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Le médecin patraque, 12
La santé ou la vie ?
Un médecin raconte son cancer...

26 février 2011

Le médecin patraque est un médecin écrivain de grande expérience. Sa dernière expérience en date : un cancer. Il nous en parle à tous, médecins et non-médecins. MW
PS : Oui, c’est un médecin réel (et non, ce n’est pas moi) Son pseudonyme est destiné à lui permettre de prendre du champ.


Voilà maintenant quatre mois que ma chimiothérapie est terminée, que je suis censé être guéri sauf récidives, et que je suis entré dans le stade d’un contrôle tous les trois mois...ce qui m’amène à un certain nombre de découvertes.

D’abord, que rien ne sera plus jamais comme avant ; la conscience définitive du côté provisoire de ma (sur)vie relativise beaucoup l’intérêt que je portais à mes activités, désormais toutes marquées d’un irréversible « À quoi bon ? », qui semble vider toute chose de son contenu ; certes, je continue, parce que les automatismes sont toujours là ; mais je me trouve dans la situation d’un fin gastronome soudain atteint d’agueusie (perte du goût), qui continue à aller au restaurant mais ne peut plus faire la différence entre un Château-Pétrus et un gros rouge qui tâche. On peut considérer cela comme une lucidité bien tardive, parce qu’effectivement, dans l’absolu, mes activités n’avaient aucune importance ; mais il est difficile de vivre sans illusions.



Ensuite, que ces contrôles créent un stress qu’on ne peut s’empêcher de ressentir comme artificiel : une semaine avant, une certaine angoisse s’installe, qui ne disparaît qu’une fois qu’on a constaté que les examens sont normaux. Or, ce petit stress est appelé à se renouveler tous les trois mois pendant au moins trois ans, mais il semble en partie « artificiel », parce que les contrôles ont lieu tous les trois mois - ce qui correspond sans doute à des études statistiques ; mais on ne peut s’empêcher de penser qu’il serait moins fréquent si elles n’avaient lieu que tous les six mois, et encore moins s’ils n’étaient qu’annuels.

Mais, surtout, ils amènent à remettre en question le fameux « Ah, si on l’avait diagnostiqué plus tôt ! » que se répètent tous les cancéreux : est-il bien justifié ? Du point de vue de la maladie, certainement ; du point de vue du malade, c’est moins sûr.

Quel est le but de la vie, passé un certain âge ? Certainement pas de battre des records de longévité, mais de mener une vie de bonne qualité ; or, indiscutablement, depuis le jour (ça fait maintenant un an) où mon cancer a été découvert, la mienne s’est considérablement dégradée.

Il y a eu l’année exécrable du traitement et de la chimiothérapie- si exécrable que je me demande vraiment quelle décision je prendrais en cas de récidive ; il y a maintenant cette vie rythmée par le stress des contrôles trimestriels ; il y a enfin ce sentiment qui, comme je l’ai dit, retire tout intérêt à ce que je trouvais avant intéressant.

Alors, il est tout à fait légitime de se demander ce qui aurait été préférable :

 ne pas avoir diagnostiqué ce cancer, et avoir continué à mener un certain temps (combien ? impossible de connaître la réponse) la même vie qu’avant,

 ou mener, pendant un temps plus long (mais combien plus long ? là encore, impossible de répondre...mais certainement pas beaucoup plus, compte tenu de mon âge) la vie qui est désormais la mienne.

Au fond, ce qui m’est arrivé, c’est peut-être une victoire de la médecine sur la vie...

"Le médecin patraque"

Fin

Lire le 1er épisode du "Médecin Patraque"




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