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Cet obscur projet du désir
par Sophie
Article du 6 juillet 2005

Après avoir réagi à "J’ai quatre amants" avec un texte intitulé "Elle a quatre amants, la veinarde !, Sophie récidive et réagit à "J’avais très, très envie de lui"... Voici ce nouveau texte.

Avoir si envie que...

Elle a très très très envie de lui ; il le sait. Ca tombe bien ; il a très très très envie d’elle.
Ca veut dire quoi avoir envie de quelqu’un ? Avoir envie de faire l’amour avec lui, avoir envie qu’il vous aime, avoir envie de lui parler, qu’il vous parle ?
Avoir envie de quelqu’un c’est comme un caprice, on veut l’objet du désir, maintenant, tout de suite. Comme un enfant qui veut à toute fin qu’on lui achète ce jouet parce qu’il est trop beau.
C’est ça avoir envie de quelqu’un. Ne pas supporter l’idée qu’il ne réponde pas instantanément à votre désir, ne pas admettre que l’autre , en face, ne réagisse pas exactement comme vous le souhaiteriez.

Cette histoire nous met en présence d’un désir partagé. Il devrait logiquement s’ensuivre une harmonie parfaite ; et bien, non, c’est le contraire.
Pourquoi ? Parce que le désir rend maladroit, l’émotion fait perdre ses moyens. Cette jeune femme est en colère parce qu’elle ne comprend pas. Elle avait deviné la réciprocité de ses sentiments, et par là-même avait bâti sur la merveilleuse promesse que constituait cette réciprocité un fantasme dont elle croyait détenir les clés.

Dans son engouement, elle a oublié que plus une envie est forte - je ne parle pas uniquement d’une envie liée à la relation amoureuse - plus les malentendus sont possibles. On aura tous remarqué, en plusieurs occasions, que la perspective d’un événement attendu rendait fébrile. On imagine, on se fait de véritables films, avec un début un milieu et une fin. Il arrive même que l’on entende les dialogues. On met en scène de façon très précise l’évènement tel qu’on aimerait qu’il se passe. Parfois, ce produit de l’imagination est si bien élaboré que l’on perd de vue que ça arrivera forcément autrement.

Peut-être faudrait-il s’empêcher de deviser comme ça sur ce qui va arriver, pour laisser les choses se faire naturellement, mais c’est plus fort que tout. Parce qu’anticiper l’évènement c’est déjà le vivre un peu... Il est très difficile de s’interdire ce genre d’extrapolation ; plus on veut s’en empêcher, plus l’imagination galope.
Le problème, ce n’est pas tant la déception si ça ne se passe pas tout à fait, voire pas du tout comme on l’avait prévu ; non, ce qui peut être grave, c’est le malentendu.
Déstabilisé par le gravier dans le rouage de la machine bien huilée de l’imagination, celui qui avait tout prévu et tant espéré ne va plus comprendre. Et au lieu de se laisser aller vers l’inconnu, ce qui en soit est bien plus excitant, il va se braquer et manquer de naturel. Ses facultés d’adaptation s’en trouveront amoindries, et le fiasco n’est pas loin.

On peut perdre quelqu’un seulement parce qu’on a anticipé ses réactions. Le trouble que l’on éprouve alors peut empêcher de considérer les choses sous un angle différent. On est face à ce que l’on prend pour un affront et l’on ne peut plus entrevoir le fait que dans une relation, les choses peuvent prendre des chemins de traverse. Dès lors, se formaliser, c’est se détourner pour le coup de la personne avec laquelle on aimerait tant communiquer.
La jeune femme de cette histoire avait tout prévu ; même la légèreté du repas ; détail qui illustre parfaitement ce désir de tout contrôler. Cette première nuit d’amour devait être parfaite. C’était sans compter le tiers de l’histoire : Il y a elle, il y a lui et il y a ... eux. La confrontation de deux personnalités pour un seul et même désir, à bien y réfléchir, ce n’est pas une mince affaire. La déception a été grande, l’amour-propre en a été mis à rude épreuve et du coup, elle n’a même pas été capable de faire le lien entre l’impuissance à faire l’amour et la puissance des sentiments.

Tomber amoureux, être attiré même intellectuellement par quelqu’un, c’est attendre beaucoup de cette personne. Ca peut donner le vertige même si l’on a envie de répondre à cette attente. Peur de ne pas être à la hauteur, peur de ne pas savoir s’y prendre... il suffirait peut-être de se rappeler les fois où ça nous avons ressenti cette pression, pour comprendre celui à qui ça arrive, en face de nous.

Il y a quelque temps, je devais me trouver à un endroit où une personne que j’aime beaucoup serait. Cette personne, je ne l’avais pas vue souvent mais il y a des gens qu’on aime beaucoup, tout de suite ; c’est comme ça. Moi, je savais que j’avais très envie de la revoir. Vous me croirez si vous voulez, j’ai failli renoncer à me rendre à cette soirée, parce que j’ignorais comment l’aborder. J’avais peur que ma joie de la revoir me trouble et par là-même ne la trouble elle aussi. J’étais pétrifiée. Bien évidemment, j’ai fini par décider d’y aller. Du jour où j’ai su que je verrai cette personne, j’ai tenté d’échafauder un plan de rencontre. Je voulais à la fois, pouvoir lui dire ce que j’avais envie de lui dire tout en me gardant d’étaler mon ressenti. Comme si c’était faisable ! Une fois l’une en face de l’autre, j’ai perdu pied, parce qu’elle n’a pas réagi comme je l’avais présagé. Et au lieu de rebondir sur l’imprévu comme aurait fait n’importe quelle personne normalement constituée, j’ai bredouillé et renversé un verre, submergée par l’émotion.

Je suis rentrée dépitée, humiliée. J’étais persuadée d’avoir perdu cette personne avant même de l’avoir connue.

Comme il convient chez moi de ne jamais sombrer complètement dans le ridicule, j’ai usé de toute l’auto-dérision dont je suis capable en pareil moment en faisant rire les deux ou trois copines auxquelles j’ai raconté mes mésaventures.

J’ai eu besoin de quelques semaines pour me remettre de cet épisode tragique.
J’espérais ne plus jamais croiser le chemin de cette personne qui avait dû me prendre pour une folle ou quelque chose dans ce goût-là. A trop vouloir lui plaire, j’avais tout fait pour lui déplaire. Si c’est pas fort ça !

Plus l’enjeu est grand plus les risques de fiasco le sont. Plus on calcule parce qu’on n’a pas confiance en soi, plus on s’égare et plus on a de chance de créer des malentendus.

J’espère que les deux amoureux de votre chronique se sont retrouvés et qu’aujourd’hui, ils rigolent bien de cette histoire. Finalement, c’est tellement plus drôle lorsque ça n’arrive pas comme prévu. C’est ce qui fait qu’une histoire ne ressemble à aucune autre. Et puis surtout, un peu d’ironie ne nuit jamais...

Sophie

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