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"Boomtown" : De la vérité comme puzzle
La série de Graham Yost désormais disponible en DVD

5 août 2005

Boomtown a été diffusée par Canal +, France 2 et Jimmy.
Le texte qui suit a été écrit pour le numéro 15 (janvier 2004) de la revue Episode, aujourd’hui disparue.

Boomtown est désormais disponible dans un coffret présentant l’intégrale de la série, y compris les 6 épisodes de la saison 2, inédits à la télévision française.



Indépendamment du fait que Boomtown est visuellement magnifique (elle a été tournée en 16/9 et HDTV, mais a été montrée en 4/3 à la télévision), la série créée par le scénariste Graham Yost et le cinéaste Jon Avnet se détachait nettement de la plupart des séries policières habituellement diffusées sur les networks (grands réseaux télévisés américains), par son élégance et la sophistication de sa narration.

Mais contrairement à ce qu’on a souvent écrit, Boomtown n’est pas une série policière racontée " du point de vue de ses personnages ". C’est même exactement le contraire. Ses épisodes sont, effectivement, composés par les actions entrecroisées, parfois de manière antichronologique, des sept personnages principaux.

Chaque séquence, annoncée par le nom du personnage sur fond noir, suit l’itinéraire de l’un des protagonistes (mais aussi, parfois, de la victime, du suspect, du coupable) qui apparaît alors comme le " récit personnalisé " d’une partie des événements. La succession de ces récits finit par composer un tout qui donne son sens à l’histoire.

Mais la construction très élaborée de chaque épisode ne se résume pas à une succession de séquences. C’est dans le choix très précis qui consiste à rapporter tel récit avant tel autre, et à livrer ces récits au spectateur dans un ordre bien particulier que réside l’originalité et la beauté narrative de Boomtown.

Ainsi, la scène inaugurale de chaque épisode (le vieil homme qui, dans le pilote, s’adresse à la caméra pour dire que toutes les grandes villes ont leur fleuve, tandis que L.A. n’a.. qu’un égout à ciel ouvert ; le camion qui fonce sur un pavillon résidentiel ; l’opérateur de vente par correspondance qui entend une fusillade dans ses écouteurs ; les flics en planque qui surveillent le départ d’un homme de son domicile) n’est pas un simple teaser (séquence d’accroche), mais une scène reprise et souvent complétée au cours de l’épisode, car elle aussi constitue un fragment de l’histoire.

Cette scène inaugurale a été choisie et tournée avec soin pour constituer en quelque sorte le fil qui dépasse de la pelote de récits entrelacés... ou la première des pièces d’un puzzle narratif que les scénaristes déposent l’une après l’autre devant le spectateur, lui réservant bien des surprises sur les motivations et les actes réels des différents personnages.

Dans de nombreuses séries, la séquence finale est une scène, souvent convenue, au cours de laquelle les personnages se quittent sur de bonnes paroles ou - comme c’est quasiment rituel dans les Law & Order/New York District - sur une conclusion sombre ou ironique. Dans Boomtown, la scène finale est la pièce manquante du puzzle que l’on vient d’assembler.

Ici (dans le pilote, en particulier) elle boucle l’histoire en renvoyant le spectateur à son tout début et confèrent à l’épisode une émotion d’une grande densité. Parfois (dans " Chimère ", le quatrième épisode, absolument époustouflant, diffusé samedi 11 janvier) elle donne au spectateur une " clé " à laquelle nul autre que lui n’a eu accès, et qui éclaire tout ce qui a précédé.

Loin de déployer une sophistication gratuite, Boomtown est une oeuvre d’une grande finesse, extraordinaire d’intelligence et de sensibilité, dont le sujet n’est autre que... le point de vue du spectateur : elle nous montre que la vérité humaine est complexe, que la perception individuelle est toujours fragmentaire (et souvent fausse) et que la réalité ne se résume jamais ce que l’on a cru voir, mais doit être reconstituée - comme un puzzle - avec un mélange de patience et de fébrilité.

Bref, c’est une merveille de série qui parle aux plus exigeants des spectateurs. On peut regretter qu’elle ne compte que 24 épisodes (la chaîne NBC en a interrompu la diffusion en raison de taux d’audience insuffisants). Mais on peut aussi se réjouir que la télévision américaine, malgré (ou grâce à) ses exigences commerciales, soit capable d’offrir des oeuvres de cette trempe, bien supérieures à la plupart des productions cinématographiques actuelles.

Martin Winckler




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