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Savoir conclure
L’Esprit d’Escalier de Mona Chollet, ép. 19
Article du 1er novembre 2006

Pour sa dernière chronique sur ARTEradio.com, Mona Chollet avait écrit le texte épatant que je publie ci-dessous. Je l’aime beaucoup parce qu’entre autres choses il exprime bien, de manière subliminale, le sentiment que j’éprouve de temps à autre quand je pense avoir fait le tour d’une question. Qu’il s’agisse de culture, de politique, d’engagement éthique ou moral, est-ce qu’on peut continuer sans arrêt à creuser le même sillon ? Quand doit on considérer qu’on a plus rien de neuf à dire ? Quand faut-il passer à autre chose ? Bref, quand doit-on se résoudre à partir ? A conclure ?

MW

Ecouter la chronique sur le site d’ArteRadio

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Pour cette dernière chronique, je vous avais encore préparé une petite réflexion de derrière les fagots sur tout ce qui a changé ces derniers mois dans le paysage politique et médiatique ; mais je me rends compte que je n’y arrive plus. Je sature.

Je n’ai plus envie de mettre bout à bout des citations de Daniel Cohn-Bendit, de Serge July, de François Hollande, de Jean Daniel, de Philippe Val, et de me venger du préjudice subi en les abreuvant de sarcasmes fielleux.

Alors attention, qu’on se comprenne bien : ça ne veut pas du tout dire que je regrette de l’avoir fait, ni que je trouve tous ces personnages plus sympathiques qu’avant, ni que je me désintéresse des bouleversements de ces derniers temps et de leurs suites. Au contraire : moi qui ai toujours eu du mal à me passionner pour la politique politicienne, et qui adore faire la maligne en me plongeant dans des auteurs qui prennent les choses de beaucoup plus haut et font remonter nos ennuis actuels à un couac très préoccupant survenu au cours du paléolithique, je continue à penser qu’on a vécu un moment exceptionnel avec ce débat sur la Constitution européenne.

Pas forcément un moment idyllique, parce que, même si je suis persuadée que le non était la seule option responsable, comme j’ai eu l’occasion de le bramer en long et en large sur cette non-antenne, on est très loin d’être tirés d’affaire ; mais un moment exceptionnel quand même, justement parce que les péripéties politiciennes ont rejoint les questions fondamentales ; et ça, il me semble qu’on ne le voit pas forcément deux fois au cours d’une vie.

Mais ça n’empêche pas que je sature. En fait, j’ai un besoin presque physique d’autre chose : j’ai besoin de changer d’univers, de lexique, de registre, un peu comme quand on a abusé d’une sorte d’aliment et que l’organisme réclame un peu de variété pour satisfaire ses besoins nutritionnels. Par exemple, sur mon site, Périphéries, j’ai recommencé à publier aussi des citations littéraires, et plus seulement des pamphlets rageurs. J’assume très bien mon activité de polémiste, mais je ne peux pas non plus vivre en n’étant que ça, ni vis-à-vis de moi-même, ni vis-à-vis des autres.

Longtemps, pour prendre du champ, pour m’aérer, je me contentais de lire des essais, mais je me rends compte que ça ne me suffit plus, et que j’ai de nouveau un besoin terrible de fictions. Je lis tout ce qui me tombe sous la main pourvu que ça comporte un contexte imaginaire, un début, une fin, des personnages, des rebondissements : je lis les services de presse que je reçois selon une logique mystérieuse, comme le roman de Siri Hustvedt Tout ce que j’aimais, chez Actes Sud, que je vous recommande chaudement ; je lis L’Idiot de Dostoïveski, le dernier Michael Connelly - c’est bien, les polars, parce que c’est comme un shoot de fiction sous sa forme la plus efficace. Et quand je suis en manque, un film d’action à la télé fait très bien l’affaire.

C’est drôle, parce que parfois, j’ai l’impression que les gens qui professent publiquement leur insatisfaction devant l’ordre des choses ont un peu de mal à avouer qu’ils ont aussi des goûts et des besoins qui - a priori, en tout cas - n’ont rien à voir avec cette insatisfaction. Je me rappelle qu’un jour, j’avais croisé un journaliste du Monde diplomatique alors qu’il sortait du cinéma - ça devient très people de gauche, cette chronique. Il avait vu un film chinois d’arts martiaux, et moi, bêtement, j’avais été surprise - comme si, parce qu’il travaillait au Monde diplomatique, il devait forcément n’aller voir que des documentaires sanglants sur les ravages de la mondialisation.

Et de son côté, je ne pense pas qu’il se doutait qu’il avait en face de lui une dingue de Star Wars, par exemple. Du coup, je m’étais demandé si, dans ces milieux-là, on ne s’obligeait pas à parler uniquement de politique parce que chacun croit que les autres ne s’intéressent qu’à ça. Il me semble même que parfois, parler frénétiquement de politique, ça peut être une défense, un évitement, un moyen de ne pas se mouiller dans sa relation aux autres.

Mais est-ce qu’on peut avoir des convictions politiques solides si on ne s’assume pas en tant qu’être humain complet, avec ses besoins et ses centres d’intérêt multiples, et aussi avec sa part de banalité ? Peut-être que si la critique de l’ordre existant reste le plus souvent confinée dans une sorte de ghetto, c’est parce que ceux qui la portent fondent leur démarche uniquement sur ce qui les distingue de la majorité des gens, et se croient obligés de censurer tout ce qui les en rapproche...

A mon avis, vous n’aurez pas trop de tout l’été pour méditer cette profonde hypothèse. Voilà, j’aurai quand même réussi à produire une petite réflexion politique de derrière les fagots, finalement... Portez-vous bien !

Mona Chollet

Ecouter la chronique sur le site d’ArteRadio

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