte encore, alors qu’avec un rien de délicatesse, tout pouvait se passer, sinon bien, au moins mieux...
Ce n’est pas une rumeur, c’est ce qui est arrivé à la personne qui me l’a raconté elle-même. J’aurais préféré que ce soit une rumeur, j’aurais pu ne pas le croire...
Amitiés lectrices

ET


Se battre ensemble

En 1980, le professeur S. nous a annoncé, à mon mari et à moi, une terrible nouvelle : notre petite fille de 18 mois avait une tumeur au cervelet. Aujourd’hui, je serais incapable de reconnaître ce médecin physiquement, mais pourtant quand je repense à ce moment, je ressens encore l’énergie que m’a communiquée cet homme pour sauver notre enfant. Elle a 50 % de chance de nous quitter et 50 % de chance de guérir et, tapant du poing sur son bureau il nous a dit : c’est pour ces 50 % là que nous allons nous battre ensemble.

Bien sûr aujourd’hui, je réalise qu’il n’y croyait pas vraiment à cette guérison mais il a su me communiquer sa force pour que je tienne bon devant mon enfant ; son enthousiasme, l’amour qu’il avait dans son métier m’a rassurée et je me suis dit que Marina était dans de bonnes mains. Et puis, on "grandit" avec la maladie et petit à petit on comprend mieux ce qui se passe et quelle va en être l’issue. Je partage tout à fait votre avis : il ne faut dire au malade que ce qu’il peut et veut bien entendre. Il découvrira au fur et à mesure la gravité de sa maladie et posera d’autres questions.

A


A comme Annonce

Cher Martin Winckler.
Puisque vous demandez l’avis de vos lecteurs sur ce thème, si important pour les médecins, de l’annonce, je vous envoie un court texte.

Je l’extrais d’un "alphabet du cancer" que je suis en train d’écrire. Pour tenir le coup face à la maladie l’écriture, quasi au quotidien, m’a été précieuse. Outre mon journal j’ai commencé pendant les traitements à rédiger ce qui devrait, je l’espère, faire un jour un livre. J’ai fait le choix, pour éviter le récit linéaire, de l’alphabet ce qui me permet d’écrire dès que j’ai un peu de temps.
Cette question de l’annonce au malade est capitale bien sûr, notamment dans le cas du cancer. Comme vous le verrez cela fut pour moi une horreur absolue, cela se passait en décembre 2001, je ne suis pas sûre que les choses aient changé. Donc parlez aux étudiants...Essayez de changer les mentalités. Merci pour tout.

ML

A comme annonce.

En elle-même elle fut brutale : opérée vers 18 heures le lundi ; le mardi matin, écrasée de douleur, mal réveillée, je vois débouler, accompagné d’un interne (bien pratique pour éviter toute conversation), le chirurgien, debout, loin du lit, au bout de la pièce, il débite quelques mots : c’était un cancer de l’ovaire, pas trop grave, je l’ai enlevé, pour la suite vous verrez après les analyses. Je vous téléphonerai. Je tends la main pour me raccrocher à quelqu’un, il l’ignore, fait un quart de tour à droite, se sauve. Ma main retombe. Je reste seule. Détruite.
Cette dureté inhumaine je la lui reproche encore. Certes, avant l’opération, lors de la visite, il m’avait demandé : on vous a dit que cela risquait d’être cancéreux ? On ne me l’avait pas dit mais je l’avais compris. Lui se sentait dédouané puisqu’il m’avait prévenue, comment n’a-t-il pas mesuré le gouffre qui existe entre possible, probable et certain ? Tout simplement entre vie et mort.

La détresse, la solitude qui ont suivi la minute trente qu’il lui avait fallu pour m’envoyer du côté du tombeau, ont d’abord été niées par les infirmières, je ne répondais pas à ce qu’on attendait de moi, le malade se doit d’être exemplaire, courageux, battant, la tristesse hors la loi. Or j’étais triste, totalement, et je souffrais et j’étais furieuse, indignée, révoltée contre l’injustice qui m’était faite par cette maladie niée, refusée. Tout ça dérange un service. J’ai aggravé mon cas en renvoyant une jeune stagiaire après qu’elle ait tenté en vain à cinq reprises de me faire une prise de sang (je lui ai présenté mes excuses, expliqué que je venais d’être lourdement opérée, que la morphine ne suffisait pas à me calmer, que le cancer était bien lourd à supporter alors que je suppliais que quelqu’un d’expérimenté prenne sa relève), elle a été remplacée certes, mais l’infirmière chevronnée qui est venue pour le prélèvement m’a ostensiblement fait la gueule et ouvertement la morale.

