source - https://www.martinwinckler.com/article.php3?id_article=1085 -



Autisme : préjugés partout, prise en compte nulle part
par Miss Titi, du réseau DÉesCAa

30 mars 2012

Je vais lister les préjugés qui nous suivent partout, y compris et surtout dans la prose médicale à notre propos...

Bien sûr les intentions sont « bonnes » mais elles marquent bien souvent un jugement externe sur nos pensées à partir de nos comportements...

Or l’adéquation entre les 2 champs en question est très loin d’être « bonne ».

J’avoue que le fait qu’ils soient couramment employés par les « soignants » les rends encore plus choquants car il s’agit de jugements de valeurs...

Et cela n’incite pas du tout à la confiance envers eux.




Absence d’empathie

Il paraît que nous les autistes nous ne sommes pas empathiques... Comprenez, que la plupart des neurotypiques veulent dire par là : « indifférents »...

Je ne vous perçois que très mal : par contre, j’écoute très bien (surtout en cote à cote sans autre personne autours) et je suis incapable de juger les autres.

C’est constitutif. Je ne perçois pas bien les gens, donc je perçois très mal leurs émotions et encore plus mal leur attentes socio-culturelles. Du coup, je peux pratiquement tout entendre sans être choquée puisque je n’ai jamais eu l’occasion d’internaliser les normes. Du moins tant que cela ne porte pas préjudice à personne objectivement.

Je connais des gens très différents, je sais parfois ce qu’ils cachent à leurs familles, leurs amis, leurs relations de travail. Parce que je ne réagis pas avec des a priori à ce qu’ils sont ou vivent.

D’un autre coté, ne comptez pas sur moi pour lire Barbara CARTLAND [1] ou pour les formules toutes faites de compassion. Je suis nulle à ces jeux sociaux là.

Bref, je ne sais pas si mon « manque d’empathie » n’est pas un « bien » quelque part... Vous voyez ce que je veux dire ?

Égocentrisme et absence d’intérêt pour les autres

Souvent je m’entend qualifier d’egocentrique.

Je suis extrêmement blessée de ce qualificatif. Ne serait ce que parce que c’est un peu l’hôpital qui se moque de la charité.

Je suis au courant que les autres ne pensent pas les mêmes choses que moi. Sauf que je ne perçois pas quoi. Dites moi ce que vous ressentez, alors je serais en mesure le prendre en compte.

Vous me faites penser à une personne qui ferait une crise d’hystérie parce que son(sa) partenaire de vie aveugle n’a pas remarqué ses nouveaux vêtements.

Qui est égocentrique ?

Moi, ou vous qui me demandez de prendre en compte chez vous ce que je ne perçois pas ?

Pire, mon absence de perception de vos émotions, m’évite d’interpréter vos rêves, vos désirs et vos vies. Ce dont vous ne vous privez pas entre vous et vis à vis de moi. Je suis toujours sidérée de voir à quel point vous êtes capables d’être en toute bonne foi à coté de la plaque sur ce que je pense.

Du coup, jamais je ne me permet d’interpréter ce que vous pensez : au moins, moi, je sais que je n’en sais rien

Quand à mon « absence d’intérêt pour les autres », je crois que mon test de QI est parlant : selon les items je « dépense » entre 40 et 120 points [2] pour essayer de vous comprendre !

Ça me paraît un peu couteux pour du manque d’intérêt pour les autres.

Il est clair que vous vous basez, ainsi que les tests de personnalité, sur les comportements et pas sur les fonctionnements internes et je ne vous en veux pas.

Par contre, j’avoue que j’aimerais beaucoup que vous cessiez de vous montrer insultants vis à vis de mes efforts et ceux des autres autistes. Ce n’est pas parce que le résultat n’est pas terrible, voire carrément mauvais, de votre point de vue, qu’il n’a pas été obtenu à un prix gigantesque.

Est ce que mon ami Pierre, qui est aveugle, est égoïste et malotru lorsqu’il se cogne à quelqu’un parce qu’il ne l’a pas vu ?

Singe savant et imbécile

Rain man est passé par là...

Il se trouve que je fais partie de la catégorie d’autistes dont est supposé faire partie ce personnage de film et je ne suis PAS un singe même savant [3]. J’ai mes réflexions et pensées personnelles, j’ai écris ce texte moi-même, j’en ai écrit beaucoup d’autres et certaines personnes m’attribuent une bonne qualité littéraire voire scientifique...

Quant à savante, peut être, j’ai un nombre anormalement élevé de diplômes de l’enseignement supérieur à mon actif, mais beaucoup d’autistes n’ont pas l’occasion d’avoir un scolarité « normale »... Près de 80% en France contre 30% ailleurs dans le monde sont hors du système scolaire.

