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"Les Cahiers Marcoeur", 10e épisode

24 mai 2004

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Le dossier vert, 3

Support fixe / support mobile par Bernard Gutyer [1]

Je serai dans l’écriture comme je ne sais plus qui voulait être dans le piano. R.M.

Ecrire que Marcoeur aimait les cahiers serait à la fois précis et simplificateur, succinct et vague, sec et amusant, certainement inadéquat. Ce serait biaiser le propos. Il avait pour les cahiers l’exigence fébrile de celui qui veut parvenir à ses fins. De même que l’amoureux rêve de l’être-objet paré de tous les attributs que son désir lui souffle, Marcoeur rêvait du "Cahier idéal", objet parfait sur lequel les mots ne pourraient s’inscrire que parfaitement. Dans deux brillants essais publiés dans ce même volume, Peter L. Yuth et Ramón Baretto traitent en détail de la proximité quasi-fusionnelle du sujet, du corps et des supports de l’écrit ; nous n’y reviendrons donc pas. L’objet de ce modeste travail sera essentiellement la place spécifique, l’on pourrait dire fondatrice, qu’occupe le cahier dans l’oeuvre marcoeurienne.
[...]

III, 3. Longtemps, il hésita entre petits carreaux et lignes toutes simples. Les quadrillages écoliers avaient d’emblée été rejetés parce qu’ils évoquaient les devoirs, les obligations d’écriture auxquelles il avait tôt refusé de se plier. Les lignes bleu-violet, massées par quatre, encadrées de lignes plus épaisses, hachurées par les lignes verticales et maintenues dans le cadre imposé de l’autoritaire marge rouge, conféraient aux "feuilles de copie" « une laideur constante et une bêtise irréductible [2] » ; les zones de no word’s land du haut et du bas de la page - « aussi enthousiasmantes que des photos de paysages aux murs d’une cellule » - le mettaient en rage ; écrire « là-dessus », c’était se comporter en « poisson dans la nasse au moment où les pêcheurs relèvent le chalut. [3] » Les marges lui faisaient craindre qu’on puisse ensuite passer derrière lui, le relire, le corriger, voire même le commenter. Faut-il rappeler combien il était rétif à tout commentaire, y compris aux siens propres ? Il redoutait que ces espaces non affectés par l’écriture ne servent d’embuscade aux traces d’autrui. Il ne tolérait pas la simple idée que la page puisse ne pas lui appartenir dans sa totalité. [...]

Pour Marcoeur, la page était un terrain inexploré, sans ordre, mais non sans repères. Pour y évoluer, il avait besoin de guides. Cette fonction, les simples lignes horizontales des cahiers cartonnés l’assumèrent fort longtemps. Les pages blanches survinrent très tard dans son trajet esthétique [4] .

[...] III, 7. Le choix du cahier, "ensemble de feuilles de papier pliées et assemblées entre elles par collage ou couture à l’intérieur d’une couverture souple ou semi-rigide et dans lequel on se propose d’écrire", n’était pas fortuit non plus. Marcoeur confiait volontiers qu’il attendait de son support fixe (par opposition au support mobile constitué par chaque outil-écrivant : stylo, crayon, feutre, etc.) d’être d’usage commode, facile à transporter, assez beau pour attirer le regard, assez original pour sécréter du mystère, solide, agréable au toucher, rassurant.

Il le considérait comme un prolongement de son corps, non pas seulement comme le théâtre de l’écriture mais aussi comme l’une des conditions indispensables à l’incarnation de celle-ci. L’inventaire des Cahiers* [5] des premières années démontre de manière éclatante la permanence de ces exigences. Marcoeur ne passait jamais devant une papeterie sans y pénétrer pour y dénicher un cahier original [6].

L’équilibre entre format, couleur et solidité de la couverture, texture du papier et lignage de la page était l’élément déterminant du choix - sans oublier l’acquisition quasi-simultanée d’un "support mobile" [7] adéquat. Tous les formats imaginables se rencontrent dans l’Inventaire*, mais on sait que Marcoeur ne laissait jamais ses achats en l’état, même si, de toute évidence, il ne pouvait utiliser ses cahiers aussi vite qu’il se les procurait. On sait que, parallèlement au travail d’écriture, Marcoeur mena toujours un intense travail plastique sur le corps même du Cahier*.

