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Contes à rêver debout, sur ARTE Radio

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Chroniques de Mona Chollet


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Le Camion de Noël
Un conte (de Noël) à rêver debout
Article du 22 décembre 2005

C’est l’histoire d’un type, qui est chauffeur routier, et qui balade un trente tonnes. On est le 24 décembre au soir, et il rentre chez lui.

Enfin, il rentre chez lui... Il n’a pas vraiment de chez lui où rentrer parce qu’il vit seul, son camion est vide, il n’est pas spécialement pressé de rentrer...

Alors il est pris d’une sorte de désir de retarder le moment où il va se retrouver tout seul chez lui, devant sa télé ou devant sa bouteille de vin rouge, et comme il est en pleine Sologne, il emprunte une toute petite route, en se disant :

"Tiens, on va voir si j’arrive à me dépatouiller de cette petite route avec mon trente tonnes". Au bout de quelques kilomètres, comme la Sologne c’est quand même très boueux, à l’époque de Noël, il s’embourbe, il glisse dans le fossé, et son camion est coincé.

Ecouter la chronique en ligne sur le site d’ArteRadio


Illustration : un camion de Jean Rouillon, photographié par Phil, sur www.lescamions.com


Il s’en veut évidement beaucoup d’avoir fait ça, mais il l’a cherché, et il se dit
« Pfff, après tout, passer la nuit de Noël devant sa télé ou devant sa bouteille de vin rouge, ou bien la passer dans la cabine de mon camion, c’est pareil. »

Il branche le chauffage, il grimpe sur la couchette qu’il y a au dessus de la banquette de sa cabine, il s’allonge, et il s’endort. Ça fait un petit moment qu’il dort, quand il entend frapper à la vitre de son camion.

Il ouvre un œil, il ne distingue pas très bien, il voit une lumière à l’extérieur.
Il descend de la banquette, ouvre la fenêtre, et se trouve face à une superbe jeune femme blonde, en manteau de fourrure, qui le regarde de ses grands yeux et qui lui dit :
- Votre camion a l’air d’être embourbé, vous allez pas passer la nuit ici, quand même ?
- Ben, j’suis bien obligé, parce que j’vais pas faire déranger des gens pour venir me tirer de là cette nuit, c’est le soir de Noël, y’a personne, j’vais passer la nuit ici, et demain, je demanderai de l’aide »

Et elle :
- Mais moi, je ne vous laisse pas dormir ici tout seul, passer la nuit ici tout seul dans votre camion ! Je vais vous emmener chez moi".

Et lui ;
- Eh bien écoutez, vous êtes très très gentille, ça me touche beaucoup, madame, mais faut pas que ça vous dérange..."
- Mais ça me dérange pas du tout, vous savez, j’ai de la place à la maison, y’a aucun problème.

Le routier prend sa veste, il descend, il referme le camion et il la suit, elle est absolument superbe, et elle l’emmène vers une voiture, et il découvre que la voiture est une Porsche noire, magnifique...

Elle lui ouvre la porte de la Porsche, il monte dans la Porsche, il s’assoit à côté de cette femme, de qui émane un parfum absolument capiteux, et la voilà qui l’emmène, sur cette petite route de Sologne, qui prend des routes de plus en plus petites et qui finit par arriver devant un petit manoir superbe, complètement éclairé.

Elle le fait descendre de voiture, elle l’invite à entrer, elle lui dit
- Excusez-moi, comme c’est le soir de Noël, évidemment ma femme de ménage n’est pas là, mais vous savez, il y a des choses dans le frigo, je vais pouvoir vous donner à manger, parce que j’imagine que vous avez pas dîné...

Et lui :
- Non, non, j’ai pas dîné, non, bien sûr, mais il faut pas que je vous dérange, quand même, madame..
-Mais vous ne me dérangez pas, d’ailleurs vous voyez, moi aussi je suis seule ce soir, au moins, on va passer la soirée tous les deux, à bavarder un peu plutôt que de rester chacun seul.