Je suis aussi sur-efficiente mentalement [4] ce qui explique ma réussite scolaire, là où la plupart des autistes auraient explosés en vol en raison de la pression sociale.

Et je pense avoir essentiellement la même imbécillité que les aveugles qui ne voient pas votre nouvelle chemise et la bonne humeur qu’elle vous suscite ou des sourds qui ne vous entendent pas fredonner...

Mémoire sur pattes et rancune

Je suis allée à la première journée parlementaire sur l’autisme, le 12 janvier 2012 avec d’autres autistes adultes cachés dans la foule. Là, je me suis prise d’un net bavardage avec une femme élégante aux cheveux gris qui semblait ignorer totalement le fonctionnement interne des autistes et notamment a cru que je la voyais « normalement » alors que je faisais semblant, comme d’habitude, de la regarder en fixant entre ses yeux pour qu’elle n’ai pas de sensation d’inconfort en me parlant.

À la fin de la conversation, elle sembla penser que l’autisme avait quelque chose à voir avec la surdouance... Je tentais en vain de lui expliquer que la douance n’est qu’une chance qu’ont certains autistes et qui leur permet de surmonter leur autisme pour apprendre à parler plus ou moins d’eux mêmes mais que ce n’est pas le cas de tous. Son opinion étant faite, elle m’expliqua que j’ai une excellente mémoire et me dit son adresse courriel plutôt que de me donner sa carte.

Sauf que, en dehors des sujets qui m’intéressent et de l’étude des relations humaines, j’ai une mémoire de poisson rouge.

J’ai même tendance à « amnésier » totalement des pans entiers de connaissance à partir du moment où ils ne m’intéressent plus. Et, à vrai dire, comme j’avais son nom, à peine ai je récupérée sa biographie sur Internet [5] que j’ai oublié son adresse et son nom juste après.

Mais bien sur, comme tous les autistes ayant une communication de base fonctionnelle, à défaut d’être bonne, je suis très préoccupée de relations humaines et du coup, je me rappelle très précisément des échanges avec les gens, du moins ce que j’en ai perçu, afin de pouvoir les analyser et réécrire sans arrêt mon « logiciel » de traitement des stimuli d’origine humaine.

Du coup, j’ai nettement moins tendance que les autres à oublier ce qui s’est passé, non pas que j’ai un quelconque attachement émotionnel à cela, mais parce que c’est indispensable pour pouvoir ajuster ma communication et l’améliorer sans cesse. Elle qui est si mauvaise ce dont vous ne vous gênez pas beaucoup pour me le faire savoir sans pour autant préciser en quoi précisément.

Le coté bizarre de la chose, c’est aussi que, du coup, vous me reprochez (comme à tous les autistes) d’être rancunière sous prétexte que je suis capable de vous raconter ce que nous avons échangé il y a longtemps. Y compris les trucs pas sympas...

Je n’aime pas trop votre logique : comment croyez vous que je vais améliorer ma communication avec vous sans retour objectif dessus et si je ne garde pas le souvenir précis de ce qui s’est passé ?

Absence d’humour

Les autistes ne rient pas à tout ce qui fait rire les non-autistes.

Je ne comprend pas tout ce qui relève de la moquerie par rapport à une norme sociale. Ce qui me paraît très logique, Rit on de ce qu’on ne perçoit pas ? La norme sociale est un lien émotionnel, qui s’exprime à travers des expressions faciales et des attitudes corporelles.

Comme je n’ai pas vu les 2 derniers, je risque pas de « remonter » cet humour là jusqu’à sa chute. Et puis je ne suis pas sure que les blagues racistes, contre les femmes, les hommes, les roux, les homos, etc. ce soit très très intéressant. Il y a même des neurotypiques qui les trouvent nulles et ça je le sais.

Par contre, j’aime beaucoup l’humour sur la logique, sur la dérision... Là, j’ai cru constater qu’il y a une partie des neurotypiques qui n’aiment pas ces humours là.

Alors quelque part, je vais dire surtout que nous les autistes nous n’avons pas 100% le même humour que tous le monde. De là à dire que nous n’en avons pas... Je soupçonne ceux qui n’ont pas le même humour que moi de me dénigrer sous prétexte d’autisme.

Absence d’imagination

Je n’aime pas les romans à l’eau de rose et les trucs trop psychologisant comme lectures de loisirs. Je ne jouais pas aux jeux à « faire semblant » étant petite... J’ai du mal à me représenter ce que les autres pensent, d’où ma propension à le leur demander directement. Je ne potine pas. Je ne suppose rien de ce qui peut se passer chez les autres... Je n’aime pas les romans policiers ou d’horreur...