Je n’ai jamais revu le chirurgien, j’ai quitté l’hôpital sans une nouvelle visite de sa part, je l’ai eu au téléphone, gêné, six semaines après : j’ai tardé à vous appelé - tu parles, je téléphonais chez lui tous les jours depuis quinze jours pour savoir le résultat des analyses et le sort que l’on me réservait pour la suite - en fait c’est plus compliqué que ce que j’avais cru, il y avait deux cancers, un à l’ovaire, un autre à l’utérus, j’aurais sûrement dû enlever en plus les ganglions, mais ça ne se voyait pas, ce n’est pas de ma faute. Vous serez soignée à Villejuif, une petite chimio pas lourde probablement où on ne perd pas ses cheveux (comme si alors c’était le problème, j’étais seule à la maison, j’avais déjà un cancer à affronter et il m’en balançait un autre, un tout nouveau) téléphonez à ce numéro. Exit le chirurgien et pour toujours ! Je ne sais pas par quel miracle le numéro de Villejuif a marché, le dossier a suivi, le traitement pu être enclenché.

Avec le recul et le parcours qui a suivi je pense que tout cela aurait été mieux approché dans un service spécialisé dans le cancer, on me l’avait bien proposé mais, réaction stupide et pourtant humaine j’avais refusé le mot, donc le lieu. Je suis sûre qu’opérée à Villejuif les choses se seraient mieux passées. Le problème c’est que dans ce service de gynécologie de pointe, connu pour être un des meilleurs de France, mais plutôt habitué aux problèmes de fécondité, tous avaient aussi peur que moi du cancer. Ne sachant comment affronter le problème, ils m’ont enfoncée dans ma souffrance. Du coup moi, de mon côté, je les ai tous haïs en bloc.

ML


C’est à moi de choisir à qui je vais le dire ou non !

A titre personnel, j’ai plus peur qu’on me cache quelque chose, que peur d’une mauvaise nouvelle.
Je pense que préventivement j’en parlerais au médecin si un souci se présentait, en lui disant que je veux tout savoir, ou le plus possible de ce que je pourrai comprendre.
C’est ma façon d’affronter les choses. A moindre échelle, pour mes grossesses, je me suis renseignée sur plein de sujets, quitte à tomber sur des images de malformations ou autre, j’aimais mieux savoir l’éventail des possibilités.

Et alors une chose que je DETESTERAIS c’est que d’autres soient au courant de ce que j’ai, et pas moi. C’est à moi ensuite de choisir à qui je vais le dire ou non, et comment gérer ça, sûrement pas à un médecin qui n’est pas au courant des relations familiales et des soi-disant bonnes intentions de ma famille.

Une partie de ma famille a caché à un de mes oncles qu’il avait un cancer, on a parlé d’un sale truc attrapé il y a longtemps en camp de concentration. J’étais très jeune à l’époque (7-8 ans) mais moi je savais alors que lui non, et j’ai considéré ça comme une épouvantable injustice. J’en garde une dent contre les médecins je crois...

Surtout dans le cas où c’est mortel, je pense qu’il faut donner au patient le plus de temps possible pour se préparer, et quitter tout en ordre, et préparer aussi sa famille.
Voilà, merci de vous soucier de notre avis !

HT


La terreur des médecins

Bonjour,
Vous souhaitiez que ceux qui vous lisent ou vous écoutent réagissent à votre chronique sur la mauvaise nouvelle. J’ai d’abord trouvé ça amusant ("qu’est-ce qu’il veut qu’on lui dise ?"), et d’une façon générale je n’ai jamais trouvé très intéressant de faire participer les auditeurs à une émission de radio par exemple, même si je comprends qu’une réaction personnelle vers l’auteur d’un texte est probablement très différente mais bon, je m’égare (déjà).