Il n’en croit toujours pas ses yeux, elle le fait entrer, elle le fait asseoir, elle lui propose à boire, elle lui offre à boire quelque chose qu’il a pas bu depuis longtemps, et puis elle dit « Oh, allez, c’est le soir de Noël, on va se faire plaisir », elle sort une terrine de foie gras, une bouteille de champagne, du saumon, elle met la table, elle lui offre un repas comme il n’en a jamais fait de sa vie.

Et après ce repas inoubliable, elle dit : « Bon, maintenant je pense qu’il vaut mieux que vous alliez vous reposer, que vous alliez vous coucher, parce qu’il se fait tard, maintenant... » Et elle le fait monter dans une des chambres du petit manoir, elle lui ouvre la porte, c’est une chambre d’amis absolument splendide. Il dit : " Mais, vous êtes sûre que vous voulez que je dorme ici ?"
-Mais bien sûr que je veux que vous dormiez ici, il n’y a pas de problème. Et d’ailleurs dans ce placard, vous trouverez des pyjamas, qui sont probablement à votre taille... La salle de bains est juste à côté, servez-vous, utilisez absolument tout ce dont vous avez besoin, vous êtes mon invité.

Il s’exécute, elle repart, elle le laisse. Il trouve un pyjama de soie, il prend une douche, il se bichonne comme il s’est jamais bichonné de sa vie, et il se glisse dans les draps du lit somptueux qu’il y a dans cette chambre merveilleuse. Et ça fait pas trois minutes qu’il est dans le lit qu’il entend frapper à la porte.
-Euh... Entrez ?

La porte s’ouvre, et dans la lumière tamisée du couloir, il voit son hôtesse, en déshabillé transparent, se tenir sur le seuil. Et elle lui dit "Je ne vous dérange pas ?"

Et lui
-"Non, non madame, vous me dérangez pas du tout"
-Je me suis dit que vous vous sentiez peut-être un peu seul dans ce grand lit...
-Évidemment, j’ai pas l’habitude de dormir dans un lit aussi grand, je... oui, enfin, oui, bien sûr, je me sens un peu seul, mais déjà vous m’avez accordé l’hospitalité, je devrais être en train de dormir dans la cabine de mon camion..."

Et elle poursuit : « Moi aussi je me sens un petit peu seule dans mon lit, et je me suis dit que peut-être... on pourrait se tenir compagnie... »
Et lui : "Mais écoutez, madame, bien sûr, faites comme chez vous".

Elle referme la porte, elle se glisse jusqu’au lit, elle soulève les draps, elle se met à côté de lui sur le bord, elle dit "Mais, là vous êtes au milieu du lit, est-ce que vous pourriez me laisser un tout petit peu de place ?"

Et il se pousse, bien sûr.
-Est-ce que vous pourriez vous pousser un tout petit peu encore, un tout petit peu, un tout petit peu...

Et il se pousse encore un peu.
-Oui, encore un tout petit peu...

Il se pousse encore un peu, et il tombe... dans la cabine de son camion.

Evidemment, il se fait une bosse, parce qu’il cogne le volant, en tombant. Et il est malheureux, parce que c’était un beau rêve. Et il se dit "Après tout, j’aurais pu passer une nuit de Noël devant ma télévision ou devant ma bouteille de vin rouge, et là j’ai fait un beau rêve".

Il regarde l’heure, il est trois heures du matin.

Il soupire.

Il remonte sur sa couchette, et il s’endort.

Et ça fait pas trois minutes qu’il dort, quand il entend frapper à la fenêtre de son camion. Il ouvre un œil, et il voit une lumière à l’extérieur. Il descend sur la banquette, il ouvre la fenêtre, et il se trouve devant une superbe femme brune, qui lui dit "Votre camion est embourbé, vous n’allez pas passer la nuit comme ça, sur la route, dans le froid ? Venez, je vous invite à dormir à la maison..."


Il n’est pas toujours possible de passer un Joyeux Noël, mais je vous souhaite, à toutes et à tous, de beaux rêves.

Marc Zaffran/Martin Winckler

Ecouter la chronique en ligne sur le site d’ArteRadio

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