Bref, les psychologues et les tests le disent bien : je n’ai AUCUNE imagination !

Par contre, j’adore la science-fiction, l’heroic-fantasy, j’ai écrit des machins érotiques qui ont eu leur petit succès et de la science-fiction aussi... J’ai tout lu Victor Hugo, Alexandre Dumas et A E Van Vogt et quelques autres, j’ai aimé le film Blade Runner (mais pas la nouvelle dont il est tiré), Avatar et j’ai aussi une impressionnante collection de bandes dessinées...

Je vais donc dire que j’ai une autre imagination que celle recherchée par les tests !

Absence d’émotion et de sentiments

Il semble que beaucoup d’autistes soient inexpressifs d’où un raccourci assez violent sur nos émotions...

Pas d’expression = Pas d’émotion...

C’est un peu léger, non ?

Et les aveugles, vous le leur dites quand leurs expressions n’ont aucun rapport avec leur ressenti et la situation ?

Non, comme ils sont aveugles vous considérez comme acquis que cela ne veut rien dire...

Et, moi aussi, je suis aveugle mais juste à vos expressions et donc mon imitation est aussi mauvaise que celle d’un aveugle... Je suis autant expressive qu’eux...

Ou plus exactement, je suis souriante... J’ai été élevée par des gens pour qui c’est l’expression la plus fréquente et la demande sociale...

Sauf que sourire presque tous le temps, ce n’est pas forcément approprié, surtout dans la civilisation française qui est quand même une de celles où on fait le plus « la gueule » !

Comme je suis aveugle aux expressions et que je n’ai pas reçu d’éducation explicite sur leur contenu appelé « émotions », j’ai mis nettement plus longtemps à nommer les miennes...

Vers 30 ans, toute émotion me mettait mal à l’aise car j’étais incapable de faire la différence entre « être amoureuse » et avoir une gastro carabinée...

Cela ne veut pas dire que l’émotion est absente... Grâce à ma bonne mémoire, je sais maintenant de quoi il s’agissait... Mais sur le coup, sans savoir nommer ce que c’était : impossible d’en tirer une réaction adaptée.

Et puis confondre un coup de foudre avec une gastro, c’est dire que le coup de foudre était intense !

Peur de la stigmatisation

Toutes ces choses font, que tous les autistes adultes que je connais (moi y compris) nous avons peur de la stigmatisation.

Donc peur de faire un dossier MDPH, ou de demander une ALD. Peur que cela se sache, ce qui nous prive pour beaucoup de la compensation de notre handicap et de l’accès aux soins.

Peur de le dire autours de nous, car cela pourrait « fuiter », ce qui nous fait passer pour des gens arrogants, indifférents aux autres ou stupides.

Peur de nous renseigner, des fois que... Ce qui nous évite de recevoir l’aide dont nous avons besoin.

Peur que l’équipe du réseau DÉesCAa que j’ai co-fondé n’a de cesse de prendre en compte dans les mesures de confidentialité vis à vis des neurotypiques et qui nous a pris plus d’un mois à mettre en place alors qu’elles paraissent superfétatoires au commun des mortels. [6]

Par Réseau DÉesCAa du réseau DÉesCAa

P.S.

Pour commenter cet texte, rendez vous sur le fil dédié dans le réseau DÉesCAa.

L’inscription au forum est nécessaire pour intervenir. Tous les membres le peuvent y compris les non autistes.

Les non autistes doivent impérativement sélectionner le groupe « curieux, entourage et famille » lors de leur inscription. Ce groupe leur donne à titre exceptionnel des droits d’accès réduits au site qui est réservé aux échanges entre personnes autistes.

La suite de mon témoignage sur mon autisme vu de l’intérieur : dans 1 semaine !
Mon insertion sociale et ma vie personnelle d’autiste


[1j’ai essayé et je n’ai rien compris

[2j’ai « traduit » les scores pour que les personnes ignorant tout de la constitution des tests de QI puissent comprendre

[3N’en déplaise à l’avocat de certains psychanalystes ayant fait interdire le documentaire « Le Mur » et aux détracteurs de TCC

[4même si ce n’est malheureusement pas le cas de tous les autistes

[5ce devait être la dirigeante d’une association de psychanalystes sensés nous soigner, ce qui m’a évidemment répulsée, vu ce que je pense la psychanalyse, suite à mes expériences avec, et l’ignorance manifeste de cette Dame concernant les (non) perceptions d’un(e) autiste...

[6Des développements informatiques ont même été faits pour assurer aux membres la plus haute confidentialité possible.




Source - https://www.martinwinckler.com/article.php3?id_article=1085 -