Comme il se trouve que je suis en train de lire votre livre "Plumes d’Ange", des tas de souvenirs de mes grands-parents (juifs tunisiens) me reviennent au fil de la lecture. Et votre chronique a rencontré l’un des derniers souvenirs de ma grand-mère, alors entre la vie et la mort.
Elle a "fait" un AVC assez grave (je crois) et est restée une bonne semaine dans le coma à l’hôpital. L’équipe médicale nous a fait savoir dès le début (aux urgences) qu’elle ne sortirait plus de son coma et qu’elle n’en avait plus que pour quelques heures.

Comme ça a duré plusieurs jours, nous l’avons "veillée" (ses 3 enfants ses petites-filles et certains cousins) tous les jours dans sa chambre.
On lui donnait continuellement de la morphine car dès qu’elle n’en avait plus, son état était très agité, elle semblait souffrir. Un jour, ma tante et moi l’avons trouvée particulièrement agitée, elle faisait le geste de se griffer le visage et la poitrine (ce qui en Tunisie je crois évoque clairement la souffrance). Ma tante a demandé à un médecin qui passait de lui redonner (ou d ’augmenter la dose) de (la) morphine pour qu’elle cesse de souffrir.
Le médecin, très autoritaire, a répondu "Madame, je vous l’ai déjà dit, il ne faut plus vous faire d’illusion à son sujet, elle résiste de façon inhabituelle mais son état ne peut pas s’améliorer car ceci-cela..."

Et ma tante a répondu sur un ton encore plus autoritaire "Monsieur, JE SAIS QU’ELLE VA MOURIR ! Mais là je vois qu’elle souffre et je vous demande de lui donner de la morphine pour qu’elle souffre moins, c’est tout."
Un très très long silence a suivi.

Je ne sais pas si c’est le médecin qui n’arrivait pas à admettre lui-même que ces agitations ne remettraient pas en cause l’annonce de la mort ou s’il était terrifié à l’idée que la famille pourrait entretenir le moindre espoir à ce sujet, bien après l’annonce de la mauvaise nouvelle...
Merci à vous pour tout. Sauf pour une chose : je suis musicienne et je n’ai rien fait depuis deux jours parce que je suis plongée dans votre bouquin !

SB


Une mauvaise nouvelle... fausse !

J’aime beaucoup vos chroniques qui éclairent sur l’humanité (ou son manque) chez les Médecins. Celle de ce jour est particulièrement importante car elle touche à l’affect, et à la relation au malheur. J’ai eu plusieurs expériences de mauvaises nouvelles annoncées par des médecins, j’avais envie d’en partager deux avec vous.

Je me souviens de notre médecin de famille m’appelant un jour pour m’expliquer, le plus tendrement possible, que l’état de santé de ma grand-mère s’était "subitement aggravé" (je la cite) et que je ferais bien de ne pas attendre le week-end suivant pour venir la revoir
(j’habitais loin du foyer familial). Le message était clair bien que non exprimé : venez dès ce soir car demain votre grand-mère ne sera plus là.
Je trouve qu’elle a eu une approche humaine, sans être parfaite, car la douleur ne peut pas à mon avis être annoncé d’une bonne manière.

C’est là que je voulais en venir et c’est ce que j’aimerais ajouter à votre cours si j’étais un orateur libre passant près de l’amphi :
N’oubliez pas, Mesdames et Messieurs les futurs médecins, que le malheur est un rapport négatif à l’être, et que même bien présenté, il ne sera pas pour autant bien vécu. Votre rôle s’arrêtera à le présenter sans dramatisation ni détachement, pour ne pas aggraver le mal que vous apportez. Ne vous attendez pas à une bonne réaction de toute façon car le messager, hélas, est souvent confondu avec le message dans des cas difficiles. Faire preuve d’empathie est la chose la plus importante dans ces moments-là. Et ne pas renoncer à continuer dans cette voie.

J’en viens à un deuxième exemple pour éclairer mon propos sur la portée de l’empathie, ou plutôt dans ce cas de son absence : je suis depuis un mois l’heureux-gateux papa d’un petit Louis, né à 36 semaines. Lors de l’échographie du 7ème mois, le docteur en charge de l’écho (qui n’était pas notre gynéco) a détecté un retard de croissance. Elle a fait un doppler pour vérifier l’afflux sanguin via l’artère utérine. Le comportement de ce docteur a été scandaleux : aucune explication, aucun mot. Une froideur extrême, je peux encore aujourd’hui la citer :

"Il y a un RCIU [1] (elle l’a présenté comme ça... vous imaginez bien sûr que moi et mon épouse savions parfaitement ce qu’était un RCIU), il faudra peut-être vous prescrire une immobilité complète et une sage-femme à domicile."

