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Vous avez dit : "démocratique" ?
Enseignement, recherche, médecin : élitisme ?
un texte de R.D., une réaction d’Olivier D.

15 février 2004

J’ai lu avec beaucoup d’intérêt votre article sur la formation des médecins en France, et suis en grande partie d’accord avec vous quand vous décrivez la façon dont les études de médecines visent à former une "aristocratie" au plein sens du terme (puisque ces gens, qui se disent eux-mêmes les meilleurs, aspirent même aujourd’hui à jouer un rôle dans le gouvernement de nos états modernes au nom de leur expertise).

En ce sens, votre réflexion et vos descriptions ne sont pas sans me rappeler, de façon plus générale, le problème de la formation des enseignants et des chercheurs en France. Elles aussi, sans s’intéresser à l’acquisition de compétences utiles à la profession à laquelle se destinent les étudiants, visent à effectuer, à de multiples niveaux, une sélection qui, très souvent, masque sous des critères soi-disant scientifiques une véritable sélection sociale.

[Cette sélection s’opère déjà] par le coût des ouvrages nécessaires à la préparation de certains concours (qui peut frôler les 3000 euros pour certaines classes préparatoires littéraires ou au filières destinant aux Sciences Politiques) ou par le choix de maintenir des "options obligatoires", telles que le Latin, le Grec ou la programmation informatique, dont on sait par ailleurs que l’enseignement n’est quasiment plus assuré dans les établissements secondaires des zones dites "difficiles", et que le ministère cherche actuellement à faire disparaître totalement... hors de certains pôles d’excellences (en particulier les lycées possédant des classes préparatoires, le serpent se mordant ainsi la queue).

Qu’est-ce, en effet, qu’un enseignant universitaire aujourd’hui, sinon quelqu’un qui a d’abord sué sang et eaux pendant deux ans sur les bancs d’une classe préparatoire (premier moyen de faire un tri dans les étudiants), où, comme en faculté de médecine, on lui a essentiellement appris à mépriser ses camarades et à ne voir en eux que des concurrents potentiels ?

Là aussi, l’échec est un traumatisme destructeur pour certains, excellents élèves à la sortie du lycée mais qui ne se remettent jamais de la prépa et échouent ensuite totalement dans leurs études. Quant aux autres, sitôt admis dans une grande école [l’Ecole Normale, en particulier], ils sont soumis à un sévère lavage de cerveau visant à leur inculquer bien profondément qu’ils sont l’élites de la nation.

Ces écoles ne sont pas plus des lieux de solidarité que les prépas : les concours de sortie ou l’agrégation remettent en effet à l’honneur individualisme et méfiance. Pour prendre le parcours littéraire, celui que je connais pour l’avoir suivi, une fois son agrégation en poche (obtenue avec une facilité déconcertante en comparaison de ses anciens camarades de prépa moins chanceux qui eux, doivent souvent se contenter du CAPES, ou vivre deux ou trois longues années de galère avant de la décrocher), le jeune normalien se met en quête d’un poste en fac, pour y poursuivre sa thèse.

Nouvelle occasion de piétiner allègrement le voisin pour passer devant lui.

Il faut dire que cette formation au mépris et au dédain sera essentielle à la carrière du jeune universitaire, car elle seule lui permettra, une fois sa thèse décrochée, d’obtenir un poste de titulaire en fac (de plus en plus rare), là encore aux dépends de ses petits camarades.

Certes, cela est moins grave que ce qui concerne les médecins, car les universitaires ne sauvent pas de vies. Mais songeons tout de même que ce sont ces gens qui ensuite formeront ceux qui, selectionnés à l’échelon en-dessous, partiront ensuite enseigner dans les écoles, les collèges et les lycées. Faut-il alors s’étonner de l’écart qui existe aujourd’hui entre les attentes des élèves et la réalité des capacités des enseignants ?

