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Rappel
Peut-on légiférer sur l’euthanasie en France ?
En 2003, on ne pouvait pas...

19 décembre 2012

Le rapport de la commission Sicard publié fin 2012 vient de rappeler que le monde médical et institutionnel français est encore extrêmement fermé à toute réflexion sur les questions de la fin de vie quand il s’agit de donner la parole aux premiers intéressés.

Le 19 décembre 2002, sur France Inter, je lisais la chronique suivante :

" Comment avez-vous choisi de mourir ? "

Cette question me traverse l’esprit de temps en temps, et particulièrement depuis que j’entends parler de Vincent Humbert, ce jeune homme tétraplégique à la suite d’un accident de voiture, qui vient d’écrire au président de la République pour lui dire qu’il voulait mourir.

Et je me dis que si la question de l’euthanasie suscite des réactions aussi fortes c’est parce que, très souvent, et de manière assez absurde, on demande aux médecins de résoudre le problème.

Mais les médecins ne deviennent pas soignants pour tuer des gens. L’idée qu’on vote une loi qui puisse implicitement ou explicitement faire d’eux des donneurs de mort les scandalise.



Et comment ne pas le comprendre ? De plus la demande d’euthanasie est souvent le fruit d’une situation qui n’est pas insoluble : beaucoup de personnes atteintes de maladies graves demandent à mourir parce qu’elles n’en peuvent plus de souffrir.

En France, l’utilisation de la morphine a longtemps été assimilée à un péché. De ce fait, d’innombrables malades ont souffert et souffrent encore le martyre alors qu’on aurait pu, qu’on pourrait les soulager.

Pendant les années 80, lorsque j’étudiais les modalités du traitement de la douleur chez le cancéreux tels que le pronaient les Britanniques, je suis tombé sur la phrase suivante : Un cancéreux qui ne souffre ni physiquement ni moralement ne demande pas à mourir.

Il est facile d’en déduire que le traitement approprié de la douleur permettrait déjà de faire disparaître beaucoup de demandes d’euthanasie qui n’en sont pas vraiment. Bref, dans ce genre de situation, il ne peut pas y avoir de règles, mais seulement des cas de figure, autant qu’il y a d’individus.

D’un autre côté, le désir de mourir n’est pas propre aux malades incurables. Chaque jour, des individus tentent de mettre fin à leur vie. Pour certains, il s’agit d’un appel au secours. Pour d’autres, c’est l’effet d’une dépression grave, dont ils sont la victime. Dans ces deux cas, il serait évidemment criminel de laisser les gens mourir.

Mais le suicide peut avoir d’autres motifs : des artistes allemands ont choisi de mourir parce qu’ils ne supportaient pas la montée du nazisme ; des résistants ont choisi de mourir pour ne pas risquer de parler sous la torture. Ces gestes-là sont habituellement considérés comme admirables. Il n’est donc pas inconcevable que certaines personnes décident, après avoir mûrement réfléchi, de quitter la vie lorsque leur vie leur paraît achevée.

Et ce fut clairement le cas de la mère de l’ancien premier ministre, Madame Mireille Jospin, membre du comité de parrainage de l’Association pour le droit à mourir dans la dignité (ADMD), dont le faire-part de décès publié par Le Monde, indiquait ces jours-ci qu’elle avait, à l’âge de 92 ans, décidé dans la sérénité de quitter la vie.

Madame Jospin avait décidé de choisir sa fin, elle a choisi aussi de le faire savoir et, à son sujet, Jean-François Mattéi a déclaré : Le suicide est une liberté. Je respecte complètement son choix et je ne porte pas de jugement.

Nous préférerions tous avoir une vie longue et remplie et choisir notre mort - comme Madame Jospin ; mais nous pourrions tous nous retrouver dans la situation de Vincent Humbert.

Alors, même s’il n’y a pas de réponse toute faite, il me semble que la question mérite d’être posée, en utilisant les mots appropriés et sans tourner autour du pot :

Vincent Humbert, parce qu’il est est tétraplégique, veut se suicider. Mais parce qu’il est tétraplégique, Vincent Humbert ne peut pas se suicider. Si le suicide est une liberté, ne devrions-nous pas l’aider à exercer cette liberté-là ?

(France Inter, Odyssée, 19 décembre 2002)

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Quatre ans et demi plus tard...

Le jeudi 8 mars 2007, Le Nouvel Observateur publiait un appel à la dépénalisation de l’Euthanasie.