Et elle s’est murée dans un silence lourd pour des jeunes futurs parents comme nous. Refusant de répondre à mes questions sur "qu’est ce que ça veut dire ? Quelles peuvent être les conséquences ?". "Vous verrez avec votre gynéco..."

Dix jours plus tard, une tonne d’inquiétude en plus, tout un tas de livres consultés, même de sites internet, nous avons eu notre rendez-vous chez la gynéco qui nous a rassuré : ce RCIU était très modéré, le terme étant très incertain il n’y avait peut-être rien [2] , on allait juste un peu diminuer l’activité de mon épouse et tout irait bien.

Ce RCIU aurait pu être une mauvaise nouvelle, il n’en a heureusement rien été car le terme était très imprécis, et notre bébé est en parfaite forme pour son âge et sa prématuration.

Alors quand un médecin, par manque d’empathie, aggrave une nouvelle au delà de sa valeur réelle, on est dans une autre forme de mauvaise annonce. Je crois fortement au lien entre le corps et l’esprit, et un médecin ne devrait jamais perdre de vue que pour beaucoup de monde il
incarne le savoir "biologique" et qu’il est en quelque sorte le prophète de notre propre corps. Sous-entendu : ce qu’il annonce pourrait bien arriver. Raison de plus pour bien mesurer ses annonces, dans un sens comme dans l’autre.

J’espère ne pas vous avoir trop ennuyé avec mes petites histoires...
C’était une simple réaction à chaud à votre chronique sur les "annonces"... Mauvaises ou peut-être mauvaises...
Bien à vous,

JCV


Le patient est le premier intéressé

Pour ma part, j’ai été confrontée à différentes situations, où cette question a été abordée différemment.

La première concernait ma grand mère qui était atteinte d’un cancer des os, il y maintenant 25 ans. A l’époque, ma mère était enceinte de mon petit frère et les médecins avec beaucoup de tact lui ont annoncé brutalement que ma grand- mère n’avait plus que 6 mois à vivre et qu’ils lui proposaient un traitement "lourd". Dans ces conditions, ma mère a préféré qu’elle emménage avec nous afin de lui épargner un séjour douloureux dans un mouroir parisien. Les médecins n’ont rien dit à ma grand-mère. Elle était tellement heureuse d’apprendre que sa fille allait avoir un garçon qu’elle a résisté (je ne sais pas vraiment quel autre mot employer) pour voir grandir son petit-fils. Cette femme qui devait mourir dans les 6 mois, a partagé notre vie pendant près de 10 ans. Je ne sais pas vraiment si elle aurait "accusé" le coup en apprenant cette "mauvaise nouvelle". Est-ce que cette pratique était courante à l’époque, je ne saurai le dire, j’étais bien trop petite.
Selon moi, le patient est le premier "intéressé" et il a le droit de connaître la vérité, même si "toute vérité n’est pas bonne à dire ou à entendre".

L’une de mes amies a été confrontée à une autre situation très pénible. Son père souffrait de grosse fatigue, de vertiges, il avait des pertes de mémoire, etc. Dans la mesure où mon père avait également présenté ce genre de symptômes (il s’est avéré que mon père souffrait d’une tumeur bénigne au cerveau. Par chance, il a été hospitalisé à temps car le lendemain il tombait dans le coma), nous lui avons fait part de notre inquiétude et de la nécessité qu’il se fasse examiner. Malheureusement, son père contrairement au mien présente de nombreuses tumeurs cancéreuses au cerveau, aucune possibilité de rémission. Les médecins ont d’abord prévenu la famille avant même le patient, ce qui, à mon avis est une catastrophe. En effet, le patient se sentait fatigué mais pas mourant, et ne comprenait pas cette absence de retour d’informations suite aux nombreuses analyses médicales qu’il avait subies pendant plusieurs jours.