Les procédés utilisés sont multiples, de l’arrachage pur et simple au collage, en passant par le découpage, l’encrage, l’amalgamation d’autres substances, etc. Si bien que l’Inventaire* recense plus de mille sept cent soixante dix Cahiers* ayant au moins une (1) page (n°303 : S’il n’en reste qu’une) [8] , au plus 1492 (le N°177 : Ways to go !) Notons, en ce qui concerne ce dernier, qu’il représente le point culminant de la période "collages et ajouts" de Marcoeur, et annonce celle des Cahiers Magnifiques. Par la suite, on le sait, la manière de l’artiste allait s’épurer, pour tendre vers une pratique plus elliptique. [...]

* * * * * *

LES MICRO-CASSETTES, 2

(Voix de Jérôme Cinoche) : Bernard Gutyer, bonjour ! Avant tout, merci d’avoir bien voulu nous recevoir aujourd’hui pour cet entretien consacré à Raphaël Marcoeur...

(Voix de Bernard Gutyer) : Bonjour...

J.C. : Nous nous trouvons actuellement dans votre atelier de la rue du Palatin...

B.G. : C’est exact. J’ai commencé à travailler ici il y a dix-huit ans...

J.C. : Vous avez collaboré au recueil d’articles critiques qui constituent le volume VI des CAHIERS RAPHAËL MARCOEUR, paru ces derniers jours, pouvez-vous nous présenter l’objet de votre intervention...

B.G. : Eh bien, c’est assez simple, je me suis attaché à l’aspect plastique de l’oeuvre de Marcoeur, en particulier à l’évolution au fil des ans de ce qu’il appelle les "supports fixes". Mes propres investigations m’ont incité à étudier un mode de transmission de masse de l’écriture marcoeurienne - je veux dire du mouvement même de cette écriture. En lisant de simples transcriptions, il est en effet très difficile de se représenter la dynamique de l’oeuvre. Seuls quelques rares privilégiés ont pu regarder Marcoeur travailler, et bien sûr, la rédaction sur des cahiers tout bêtes ou des feuilles blanches n’avait rien de très passionnant...

J.C. : ... je ne suis pas tout à fait d’accord, le Manuscrit C.H.E.K. est là pour nous prouver le contraire...

B.G. : ... oui, c’est l’exception... En tout cas, la vision de Marcoeur en pleine activité graphique sur des supports inhabituels, les fameux "supports extraordinaires", est un spectacle proprement prodigieux. Marcoeur tenait que, dans la vie, tout est art. Chaque geste est un art. L’écriture est un art. Il s’est donc efforcé de montrer que la vie est art, et il s’est donc mis à utiliser la vie comme matière brute. Tout outil graphique devenait outil d’écriture, tout support vierge devenait champ d’expression. Moi qui l’ai vu travailler, j’ai voulu permettre au public d’assister à la naissance de ce qu’on pourrait appeler les Cahiers "plastiques".

Comme vous le savez bien, le problème de la publication des Cahiers Marcoeur était - et reste encore un problème épineux : Fallait-il regrouper les Cahiers selon le support utilisé, le thème, ou garder l’ordre chronologique ? Et puis, certains cahiers étant de taille et de nature très particulière, comment les publier à proprement parler ?

La solution générale qui a été adoptée, si elle peut paraître ridiculement simple, n’en est pas moins la seule qui satisfasse tout le monde, les chercheurs comme les lecteurs. Cette solution consiste à décrire le support de manière très précise, très plate, très formelle - certaines descriptions occupent jusqu’à vingt feuillets -, à en donner un aperçu photographique et à en restituer le texte linéairement, en indiquant lorsque c’est le cas, les contorsions que doit faire le lecteur pour accéder à la lecture. Des instructions topographiques ou physiques sont également données : diminution de la lumière ambiante, survenue de la pluie, etc... Malheureusement, cette option ne permettait pas de restituer le fabuleux mouvement de création des Cahiers. Quiconque a pu assister à la main-mise de Marcoeur sur un support extraordinaire peut en témoigner : le spectacle du "work in progress", de l’accomplissement marcoeurien est une expérience hors du commun. J’ai pour ma part longuement étudiés les "supports extraordinaires" et ceux des Cahiers "plastiques" dont j’avais moi-même suivi la conception.

J.C. : Pouvez-vous nous dire à quelle époque cela se passait ?

B.G. : Oh, il y a bien des années, nous étions tous deux étudiants... non, Marcoeur avait déjà abandonné ses études... Toujours est-il qu’à l’époque, j’ai noté très soigneusement le déroulement de certaines séquences de travail de Marcoeur...

J.C. : Avec son accord, j’imagine ?

