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Aujourd’hui quelle est la langue des sciences ?
09 décembre 2002

25 octobre 2004

Il est probable que si l’on posait cette question dans la rue, un grand nombre de passants répondraient « l’anglais ». Mais la réponse n’est pas si simple, comme nous l’explique un livre tout à fait épatant d’Henriette Walter intitulé Honni soit qui mal y pense, l’incroyable histoire d’amour entre le français et l’anglais (Robert Laffont, 2001).



Henriette Walter est linguiste et professeur émérite à l’université de Haute-Bretagne et son livre nous permet de comprendre que langue française et langue anglaise ont non seulement une longue histoire commune mais ont pratiqué depuis toujours les ensemencements réciproques. Dans un des derniers chapitres, elle s’intéresse aux langues de la science. Elle nous rappelle d’abord que bien avant l’anglais, la langue des sciences fut le grec (qui avait déjà succédé aux autres langues de la méditerranée et du proche-orient qu’étaient le sumérien, le babylonien, l’akkadien et l’égyptien).

Le grec, qui dominait les sciences depuis 500 avant Jésus Christ, fut supplanté par l’arabe qui fut la langue de référence entre le IXe et le XIIIe siècle, lequel céda la place au latin qui domina surtout aux XVe et XVIe siècles. Les langues nationales supplantent peu à peu le latin, Ambroise Paré donne ses cours de médecine et de chirurgie en français au XVIe siècle au Collège de France nouvellement créé et le français devient langue des sciences aux XVIIe et XVIIIe siècle, siècle des lumières.

À la même époque, Francis Bacon écrit certaines de ses oeuvres les plus importantes en anglais et Galilée les siennes en italien. Descartes publie ses Méditations métaphysiques en latin mais il écrit le Discours de la méthode en français, en 1637, pour - je cite - « que tout le monde comprenne, depuis les plus subtils jusqu’aux femmes » (!).

Le français devient la langue de la science lorsque Théophraste Renaudot crée successivement en 1631 et 1635 les deux premiers périodiques : la Gazette de France et le Journal des savants.

Les périodiques créés par la suite en Hollande, en Italie, en Suisse, sont eux aussi rédigés en français. On parle, on écrit et on enseigne en français à Berlin et en Russie, et l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, terminée en 1773, fait un tabac dans toute l’Europe. Mais, pendant ce temps-là, comme le rappelle Henriette Walter, la langue anglaise n’est pas restée inactive. Après Bacon, Isaac Newton et l’astronome Halley écrivent encore en latin, mais au XVIIIe et au XIXe siècle, à mesure de l’évolution des progrès scientifiques et techniques, l’anglais prend une place de plus en plus grande et supplante le français.

Aujourd’hui, l’anglais domine dans les disciplines scientifiques comme langue d’échange et de publication mais, quand on étudie le vocabulaire de base des sciences, il n’en va pas de même.
En chimie, les symboles des éléments (Na, K, N, Hg) sont issus du latin et du grec.
En botanique, en zoologie, la terminologie latine a toujours cours et l’anatomie qu’apprennent les étudiants en médecine anglo-saxons est quasi-exclusivement en latin.
Tout récemment, la nomenclature internationale a remplacé une flopée de termes anglais utilisés en cosmétologie par des termes latins modernisés : « aqua » pour water ou « ovum » pour egg , etc. <br<
Quant à l’informatique, les sigles (DOS, ASCII) sont souvent des acronymes de termes anglais mais un très grand nombre de mots sont formés sur des racines communes à l’anglais et au français (code, processeur, etc.) car ils sont d’origine... latine. (Le mot « algorithme » lui, est une des traces de la présence du monde arabe dans les sciences : c’est une déformation d’Al Kwarizmi - ou Al Kharezmi - surnom d’Abou Djafar Ibn Musa, mathématicien qui publia le traité Kitab Al-Djabr d’où découle le mot Algèbre.)

En fait, ce que nous rappelle Henriette Walter, c’est que l’anglais, langue germanique, a depuis très longtemps été colonisée de mots latins... par le français.
Bref, si l’anglais est aujourd’hui la langue des sciences mais reste accessible grâce à permanence du latin dans son vocabulaire, c’est grâce au français. Allez ! La situation serait bien pire si la langue scientifique de référence était le chinois...

P.S.

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