Les médecins ont avancé comme prétexte "le respect du protocole" : ils ne pouvaient pas annoncer n’importe comment l’état de santé gravissime au malade, alors qu’ils avaient jugé bon de prévenir la famille avant ! Ils savaient pertinemment qu’il serait douloureux voire impossible à l’entourage de simuler au patient cette vérité. Pour ma part, ce respect n’a pas été honoré puisque l’entourage a été averti avant l’intéressé. Imaginez la réaction de la famille complètement chamboulée par la nouvelle, ne sachant comment réagir face au malade. Cette mascarade a duré près de 2-3 jours !! Chacun jouait la comédie, retenant comme il le pouvait ses émotions. Dans ces conditions, ni le patient, ni la famille ne sont respectés.

C’est sûrement très difficile d’annoncer ce genre de nouvelle, je ne le conteste pas. Il faut être en mesure de "juger" de la volonté ou non du patient de vouloir "tout" savoir sur son état de santé. C’est une question de sensibilité, d’expérience, ça ne s’apprend pas dans les livres.

Lorsque j’ai appris que mon père souffrait d’une tumeur cérébrale, j’ai eu l’impression que le monde s’effondrait sous mes pieds. Par chance, je connaissais un cancérologue de l’hôpital. Il a trouvé les mots pour m’expliquer les choses, mon père avait beaucoup de mal à se souvenir des faits immédiats et il est tombé dans le coma le lendemain de son hospitalisation. Il était incapable de se souvenir des dires du médecin, mais il les a entendus. 2 ans après son opération, il a du subir une nouvelle intervention, les médecins n’ont pas réussi à extraire la totalité de la tumeur de peur d’occasionner des séquelles irréversibles. Chaque année il doit faire un scanner pour contrôler l’évolution de sa tumeur, une épée de Damoclès au-dessus de la tête en permanence.

En conclusion, toujours le même dilemme : "Doit-on dire ou non toute la vérité et si oui comment annoncer cette mauvaise nouvelle ?". Toutefois je pense sincèrement que votre analyse est des plus sensée. Le patient doit être au coeur de nos préoccupations, sans que nous écartions totalement l’entourage qui culpabilise d’être en "bonne santé", qui a le sentiment qu’il est presque indécent de souffrir et d’avoir peur "à la place" du malade car en définitive c’est lui qui va affronter la maladie, la mort en face, ce n’est pas nous ! Et pourtant notre douleur est légitime, difficile à exprimer, peut-être par pudeur pour le malade.

L


Les mots virulents du médecin

Je suis d’accord globalement avec votre vision d’annonce. Surtout l’écoute est importante (vous ne l’avez pas dit explicitement, mais sous-entendu (i.e. : dites explicitement l’écoute à vos étudiants ;) )
La franchise, si elle est un bon point, ne peut pas être utilisée brute. Le patient en face est dans un état plus ou moins fébrile et est vulnérable au mot comme il le serait à un virus.

Et les mots du médecin pourront être d’autant plus virulents que le patient est faible émotionnellement. C’est ce que j’observe actuellement autour de moi.
Mon père est médecin (pédiatre). Il a consulté un vétérinaire pour un de ses chiens. Le vétérinaire n’est pas allé par 4 chemins pour lui annoncer la mort de l’un d’eux. Ni la façon de "crémation ou découpe". Il a été très choqué par ces mots. Pourtant, mon père connaît la mort (humaine) et la subit parfois quand il voit ses patients partir.
Avec ce chien, il a été complètement bouleversé. Plus qu’à l’habitude. Le vétérinaire, à mon avis, à oublié qu’il avait affaire à un être humain avec ses sentiments envers quelqu’un,et s’est adressé au médecin.

Ma mère a un cancer du colon, et je vois un de ses médecins traitant, qui est plus que positif : souriant, prévenant et surtout disponible et toujours à l’écoute. Ma mère y a trouvé un réconfort certain, alors qu’elle a changé de service (chimio vers radiothérapie). Aujourd’hui, si elle ne se sent pas bien lors de sa radiothérapie, elle appelle ou prend rendez-vous chez ce médecin qui continue à la suivre "officieusement". Pourquoi ? Parce qu’il l’écoute et donne des solutions simples. Il est effectif. Il trouve toujours *le coté positif*. Je pense que c’est ça l’important, dans la maladie. Il faut positiver pour éviter que le patient ne sombre.