B.G. : Euh... pas tout à fait. J’ai une excellente mémoire visuelle et de retour chez moi je notais ce que j’avais vu. J’avais déjà la certitude de prendre part à un évènement artistique sans précédent, et je n’acceptais pas l’idée qu’il puisse ne rester aucune trace de certains de ses travaux. Il a fait pas mal d’essais sur des matériaux qui se sont entièrement dégradés depuis. Ou bien la nature même du matériau interdisait de conserver le texte. Un seul exemple : Pas l’inceste. Il s’agit d’un texte mural, constitué de sept pages de texte superposées, séparées par une couche de peinture opaque. Marcoeur a écrit une première page sur le mur blanc, passé par-dessus une couche de laque bleue, puis écrit à nouveau - en blanc - , passé ensuite une couche de laque blanche, écrit par-dessus en rouge, passé une couche de laque jaune... et ainsi de suite jusqu’à la septième couche de peinture. La dernière « page » du texte est, elle aussi, recouverte de laque opaque. Il a été possible, en grattant la laque avec précaution, de faire apparaître le texte page par page.

J.C. : C’est proprement fascinant !

B.G. : Le plus fascinant c’est qu’il avait rédigé son texte dans l’ordre inverse de sa lecture.

J.C. : Voulez-vous dire que ses pages sont... ?

B.G. : Oui, elles sont disposées de manière à ce que leur exhumation permette la lecture dans le bon sens. La "page 1" est la plus superficielle, la "page 7" la plus profonde. Marcoeur avait réalisé son cahier en commençant par la fin.

J.C. : Etonnant !

B.G. : N’est-ce pas ? Cet exemple est à lui seul très significatif de la forme de pensée de Marcoeur, comme de ses exigences esthétiques. A l’époque, déjà, la littérature devait selon lui être compréhensible par tous, l’accès au texte identique pour tous. Je me souviens l’avoir entendu dire que l’élément déterminant d’une lecture n’était pas le bagage du lecteur, sa formation ou les références multiples qu’il peut invoquer, mais sa disposition à relever ses manches. Murmurer - c’est l’autre titre du Cahier dont nous venons de parler...

J.C. : Oui, il nous faudra penser à rappeler que les Cahiers ont souvent deux titres, l’un d’eux inscrit à même le support, l’autre transmis par voix orale...

B.G. : ... c’est cela même. En l’occurence, ce titre de Murmurer, je le tiens de Marcoeur lui-même... qu’est-ce que je disais ?... oui, celui qui désirait se mettre à gratter pouvait parfaitement accéder au texte.

J.C. : Vous êtes donc parvenu à récupérer ce Cahier ?

B.G. : Absolument ! C’est une restauration qui a demandé trois ans de travail à une demi-douzaine de restaurateurs de génie, équipés de papier de verre très fin, de brosses à dents, de solvants doux, et de matériel vidéo. Pour l’exposition Marcoeur de 1992, nous avons réalisé une grande reproduction de Murmurer en sept panneaux grandeur nature, figurant les strates successives dans leurs moindres détails. Bien sûr, le texte ne prend toute sa force que s’il est restitué dans son mouvement et je travaille actuellement au montage d’un film d’animation qui reproduira la réalisation du Cahier, dans le sens originel cette fois-ci !

(Ici, un blanc d’environ quinze secondes dans l’enregistrement)

Pour un autre travail, intitulé Colle-chiques, dont le matériau principal est une pile de journaux, de revues et de livres découpés, collés et recouverts du texte original, la "mise en situation" choisie, fidèle à l’esprit de Marcoeur, est aussi en voie de réalisation. Il s’agit d’une formule alliant images de synthèse et interactivité. Le lecteur, muni d’un casque spécial, de lunettes-écran et de gants dotés de récepteurs tactiles, aura la sensation de toucher le stylo et le papier, percevra les bruits ambiants et lira le texte en temps réel - comme s’il était en train de l’écrire. J’ai consacré beaucoup d’efforts à ce travail avec un artiste époustouflant, un as de l’informatique et des AAO [9] , le dessinateur Aashverus.

J.C. : L’auteur de la Cuisine à tout vents, et du Général Destin ?

B.G. : Exactement. Inutile de vous dire que le projet est très excitant... les soixante-dix secondes déjà réalisées sont tout à fait saisissantes !

J.C. : Quelle sera la durée de ce... film - si on peut appeler ça comme ça ?

