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Comment expliquer le succès de l’homéopathie ?
par Elie Arié
Article du 7 septembre 2005

Je m’interroge sur les raisons du succès de l’homéopathie auprès du grand public, et qui n’a aucun rapport avec le niveau intellectuel de ses adeptes : beaucoup de gens, de haut niveau culturel, s’adonnent à l’homéopathie.

Car il faut se rappeler qu’il n’y a aucun rapport entre intelligence et irrationalité : tout être humain a son irrationnel : de nombreuses entreprises, y inclus publiques, dirigées par des gens qui ne sont pas a priori tous des imbéciles, utilisent la numérologie pour le recrutement de leur personnel ; presque tous les magazines « féminins », dont certains de haut niveau, contiennent une rubrique « Astrologie ».

1-Les bases des tenants de l’homéopathie

En laissant de côté les arguments des médecins et laboratoires homéopathiques, intéressons-nous aux arguments développés par les patients adeptes fervents de l’homéopathie, qui frappent par leur standardisation.

1.La « science officielle » serait figée et réfractaire au progrès ; les scientifiques seraient bornés, intolérants, superstitieusement attachés aux théories orthodoxes.

Il s’agit là d’une extraordinaire et totale inversion de la réalité : ce qui caractérise la science, c’est que, précisément, elle est en évolution permanente ; que rien n’est jamais acquis pour elle ; que toute théorie ne rend qu’incomplètement compte des faits connus, et qu’elle est perpétuellement soumise à révision face à des faits nouveaux ; aucun médecin ne peut exercer à partir des seules connaissances et théories acquises lorsqu’il a terminé ses études : il constituerait alors un vrai danger public. La science dite « officielle » est celle qui se remet perpétuellement en question.

À l’opposé, la théorie homéopathique, énoncée il y a plus de deux siècles, n’a pas varié d’un iota depuis ; imperméable à toutes les découvertes biologiques, physiologiques, physiques, chimiques, pharmacologiques, génétiques survenues depuis lors, elle demeure immuablement murée dans ses certitudes, dans un aveuglement qui démontre qu’elle relève de la démarche religieuse.

2.Le mythe de la révolution scientifique solitaire, accomplie sans coup férir par un génie qui se lève un beau matin en disant : « Aujourd’hui, je vais bouleverser les fondements de la pharmacologie ».

L’histoire des sciences, loin de ce sensationnalisme entretenu par les médias, est bien différente : tout génie (il n’en a pas manqué) a eu des précurseurs, s’est appuyé sur des travaux antérieurs, et a ensuite été amené à reconnaître (sinon, d’autres l’ont fait pour lui) les limites de ses découvertes et les insuffisances de ses nouvelles théories ; par contre, Hahnemann, Jésus-Christ, Mahomet, Moïse, etc. ont révélé des Vérités Immuables, mais seul le premier d’entre eux croyait adopter une démarche « scientifique ». [1]

3.Le mythe du génie méconnu : tout imposteur, lorsqu’il est à court d’arguments scientifiques, déplace la discussion en prétendant que sa découverte est trop novatrice pour être acceptée, que l’on veut le réduire au silence parce qu’elle met en danger trop d’intérêts financiers (« les grands lobbies pharmaceutiques, qui dictent leur loi à la médecine officielle ») : tous des Galilée !

Comme il existe effectivement des exemples historiques où l’on n’a pas écouté dans un premier temps (mais jamais pendant deux siècles !) de réels innovateurs, et comme beaucoup de gens aiment l’idée romantique du génie solitaire et méconnu, l’argument est presque imparable : hélas, il ne suffit pas de rester méconnu, souvent à juste titre, pour être un génie !

Passons sur la naïveté de l’argument financier du « petit » désintéressé qui combat les « gros » animés par l’appât du profit : le chiffre d’affaires des laboratoires Boiron pour 2004 a été de 313 millions d’ Euros, et il annonce, au titre du premier semestre 2005, sa hausse de 8,7 %, avec une capitalisation boursière de 508 millions d’Euros après absorption du N°2 mondial, le laboratoire Dolisos (également français...hélas !).

4.La théorie de la « mémoire de l’eau ».

On comprendra qu’il n’y a pas lieu de l’aborder ici, car une théorie, fût-elle confirmée par des expériences vérifiables et reproductibles (ce qui, en l’occurrence, n’est pas le cas), ne suffirait pas, pour autant, à justifier scientifiquement, en bloc, l’ensemble de l’homéopathie : de même que les données des théories chimiques aujourd’hui (provisoirement) admises par tous ne sauraient justifier l’efficacité et l’ Autorisation de Mise sur le Marché, en tant que médicament, de tout nouveau produit chimique, une éventuelle vérification expérimentale de la théorie de la « mémoire de l’eau » ne dispenserait pas chaque médicament homéopathique de devoir faire la preuve de son efficacité dans telle ou telle pathologie (ce qui l’en dispense, c’est le passe-droit juridique dont il bénéficie) ; à l’inverse, l’absence de toute théorie explicative de son mode d’action n’empêcherait pas la prescription d’un médicament homéopathique le jour où il aurait fait ses preuves de son efficacité dans telle maladie (bien qu’il préfère en être juridiquement dispensé...) : mais, après près de deux siècles de pratiques homéopathiques, force est de constater que ce jour n’est pas encore venu.

