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Pourquoi entend-on sans arrêt des spots de l’industrie pharmaceutique en ce moment ?
"Odyssée", 15 mai 2003

25 juillet 2003

Depuis plusieurs mois, l’industrie pharmaceutique (sous le joli nom de « Les entreprises du médicament ») mène une grande campagne d’image auprès du public. Le motif de cette campagne, est tout simplement que l’industrie pharmaceutique est en crise. Le triomphalisme affiché par les spots n’est qu’une façade. Pourquoi ? Parce que depuis une vingtaine d’années, l’industrie ne découvre pratiquement plus aucun médicament majeur. Et, à terme, ça va finir par se voir.



Ce n’est pas moi qui le dis, mais un livre passionnant de Philippe Pignarre, intitulé « Le grand secret de l’industrie pharmaceutique ». Philippe Pignarre y explique que l’âge d’or du développement du médicament a eu lieu juste après la seconde guerre mondiale. À l’époque, les industriels disposaient d’une grande latitude pour tester les molécules qu’ils avaient en stock : ils les essayaient sur n’importe quel malade sans demander d’autorisation à une quelconque autorité sanitaire. Ca a donné quelques belles découvertes, mais ça a fait aussi pas mal de casse.

Cette liberté de tester les médicaments sans contrôle a, heureusement, peu à peu disparu avec l’obligation croissante pour les industriels de se soumettre, avant de pouvoir commercialiser leurs molécules, à ce qu’on appelle des essais cliniques contrôlés. Un essai clinique contrôlé est un protocole rigide qui permet de tester le médicament en s’assurant qu’il n’est pas dangereux pour ses utilisateurs, qu’il est bien efficace sur la maladie ou les symptômes considérés, et surtout, qu’il présente un avantage sur les médicaments déjà existants.

Alors qu’il ne fallait que deux ou trois ans, dans les années 60, pour passer de l’expérimentation à la mise sur le marché, un médicament antidépresseur aujourd’hui très connu, la fluoxétine (alias Prozac), qui a été étudié pour la première fois en 1974, n’a été autorisé sur le marché qu’en 1987.

Les coûts de développement des médicaments et leur délai de commercialisation ayant beaucoup augmenté, la plupart des industriels aujourd’hui ne veulent pas investir dans les molécules nouvelles. C’est beaucoup trop cher. Et les profits diminuent. Jadis, l’industrie pharmaceutique rapportait beaucoup à ses actionnaires. Elle reste l’une des premières au monde, mais les dividendes ont beaucoup diminué. Alors, que fait-elle ? Eh bien elle contourne le problème.

Quelques exemples : pour éviter de voir un générique leur prendre leur marché, certains labo fabriquent le générique eux-mêmes et le vendent seulement 10% moins cher que l’original, ce qui suffit à dissuader la concurrence ;

d’autres font passer la prise de médicament pour une mesure préventive - c’est le cas du spot sur le cholestérol, qui n’a pas d’autre but que de vous pousser à demander une ordonnance ;

d’autres encore truquent les résultats des études cliniques (il faut savoir que la plupart des études négatives, celles qui montrent que les médicaments testés ne sont pas efficaces, sont censurées par l’industrie)

certains, plus simplement, achètent les leaders d’opinion de la communauté médicale - aujourd’hui, à l’exception de la revue Prescrire, il n’existe plus de presse médicale française indépendante de l’industrie ;

la plupart, évidemment, et ils ne s’en privent pas, induisent les médecins en erreur pour les inciter à prescrire des produits même si ce n’est pas nécessaire - ce qui explique en particulier que la France soit le premier consommateur d’antidépresseurs au monde.

D’autres cherchent à créer de nouvelles maladies, complètement imaginaires. Les deux dernières en date sont l’insuffisance hormonale masculine (on dose la testostérone chez les hommes de plus de cinquant ans, on la trouve trop basse, évidemment, puisqu’elle baisse chez tout le monde et hop ! un traitement hormonal pour remonter la libido de ces messieurs) ou l’impuissance féminine (et hop ! un équivalent féminin du Viagra pour redonner un orgasme à ces dames !).

Et puis, il y a les méthodes franchement crapuleuses, qui consistent à tester les médicaments au rabais dans les pays du tiers-monde, dans des conditions qui ne seraient pas acceptées par les pays développés. Et dans ces mêmes pays développés, il y a le ravalement de façade par l’intermédiaire des spots qu’on entend actuellement.

Alors, si ces spots vous agacent, luttez contre la désinformation en lisant « Le grand secret de l’industrie pharmaceutique ». Vous m’en direz des nouvelles.

P.S.

Philippe Pignarre, Le Grand Secret de l’industrie pharmaceutique, Editions La Découverte, 2003.




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