B.G. : Oui, il y a un problème de dénomination, n’est-ce pas ? Mais avec Marcoeur, ce genre de chausse-trappe est monnaie courante... Eh bien, après avoir reconstitué les modalités possibles de réalisation, nous avons fini par conclure que le texte avait été écrit en une cinquantaine d’heures, et c’est ce que notre Mirage - c’est le terme retenu - devrait durer. La plupart des spectateurs le visionneront en plusieurs épisodes. Nous avons prévu d’intercaler des résumés toutes les quatre heures, mais ceux qui le souhaiteront pourront regarder ça " non stop".

J.C. : Ne risquent-ils pas de mourir d’inanition ?

B.G. : (rire) Nullement... RM a pas mal boulotté pendant ces cinquante heures. Il a aussi avalé un certain nombre de demis, ce qui fait qu’il s’interrompt assez souvent. Evidemment, les spectateurs devront s’assurer que leurs toilettes sont libres... (rire homérique)

J.C. : Parlez-nous de l’homme...

B.G. : Mmm. Je ne sais pas par quoi commencer. C’était un garçon comme les autres. Très bavard, sans aucun doute. Il me parlait souvent de ses projets, avant même de les avoir entrepris. Quand je l’ai connu il écrivait déjà, vous savez !

J.C. : Vous êtes allé à l’école avec lui, je crois ?

B.G. : Oui, et avec Laetitia. Tous les trois nous avons eu Pascal Torricelli comme professeur de Lettres.

J.C. : Il s’agit de Laetitia Delorme, avec qui Marcoeur vécut longtemps...

B.G. : Oui, enfin - officiellement. En réalité, ils n’ont pas vraiment beaucoup vécu ensemble. C’était une sorte de mariage blanc. Une fiction que Marcoeur n’a jamais eu très envie de transcrire. Enfin, c’est une autre histoire. Mais certains de ses projets ont pris naissance bien avant leur vie commune. Un jour - c’était au lycée je crois -, il m’a montré le plan d’un grand roman qu’il projetait d’écrire. Il avait déjà le titre, c’était L’homme démonté. L’ordre des chapitres figurait la silhouette d’un homme inscrite dans une sorte de damier, ou d’échiquier, la tête en haut à gauche, les pieds en bas à droite, le corps sur la diagonale et les bras occupaient les premières lignes horizontale et verticale du damier. La forme était pour le moins insolite et j’étais perplexe quant aux possibilités de réalisation d’un pareil livre, mais l’explication qu’il m’a donnée était - comme d’habitude - si lumineuse que sa validité m’a bientôt semblé indiscutable. Il était très convaincant...

Une autre fois, à peu près à la même époque, il m’a offert une sorte de récit d’aventures dont j’étais le héros, une sorte de livre-objet qu’il avait fabriqué de ses mains. Il me prêtait des aventures mirifiques. C’était à se tordre de rire.

J.C. : Avez-vous gardé des traces de ces deux travaux ?

B.G. : Malheureusement, non ! Pour l’Homme démonté je n’ai que les souvenirs que je vous ai confiés, je n’avais pas pris de note, à l’époque, et la longue explication dont il m’avait gratifié comptait plus que la pauvre grille de mots croisés qui l’illustrait. Quant aux Aventures hypocryphes de B.G. je dois avouer à ma grande honte que je les ai égarées. Il n’avait pas fait de copie, ce n’était pas un simple texte, c’était un véritable objet-livre. Fait avec de l’encre, du papier, de la colle, des ciseaux, du carton, des accessoires divers - des allumettes brûlées, un miroir de poche, des boutons, des tickets de bus - un véritable jeu de pistes, comme ces romans d’énigme des années 30 où l’on donnait les photos des protagonistes, les bouts de tissus tachés ou les télégrammes déchirés retrouvés sur les lieux du crime et la solution tout à la fin, dans une enveloppe scellée : quand on l’ouvre, c’est fini.

Les Cahiers sont un peu comme ça : ils exigent de la part du lecteur un maximum de coopération. Ils sont source d’un immense plaisir esthétique mais ils provoquent aussi l’impatience, l’excitation, l’irritation, les rires excédés, la colère. On dirait qu’ils sont faits pour que le lecteur ait le sentiment de se trouver devant un problème insoluble, jusqu’au moment où, parvenu à la page ultime, il réalise que tout était là devant lui et qui il ne l’a pas vu - parce qu’il n’a pas vraiment lu.

J.C. : Qu’est-ce que "lire vraiment ? "

B.G. : C’est s’engloutir dans le texte aussi profondément que l’a fait celui qui l’a écrit. Je me rends bien compte que cette idée a des aspects terrifiants, mais lire Marcoeur c’est toujours, à mon sens, et pour cette même raison, courir le risque de passer à côté de la lecture... Si vous le permettez, j’ai une théorie personnelle à ce sujet...

