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"Les Trois Médecins" : un roman d’aventures et de formation (médicale)

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Les médecins, les patients, et tout ce qui s’ensuit... > Le médecin patraque >

Le médecin patraque, 9
« Madame, le cancer de Monsieur est servi ».
Un médecin raconte son cancer...
Article du 24 janvier 2011

Le médecin patraque est un médecin écrivain de grande expérience. Sa dernière expérience en date : un cancer. Il nous en parle à tous, médecins et non-médecins. MW
PS : Oui, c’est un médecin réel (et non, ce n’est pas moi) Son pseudonyme est destiné à lui permettre de prendre du champ.


Difficile d’évoquer la question fondamentale du vécu de mon cancer avec ma femme sans empiéter sur sa personnalité et son vécu à elle, ce que je ne me sens pas le droit de faire et ne ferai donc pas.

Disons simplement -car il faut bien expliquer le type de relations dans laquelle ce cancer s’est invité- que nous sommes une « famille recomposée », mariés depuis 38 ans ; que nous vivons maintenant les deux seuls, ce que nous apprécions beaucoup (1) ; que nous avons toujours eu, et que nous continuons à avoir depuis que nous sommes retraités, une grande part d’ activités communes correspondantes à nos centres d’intérêts communs, mais aussi une part d’activités séparées correspondantes aux goûts et à la personnalité de chacun, ce qui nous permet d’avoir beaucoup de choses à nous raconter, mais aussi de regarder celles de l’autre avec une salutaire distanciation à la fois complice, admirative et ironique (« tu passes sur quelle chaîne de télé, cette semaine ? » « tu as été élue présidente de combien d’associations, cette semaine ? ») ; et que nous fonctionnons non pas sur le « non-dit », mais sur le « tout dit sans sujets tabous, mais en peu de mots lorsque c’est grave », partageant la même horreur du pathos, et nous connaissant assez bien pour deviner nos états d’âme sans avoir à les étaler aussi longuement qu’inutilement.

Il est donc assez facile de deviner comment j’ai annoncé la nouvelle de mon cancer à ma femme, qui était aussi médecin ; je suis revenu du scanner, elle m’a demandé « qu’est-ce que ça a donné ? » , je lui ai répondu « il y a un truc, il faudra faire d’autres examens » et lui ai donné le compte-rendu (« cancer du colon transverse de 5 cm. de diamètre -c’est gros, T3 dans la classification TNM qui va jusqu’à T4- avec suspicion de métastases hépatiques à vérifier par IRM »), elle m’a demandé qui on allait voir, je lui ai répondu que j’attendais un coup de fil de notre amie **** qui allait se renseigner, elle m’a dit de prendre tout de suite des RV d’IRM et de coloscopie pour gagner du temps...et je crois bien me souvenir qu’on a alors parlé d’autre chose ; mais je suis ressorti parce que je devais assister à un colloque politique, et, à mon retour, elle m’a dit qu’elle avait mis au courant nos amis les plus proches et nos enfants, et on en a discuté (un peu, pas des heures) de leurs réactions.

Parmi nos amies, il y en a une qui a la particularité très agaçante d’ essayer de se débarrasser de ses multiples angoisses en les transmettant aux autres (et elle y parvient fort bien !) ; elle a dit à ma femme qu’elle devait évidemment abandonner ses multiples activités pour pouvoir s’occuper exclusivement de moi à l’avenir ; on en a brièvement discuté, pour tomber très vite d’accord sur le fait que c’était une très mauvaise suggestion, que je le supporterais personnellement très mal, et que je pensais qu’il était essentiel pour elle de continuer à se ménager autant de moments « hors cancer » que possible, comme je comptais le faire aussi moi-même.

En réalité, par la suite (hospitalisation, chimio, consultations, etc.), sans me le dire, elle a adapté ses activités à mon cancer, auquel elle a toujours donné la priorité ; on a trouvé assez vite un mode de fonctionnement : je me rends seul aux examens où je n’ai besoin de personne et peux aller en conduisant ma voiture (imagerie, prises de sang, etc.), mais elle a tenu à m’accompagner systématiquement non seulement aux séances de chimiothérapie en hôpital de jour dont je ne ressortais pas très frais (une fois, n’ayant pas trouvé de taxi, nous sommes rentrés par les transports en commun : je ne sais pas quelle tête j’avais, mais jamais de ma vie je n’avais vu autant de gens me céder immédiatement leur place dès que j’entrais dans le wagon du métro...quoi qu’on en dise, le cancer présente quelques avantages !), mais aussi aux consultations, parce qu’elle m ‘a fait remarquer que j’avais tendance à oublier/refouler certaines choses importantes qui m’étaient dites, tout comme elle, et que chacun de nous ne retenait pas les mêmes informations.

Reste le problème de son vécu à elle, et de son angoisse qu’elle a toujours su ne pas me transmettre et que je n’ai connue que par d’autres ; ainsi, des amis nous ont invité, cet été, à passer un mois chez eux dans leur maison de campagne (avec un aller-retour à Paris au milieu, pour ma séance de chimio) ; je ne voulais pas accepter, n’étant pas très rassuré à l’idée de devoir trop m’éloigner de l’établissement où j’étais soigné pendant ma chimio, du fait du risque d’une aplasie médullaire, se traduisant par une fièvre supérieure à 38°5, et obligeant à se faire alors hospitaliser au plus tard dans les six heures, ce qui m’aurait obligé à me rabattre sur le Centre Hospitalier le plus proche ; et c’est une amie qui m’a téléphoné pour me dire qu’il fallait quand même accepter, parce que sinon ma femme risquait de craquer, et être à plusieurs au lieu de passer seuls le mois d’ Août à Paris était essentiel pour elle.

Avec le recul, je me rends compte de l’énorme travail de soutien qu’elle a effectué pour moi, sans jamais m’en parler, allant des recettes de cuisine adaptées à mon régime au respect des comportements parfois bizarres induits par mes moments d’angoisse...Merci, M’dame, car, comme je le lui dis souvent, je vous aurai quand même bien emmerdée et gâché la vie pendant un an !

Et ce n’est peut-être pas fini...

"Le médecin patraque"

Lire le 10e épisode

(1) chaque jour nous permet d’apprécier la justesse du vieux proverbe : « la vraie vie commence quand les enfants sont partis et que le chien est mort » -en l’occurrence, quatre chats, chaque enfant nous ayant laissé le sien.

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