2- Les insuffisances de la médecine et de la pharmacie « officielles »

Les arguments précédents ne témoignent pas seulement d’une grave carence de notre système éducatif, qui n’aborde que tardivement et partiellement ce qui devrait être inculqué à tout élève, quel que soit le stade auquel il abandonne sa scolarité : ce qu’est la science, ce que sont un fait scientifique et une théorie scientifique. [2]

Ils relèvent aussi d’un mythe, celui de la médecine et de la pharmacologie « officielles », qui seraient scientifiques, par opposition à tout ce qui est charlatanesque.

1-La médecine a longtemps été charlatanesque, et le Diafoirus du « Malade Imaginaire » n’en était pas une caricature ; la sincérité et l’honnêteté des médecins n’était pas en cause, ils avaient effectivement l’impression que la saignée ou la bave de crapaud recueillie au crépuscule étaient parfois efficaces : mais ils n’avaient pas les moyens de distinguer efficacité réelle, coïncidence et effet placebo.

Ce n’est que très lentement que a médecine a progressivement adopté une démarche rationnelle : méthode anatomo-clinique ou corrélation entre les symptômes observés et les découvertes d’autopsie(Morgagni, XVIII ème siècle), méthode expérimentale (Claude Bernard XIXè siècle), conférences de consensus et médecine basée sur les preuves (XX ème siècle).

Mais ces avancées théoriques ont été longues à commencer à s’implanter dans l’enseignement et dans la pratique ordinaires : il a fallu attendre le début du XX ème siècle pour que la médecine curative commence à avoir un effet mesurable sur la santé des populations occidentales (l’homéopathie n’en a jamais eu aucun) et pour que, comme le disait le professeur Jean Bernard : « on ait plus de chances de guérir, lorsqu’on était malade, en allant consulter un médecin plutôt que n’importe qui ».

Mais cette évolution théorique est loin d’être généralisée en pratique : sans parler des problèmes d’organisation du système de soins qui influent toujours sur leur qualité (et il n’y a pas d’organisation « neutre »), le comportement de beaucoup de médecins est loin d’être toujours rationnel et conforme aux « données les plus récentes de leur art » ; beaucoup ne suivent aucune Formation Médicale Continue, certains se contentent d’un « moi, je fais comme ça, je trouve que ça marche bien » qui ne vaut pas mieux que le « moi, je prends des médicaments homéopathiques, je trouve que ça me réussit bien ».

On ne peut ici que déplorer la carence extraordinaire du Conseil de l’ Ordre des Médecins, censé lutter contre le charlatanisme, mais qui, par confraternité, laisse fleurir sans broncher les plaques de médecins annonçant les pratiques les plus farfelues telles que l’iridologie ; il y a là, pourtant, une véritable tromperie de ceux qui s’abritent derrière un diplôme attestant de l’acquisition de certaines connaissances pour justifier des pratiques en contradiction totale avec ces mêmes connaissances.

À ces lacunes de la médecine dite « officielle », il faut rajouter sa fréquente impuissance : les médecins ne savent pas tout guérir ni même tout soulager (et ont le tort de ne pas toujours le reconnaître) ; mais, si nous n’avons pas de moyens de connaître notre avenir, devons-nous pour autant croire en l’astrologie ?

2-L’industrie pharmaceutique ne répond pas, on s’en doute, au schéma idéal et désintéressé de la mise sur le marché des seuls produits à efficacité démontrée en précisant bien leurs limites ; la liste serait trop longue de ses pratiques aboutissant à éloigner de ce que serait une consommation rationnelle des médicaments :tentatives de monopolisation de la formation continue des médecins, marketing médical , publicités rédactionnelles, présentation d’études tronquées, promotion de fausses innovations, combat pour l’obtention du droit à faire de la publicité directe auprès du grand public, etc. [3]

Donc : le charlatanisme médical et pharmaceutique « officiels » est bien une réalité, et explique sans doute, en grande partie, le détournement de nombreux patients vers les pratiques « alternatives ».