J.C. : Je vous en prie !

B.G. : Je crois qu’il n’y a, pour chaque Cahier, qu’un seul et unique lecteur qui, d’emblée, sans effort, comprendra le sens du texte, adhèrera à lui et en tirera la pleine jouissance.

J.C. : C’est un peu difficile à admettre, tout de même, car cela veut dire que l’on ne peut pas rendre Marcoeur accessible au plus grand nombre...

B.G. : Ah, oui, n’est-ce pas ? Mais cette oeuvre est-elle véritablement accessible ? Je ne le sais pas. Les Cahiers plastiques ne le sont pas, je crois. J’ai moi-même eu parfois beaucoup de mal à y entrer : ce mélange de matériaux, ces superpositions de niveaux de lecture, ces implicites, la nécessité d’une participation physique du lecteur, me paraissent très rédhibitoires, même si je pense que c’est sublime... Mais je ne sais plus de quoi je vous parlais...

J.C. : Du cadeau qu’il vous avait fait.

B.G. : Oui, bref, un jour Raphaël est venu me voir en me demandant si je pouvais lui prêter ce texte, intitulé aussi « Cyclope, L’almanach’un ?il » - toujours le double titre -, et je lui ai dit que je ne l’avais plus, que j’avais dû le semer dans un déménagement, ou je ne sais quoi. J’étais extrêmement gêné de lui dire ça. Pourtant, il n’a pas eu l’air fâché, au contraire. On aurait dit qu’il était assez content, finalement. Il a fini par laisser échapper quelque chose comme : « C’est bien. Il ne faut pas se retourner. Surestimer ce que j’ai déjà écrit, c’est m’interdire l’accès de ce que j’ai encore à écrire. » Puis il s’est mis à rire et nous avons parlé d’autre chose. Mais je me suis toujours mordu les doigts d’avoir perdu ce texte...

J.C. : Je comprends ça ! La seule pensée d’un tel manuscrit pourrissant dans une décharge me donne des frissons, car c’était sans doute un de ses premiers travaux achevés, j’imagine ? En quelque sorte un de ses premiers Cahiers...

B.G. : Eh oui ! Et peut-être même le tout premier ! Une autre fois, il m’a envoyé une lettre-nouvelle qui s’appelait Comment écrire un Roman. C’est l’histoire d’un homme qui tente d’écrire un roman et ne parvient qu’à transcrire des épisodes de sa vie quotidienne. Il devient fou et finit par penser que sa vie quotidienne est le roman. Il vit chaque évènement comme un morceau de roman, et le transcrit sous une forme « réelle » dans ses écrits.

J.C. : Dites-moi, ça me rappelle quelque chose, ça !

B.G. : N’est-ce pas ? Vous voulez faire allusion (Fin de la cassette)

P.S.

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Merci à Martin Winckler de m’avoir fait découvrir les Cahiers, et de me donner l’occasion de les partager avec d’autres. LKB.


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[1Peintre, compositeur, écrivain, psychanalyste.

[2Living Space (Le Cahier Mauve), in C.R.M., vol. II p. 127

[3Ibid., p.129

[4A ce sujet, Cf. R. Baretto, : "Sutures chez Marcoeur", C.R.M., vol VI, pp. 388 et ss.

[5Les mots marqués d’une astérisque font l’objet d’une définition dans le Glossaire, page $$$ du présent ouvrage.

[6On sait aussi qu’il ne passait jamais devant une librairie sans y entrer pour y trouver un livre. On imagine ce qu’il advenait lorsqu’il entrait dans une librairie-papeterie. Comme le remarque R. Baretto, « ces lieux représentaient (pour Marcoeur) tout à la fois liberté et transgession, dépendance et autonomie, puisque lecture-fusion et écriture-explosion s’y rejoignaient. De ces incursions, Marcoeur ne sortait jamais indemne. Certains de ses plus beaux textes (Repères Informes, en particulier), y naquirent. » R. Baretto, "Marcoeur et les dépôts", op. cit., pp. . et ss.

[7Rappelons que Marcoeur changeait de support mobile chaque fois qu’il changeait de support fixe. Les exceptions à cette règle sont énumérées par Peter L. Yuth, dans "Règles et hors-marges", op. cit., pp. 356 et ss.

[8Voir à ce propos B. Gutyer, "Ordre logique/ordre logistique", op. cit. pp. 672 et ss.

[9Arts Appliqués à l’Ordinateur.




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