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’L’Homme dans le Train’
texte de la chronique d’Arte Radio.com
Article du 1er octobre 2004

Voici le texte de la première chronique d’ Arte Radio.com, transcrit par les bons soins de Louise Kelso-Bartlebooth.

MW

L’autre jour, dans le train, je me suis assis en face d’un homme, qui avait l’air... Mmmhh je sais pas comment, il avait l’air... je ne sais pas si... Ce que j’ai pensé au moment où je l’ai vu, c’est que... il avait mal quelque part, ou qu’il était triste, ou qu’il était angoissé, je sais pas. Il me paraissait bizarre.

Il était assis dans un de ces petits boxes, où il y a quatre sièges qui se font face avec une table au milieu, mais c’était le seul endroit où je pouvais m’asseoir sans m’asseoir à côté de quelqu’un. Mais là, du coup, il fallait que je m’asseye en face de lui, enfin, presque en face de lui, on était presque en vis-à-vis. Et cet homme avait vraiment l’air de souffrir.

Evidemment, je ne lui ai pas demandé pourquoi il souffrait, et de quoi il souffrait et de quoi il avait mal, mais comme il avait l’air de souffrir de manière assez intense, j’ai essayé d’imaginer pourquoi il souffrait.

Il avait à peu près mon âge, donc quelque chose comme entre quarante-cinq et cinquante ans, il avait l’air en bonne santé, autant que j’ai pu m’en rendre compte, vous savez, les médecins, ça regarde les gens avec un oeil toujours un peu évaluateur, est-ce qu’il va bien, est-ce qu’il va pas bien... Il avait pas l’air d’être marié, parce qu’il avait pas d’alliance, mais ça veut rien dire, moi par exemple je porte pas d’alliance.

Il travaillait pas. Il avait un cahier devant lui. Un cahier qui était fermé, avec un stylo qui était posé dessus. Apparemment il avait dû écrire quelque chose dessus juste avant que j’arrive, juste avant que le train s’arrête à ma gare et que je monte, et il disait rien. Il regardait son cahier. Et de temps en temps il prenait son stylo, et puis il tapotait son stylo sur son cahier, et puis il poussait des grands soupirs, et puis de temps en temps il me regardait, et puis dès qu’il voyait que je le regardais aussi, il baissait les yeux, parce que... peut-être qu’il avait honte, peut-être qu’il était inquiet, peut-être qu’il était soucieux de quelque chose, en tout cas il était à la fois gêné que je le regarde et en même temps de temps en temps il me regardait à nouveau, comme si ça avait été une manière de rentrer en contact avec quelqu’un, pour parler de ce qu’il avait, sans en parler.

C’est-à-dire cette chose dans laquelle il était à ce moment-là, parce qu’il ne se sentait pas bien, il était triste, il était préoccupé, il était angoissé, il était malheureux, je ne sais pas, il souffrait peut-être, il voulait pas rester complètement dedans tout seul, il fallait qu’il y ait un contact vers l’extérieur, avec quelqu’un qui soit en face, et quelqu’un qui ne dise rien, quelqu’un qui ne lui raconte pas des histoires bêtes, quelqu’un qui ne l’embête pas, quelqu’un qui soit là, qui soit quand même attentif à lui... qui soit pas absent, qui s’absente pas dans la lecture.

Et j’ai donc passé les cinquante minutes de train en face de lui, sans bouger, les doigts croisés, à écouter son silence, à écouter ses soupirs, à le regarder tripoter son stylo, et puis entrouvrir son cahier, et puis il l’entrouvrait et il le refermait tout de suite, comme s’il avait à la fois voulu écrire quelque chose dedans et puis pour se rendre compte que non, il avait tout dit, ou que ça pouvait pas sortir, que ça pouvait pas aller... Il y avait une sorte de dialogue télépathique sans mots qui s’établissait entre nous, c’est-à-dire comme si il m’avait raconté son histoire, sans rien me dire.

Et j’ai senti, évidemment c’est complètement subjectif, je peux pas être sûr que c’était ça, j’ai senti que cet homme, il me racontait effectivement une histoire, une histoire poignante, une histoire triste, une histoire plus triste que dramatique, d’ailleurs, je pense pas qu’il y avait un drame là dedans, je pense pas que quelqu’un était mort... Je pense qu’il s’agissait plutôt d’une histoire de rupture ou de séparation, ou de chagrin, ou d’éloignement... et il me racontait ça sans rien me dire, juste en bougeant son stylo et en soupirant, et en regardant son cahier.

Et puis le train est arrivé en gare, et tous les deux on a laissé les autres passagers descendre.

Et puis à un moment donné, il fallait que je me lève, alors je me suis levé, j’ai pris mon sac, et je l’ai regardé avant de partir...

...et il m’a regardé, et il m’a dit : « Merci. »

Ecouter la chronique en ligne sur Arte Radio.com

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