Ce développement assez long, ce dont je m’excuse, n’avait en fait pour but que d’attirer votre attention sur le fait que si l’enseignement de la médecine souffre sans doute, en partie, de maux qui lui sont propres, il souffre surtout des défauts généraux de l’enseignement universitaire français, dont l’élitisme républicain c’est peu à peu mué en élitisme social (pour ne prendre qu’un exemple, on ne compte guère plus de 1 ou 2 enfants d’ouvriers dans les promotions des ENS, pour plus de 30 en moyenne dans les années 60).

L’omniprésence de la hiérarchie (pourtant officiellement niée), le dédain affiché pour ceux qui ont échoué à la précédente phase de sélection - tout, dans cette structure est impitoyablement pyramidal et ne cesse de rappeler que l’objectif est d’appartenir, un jour, à ceux qui sont tout en haut, à cette petite élite qui se pare de son expertise pour se constituer en aristocratie, et, de plus en plus, se renouveler elle-même par le bon vieux principe de l’hérédité des charges.

Vous seriez ainsi surpris du nombre de jeunes enseignants arrivant aujourd’hui dans les universités, et dont un au moins des parents est un universitaire illustre...

R. D.


Olivier D. a réagi vivement à cette contribution.
Voici sa réaction :

Je suis assez choqué par l’article de R.D. sur l’enseignement universitaire et je trouve dommage que vous ayez choisi de diffuser cet article.

"En ce sens, votre réflexion et vos descriptions ne sont pas sans me rappeler, de façon plus générale, le problème de la formation des enseignants et des chercheurs en France"

La description de l’enseignement universitaire qu’il donne est peut être exacte dans son domaine de compétence à savoir les lettres mais il faut dans ce cas avoir l’honnetêté et la modestie de se restreindre à ce champ universitaire là et ne pas laisser penser qu’il en est de même pour les autres !

"Qu’est-ce, en effet, qu’un enseignant universitaire aujourd’hui, sinon quelqu’un qui a d’abord sué sang et eaux pendant deux ans sur les bancs d’une classe préparatoire (premier moyen de faire un tri dans les étudiants), où, comme en faculté de médecine, on lui a essentiellement appris à mépriser ses camarades et à ne voir en eux que des concurrents potentiels ?"

Heureusement les enseignants universitaires ne sortent pas tous de la cuisse de jupiter ! Ils ne sont pas tous passés par les classes prépas et l’ENS !! Ils sont même ultra minoritaires ceux qui suivent ce parcours si l’on s’intéresse au monde universitaire dans son ensemble ! Un universitaire est quelqu’un qui a une thèse de doctorat, un point c’est tout. Le cursus qu’il a suivi auparavant va de l’université à l’école d’ingénieurs en passant par la formation professionnelle et tout type de parcous plus ou moins tordus via des IUT, des BTS, des licences professionnelles etc... Les agrégés sont rares, qu’on se le dise !

Quant à l’ambiance qui règne dans les classes prépas, j’en ai connu pas mal des classes prépas scientifiques et on est loin de l’atmosphère de concurrence acharnée, de méfiance et d’individualisme ! Comme dans toutes les classes, l’ambiance est faite par ceux qui y vivent.... En scientifique il y a bien souvent une entente et une entraide car chacun sait que l’autre peut lui -apporter sur certains points. Si les littéraires ne sont pas en mesure d’instaurer ce type d’ambiance cela tient autant au système qu’à la personnalité de ceux qui s’yengagent.

"Vous seriez ainsi surpris du nombre de jeunes enseignants arrivant aujourd’hui dans les universités, et dont un au moins des parents est un universitaire illustre..."

Quant à cette dernière phrase, il est tout aussi facile de la retourner ! Comment est-il possible d’avoir un discours aussi généraliste à partir d’une expérience individuelle dans un domaine particulier du monde universitaire qui est particulièrement large et diversifié ?

La rigueur universitaire impose normalement retenue et reflexion, elle incite généralement les chercheurs à construire leur raisonnement sur des faits identifiés et objectifs et non sur des impressions personnelles, c’est dangereux et discréditant pour l’ensemble de la profession !

Olivier D.




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