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L’enseignement médical en France : l’héritage du mandarinat
par N. P. (Paris)

24 septembre 2006

Pour moi les études commencent à dater, mais quand je lis les témoignages publiés sur votre site, elles me semblent encore proches, tant je ressents des sentiments encore vivaces...

Je brigue actuellement un poste de PH en psychiatrie, mais la formation reste un combat que j’ai bien du mal à mener.

La médecine française est pleine de contradictions. Elle ne sait pas faire de choix entre l’héritage d’un mandarinat méprisant l’étudiant et les évolutions nécessaires imposées par la baisse de la démographie médicale et les exigences, toujours plus grandes, de notre société à l’égard de notre profession.



Pourquoi les chefs de cliniques rechignent-ils tant à dispenser leurs cours (il faut les entendre maugréer quand on est de ce côté-ci de la barrière...) ? A cela deux réponses, de mon point de vue :

1) les cours dispensés à la faculté de médecine ne sont plus adaptés à la pratique, tant dans leur contenu que dans leur forme ;
2) la question de l’enseignement dans le recrutement des chefs de cliniques n’est jamais posée...

1) La formation pratique Lors de mes études de médecine à Rennes, j’ai eu la chance et le malheur de participer à certaines expériences pédagogiques en provenance du canada (université de Sherbrooke). L’objectif visait à pousser l’étudiant à chercher lui-même les savoirs qui lui manquaient pour répondre à un problème en lien avec la pratique (Apprentissage du Raisonnnement par Problèmes ; Apprentissage du Raisonnement Clinique).

Le rôle de l’enseignant était de reprendre avec l’étudiant les failles de son parcours intellectuel et de l’aider à développer sa métacognition (capacité à faire des liens entre des domaines divers) ; il agissait alors en tuteur pédagogique d’un petit groupe d’étudiants.

Après cette expérience vécue en D2 [1] dans un colloque pour les profs (qui s’y sont montrés dubitatifs, voire hostiles "on rabaisse le statut du professeur !!!"), je n’ai plus supporté les cours que j’ai délibérément fuis.

La fac a alors décidé, devant la désertion des amphis en D4 [2] , d’instaurer cette méthode pour les étudiants de D4 ; 1 groupe de 10 étudiants avec un tuteur se réunissant chaque mois autour d’un sujet clinique commun préparé pendant l’intervalle, et... plus de cours magistraux !

Quel régal de redécouvrir alors par soi-même des passerelles entre la patho, la physio et même les sciences fondamentales (tant détestées en P1), même notre tuteur s’est montré convaincu et passionné en fin de cycle (et ce n’était pourtant pas gagné !).

2) Le recrutement des chefs de clinique. Dans ce domaine également s’exerce le mandarinat. A l’heure actuelle, un chef de clinique est recruté, non pas sur son intérêt pour l’enseignement ( à la fac ou sur le terrain), non pas pour ses qualités cliniques, mais sur sa capacité à s’inscrire dans la recherche et dans l’ordre établi de son service.

On peut être alors fasciné de voir des CCA, anciens internes ayant souffert du manque d’encadrement et de la faiblesse théorique, maltraîter leurs internes, soit de façon passive par le mépris, soit activement en les infantilisant ou en les sur-utilisant. La fac ne nous forme ni à encadrer, ni à déléguer certes, mais le respect et l’empathie font partie des qualités requises pour exercer la profession de médecin !

L’enseignement médical a encore de gros progrès à faire... Aucune réflexion sur la pédagogie n’est menée à un échelon national. Pire encore, la médecine subit aujourd’hui les mêmes évolutions que la société. Là où l’esprit de corps primait (même s’il comportait une trop forte hiérarchie), il ne reste plus qu’individualisme et carriérisme.

C’est oeuvrer dans le sens voulu par les politiques actuelles qui souhaitent nous voir devenir des prestataires de service, et non plus des acteurs de la santé publique, au sens du soin comme du politique.J’ai beaucoup de compassion pour mes internes, et pour les externes. Si la baisse démographique est un problème pour la pratique, c’est également une chance pour l’enseignement et les étudiants.

Depuis 15 ans leur nombre diminue de manière galopante. Ils sont les *rares* médecins de demain. La rareté est une position de force quand on veut exercer le lobbying. Cela marche déjà pour les internes dans certains CHU parisiens. Il faut faire entendre la voix des étudiants, il faut qu’ils montrent que les enseignants doivent apprendre à leur faire confiance.

L’enseignement ne va pas dans un seul sens, de celui qui sait vers celui qui ne sait pas, mais il s’agit d’un échange entre celui qui apprend/découvre et celui qui a de l’expérience.

N. P. (Paris)


[1Quatrième année de médecine

[2Sixième année




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