Certes, tout dépend aussi du service où l’on est. Je pense que chez les urgentistes, cela doit être encore plus compliqué car c’est le temps qui est important... et le volume de patients à traiter. Or l’annonce demande justement du temps.
Ce ne sont que quelques lignes.... J’espère que cela pourra vous servir :o)
A bientôt

O


Parfois, le patient protège sa famille

Concernant l’annonce de la mauvaise nouvelle, j’aimerais vous faire part d’un témoignage personnel : mon père, médecin généraliste, est décédé il y a quelques mois d’un cancer de la vessie dans une structure de soins palliatifs. A chaque étape du traitement, il savait et les médecins savaient qu’il savait. Une ablation de la vessie a été tentée mais les chirurgiens en opérant, ont dû renoncer car la tumeur avait tout envahi. A son réveil, nous ne savions que dire à notre père : fallait-il lui annoncer la mauvaise nouvelle ? Etait-il conscient de son état ? Il en a parlé avec les médecins mais avec nous, il s’est toujours refusé à évoquer la question. Cela nous a d’ailleurs soulagés. Je crois qu’il cherchait à nous protéger, en particulier son épouse (pourtant médecin elle-même), de l’annonce d’un mauvais pronostic. Le rapport médecin-malade s’était quelque peu inversé : mon père mourant voulait garder pour lui la mauvaise nouvelle et protéger sa famille. Cette attitude peut certainement être adoptée aussi par des non-médecins.
Voilà, merci de m’avoir donné l’occasion de vous adresser ce petit mot.
Cordialement,

E


Il y a aussi du sadisme...

Mon cher " toubib ",
J’ai demandé à un ami médecin de lire votre rubrique, voici ce qu’il me répond :

" C’est une des questions les plus difficiles de l’exercice de la médecine, parce qu’il n’y a aucune règle , que chaque patient est différent et chaque médecin l’est tout autant.
Il y a le patient qui ne veut pas savoir, et qu’on doit laisser en paix. Situation difficile car on est bien obligé de lui parler de sa maladie et d’avoir des explications sur son évolution. Et si lui ne veut rien savoir, la famille elle veut savoir et on lui doit en général la vérité, bien que cette vérité change immanquablement son comportement vis-à-vis du malade.

A l’inverse, il y a le patient qui veut savoir et l’exige. On pourra moduler la réponse mais en laissant toujours une place pour l’espoir.
Parallèlement, il y a le médecin qui veut dire car c’est pour lui une grande facilité, et le médecin qui ne s’en sent pas capable. Il y a enfin une catégorie beaucoup plus nombreuse qu’on ne le pense pour qui l’annonce de la vérité est preuve de sa propre puissance et à la limite de son sadisme.

Une difficulté celle-là purement technique est celle où le médecin veut approcher de la vérité pour dire au malade ce qu’il a, mais il oublie que sa langue est une langue étrangère, acquise après des années d’études, et les mots que le malade ne comprend pas vont le plonger dans une angoisse très pénible et l’impression que son médecin lui cache la vérité derrière les mots savants.

De toute façon il est nécessaire de choisir parmi les proches un être capable de silence et qui ne soit pas dans des rapports ambigus avec ce malade par des côtés matériels par exemples, prévisibles après sa mort. Les plus redoutables dans ce problème sont les enfants car leur questionnement est brutal : genre : Il va mourir bientôt ? Ou au contraire : quand est-ce qu’il sortira de l’hôpital ? Et la réponse d’autant plus difficile. Là encore il faut laisser sans mentir une porte ouverte sur l’espoir, même quand on le sait illusoire. Et penser que tout enfant qui se tait a souvent mieux senti la situation que les adultes.

On pourrait discourir tant et plus chaque cas se posant différemment... "

Merci de votre attention.

P

P.S.

(A suivre...)

Lisez la chronique d’arteradio.com sur l’annonce de la mauvaise nouvelle

Lisez d’autres témoignages de lecteurs et d’auditeurs

Lisez une des chroniques de France Inter consacrée au secret professionnel des médecins

Lisez le résumé de l’enquête menée par Catherine A. sur la formation et le comportement des médecins français en ce domaine


[1Note de MW : Retard de croissance intra-utérin

[2Autrement dit : si la grossesse est plus jeune que l’échographiste ne le pense, le bébé n’a pas de retard de croissance... note de MW




Source - https://www.martinwinckler.com/article.php3?id_article=511 -