Attitude évidemment irrationnelle, et consistant à tomber de Charybde en Scylla : ne se sentant pas le courage ou les moyens de combattre, au jour le jour, au cas par cas, pour que la médecine soit de moins en moins charlatanesque et inefficace, ils se jettent dans le charlatanisme et l’inefficacité absolus ; démarche analogue à celle de beaucoup d’hommes qui, ne pouvant supporter l’idée qu’ils vont définitivement disparaître un jour, se réfugient dans la croyance en un au-delà qui les dispense de combattre pour rendre le peu de temps qu’il leur est accordé de vivre aussi agréable que possible. Plutôt le mythe radical que la réalité imparfaite.

3-Qu’est-ce que « croire en l’homéopathie » ?

Aussi nous semble-t-il que la vraie nature de la « croyance en l’homéopathie » n’est pas de cet ordre, ce qui explique que les discussions avec les adeptes de cette religion soient toujours stériles, mais du domaine épistémologique ; la vraie question est

« Qu’est-ce qui fait que quelqu’un ou quelque chose fait foi ? Pourquoi est-ce que je crois en l’homéopathie, en Dieu, en tel candidat aux Présidentielles sans programme politique précis, etc. ? ».

Nous n’avons évidemment pas les moyens ni la formation pour aborder un tel débat, mais nous nous bornerons à une remarque, d’ordre médical.

Pendant des millénaires, les femmes enceintes ont eu recours à des tas de « trucs » pour savoir si elles accoucheraient d’un garçon ou d’une fille (style ventre arrondi ou ventre pointu, etc.), « trucs » qui -comme les médecines parallèles- variaient d’un pays à l’autre, mais qui avaient tous en commun de ne tomber juste qu’une fois sur deux.

Puis est arrivée l’échographie, qui permettait de répondre à cette question avec une exactitude voisine de 100% ; et l’on s’est alors aperçu que plus de la moitié des femmes - les mêmes qui avaient recours aux fameux « trucs » traditionnels- demandaient à leur échographiste de ne pas leur donner la réponse, qui, cette fois, serait la bonne.

On ne peut s’empêcher de penser que, si elles « croyaient » avant à ces « trucs », c’est parce qu’en réalité, elles n’y croyaient pas, mais qu’elles y cherchaient autre chose : sans doute à manifester leur appartenance à un même groupe social en faisant savoir qu’ elles en partageaient les croyances, vraies ou fausses, peu importe [4] ; et de se demander si, en réalité, « croire », ce ne peut pas être, aussi bien, « ne pas croire ».

Et si ceux qui « croient » en l’homéopathie, n’y croyaient pas nécessairement, en réalité ?
Et si ceux qui « croient » en Dieu... ?
Mais voilà qui dépasse largement le cadre de cette réflexion.

Au fond, de toute ceci, , il me semble que la question qui émerge est

"Pourquoi l’homéopathie plutôt que n’importe quoi d’autre ?" ,
alors que, dans certains cas, on peut clairement répondre à la question : "pourquoi les antibiotiques (ou les anticoagulants, etc.) plutôt que n’importe quoi
d’autre ?"

La réponse serait-elle : "parce qu’elle fait partie des croyances collectives" ?

Et entraîne automatiquement la question : " Ne faut-il pas aller contre les croyances collectives lorsqu’elles ne sont pas fondées ? Toutes les croyances collectives méritent-elles d’être respectées ? Ceux qui se battent, en Afrique, contre les croyances collectives sur l’origine du SIDA qui font obstacle à l’usage du préservatif et des antirétroviraux ont-ils tort ?"

Autrement dit : le social et le culturel doivent-ils l’emporter sur la raison ?

Elie Arié

Commentaire de Martin Winckler :

Avant de prendre une plume rageuse pour m’écrire que vous trouvez ce texte insupportable, merci de le relire posément. Puis de lire les articles suivants sur placebo et homéopathie.

Et souvenez-vous : ce site est un site de débat, d’échanges d’arguments. Tous les arguments sont recevables. Si ce sont des arguments, et pas seulement des insultes.

MW


[1Evitons les anachronismes : la démarche d’ Hahnemann constituait, à l’époque où la médecine tuait sans doute plus de gens qu’elle n’en guérissait, un progrès médical certain, puisqu’elle amenait à se limiter à l’effet placebo et à abandonner tout le reste, qui était plus nocif qu’utile aux malades.

[2On lira avec profit, pour pallier cette carence, le remarquable, classique et de compréhension très facile « La logique de la découverte scientifique », de Karl Popper, 1935.

[3Pour plus de détails, on lira avec profit, à ce sujet, « Le Grand Secret de l’industrie pharmaceutique », de Philippe Pignarre,. Éditions La Découverte-Poche, 2004.

[4Voir la très intéressante conférence de Raymond Boudon que l’on peut visionner sur le site de l’Université de tous les savoirs :« Les croyances collectives »...

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