Interrogé par l’hebdomadaire, j’ai écrit un texte, reproduit en partie sur le site du Nouvel Obs.

En voici la version intégrale.


Peut-on légiférer l’euthanasie en France ? Avec les médecins que nous avons, non !!!

Le premier obstacle à une législation sur « l’euthanasie » réside d’abord dans ce terme fourre-tout qui recouvre des situations radicalement différentes : ainsi, l’arrêt volontaire de réanimation d’un patient dans le coma, l’arrêt des thérapeutiques actives chez un patient en phase terminale ou le suicide assisté d’un patient qui ne veut plus vivre n’ont rien de commun. Les pays ayant légiféré distinguent les différentes situations.

Mais dans la plupart des pays développés, tout patient est entièrement libre de cesser de (ou de ne pas) se soigner ; l’arrêt de la réanimation peut avoir été choisi par le patient avant son coma et les médecins doivent se plier à ces décision, qu’elle leur plaise ou non ; quant au suicide assisté il ne concerne que des personnes lucides, tandis que toute euthanasie active - mise à mort décidée par le médecin avec ou sans l’accord de la famille - reste interdite.

En France, on continue à mélanger toutes les situations existantes, ce qui interdit la moindre réflexion utile. Comment s’en étonner ? Ce débat est confisqué depuis toujours par le corps médical qui, à travers ses « comités d’éthique », laisse entendre que toute décision médicale relève des professionnels et seulement d’eux.

Or, la loi Kouchner de 2002 sur stipule qu’aucun soin ne peut être donné sans l’accord du patient. Tout patient peut, en France comme dans d’autres pays, rédiger des « directives anticipées » - par exemple le refus d’être réanimé en cas de coma - et désigner une personne de confiance qui décide ou non de poursuivre les soins en son nom.

Trop de médecins français persistent à ne pas respecter ces dispositifs parce que nombre d’entre eux, pour commencer, ne respectent pas les droits les plus élémentaires des patients qu’ils soignent : le droit de donner ou refuser son consentement à un traitement ou à un examen ; le droit de demander plusieurs avis ; le droit de recevoir une information aussi complète que possible, d’avoir accès à leur dossier et de connaître très précisément leur état de santé.

En 2007, l’attitude générale du corps médical français à l’égard des patients n’est toujours pas, en effet, celle de soignants au service de citoyens adultes mais celles d’une « élite » qui entend décider seule de ce qui est « bon » ou « mauvais » pour ceux qui lui confient leur vie. Dans le sud-ouest, des chirurgiens ont stérilisé illégalement des personnes handicapées en guise de condition d’accès à des centres spécialisés. Dans ce même pays, certains réanimateurs néonatologistes décident unilatéralement - sans concertation avec la famille - d’interrompre la réanimation (quand ce n’est pas de hâter la fin) des nouveaux-nés dont ils jugent les dommages cérébraux ou neurologiques irréversibles.

On comprend que beaucoup de médecins français ne veuillent pas d’une loi qui indiquerait précisément que la vie et la mort des citoyens ne dépend que des premiers intéresssés, même lorsqu’ils sont malades... Cette loi les obligerait à reconsidérer des pratiques qui, jusqu’ici, restent totalement inconnues du grand public.

La seule approche éthique au problème de l’arrêt des soins en cas de coma consisterait à envisager ces situations du point de vue du patient, et non du point de vue du médecin. D’après la loi de 2002, tout patient peut, par écrit, ou via une personne de confiance désignée par elle, indiquer son refus de réanimation en cas de coma ou de maladie terminale.

Le respect de ces directives règlerait un très grand nombre de situations douloureuses. Encore faudrait-il que la volonté du patient soit respectée. Le paternalisme est si profondément ancré dans la culture des médecins hospitaliers français et les violations des droits les plus élémentaires sont si nombreuses à l’égard des patients conscients qu’on peut douter de voir suivre à la lettre la volonté de patients dans le coma !

De fait, l’objection la plus fréquemment opposée par les médecins aux directives anticipées est que « Le patient a pris cette décision alors qu’il était en bonne santé. S’il était lucide aujourd’hui, il en prendrait peut-être une autre. » Curieusement, on n’entend jamais invoquer cet argument lorsque le patient est porteur d’une carte de donneur d’organe ! Pourtant, le prélèvement hâte le décès de la personne concernée... Mais selon le patient, tous les désirs énoncés n’ont pas la même valeur...

Reste la question du suicide assisté, qui n’est pas près d’être seulement envisagée dans un pays encore fortement imprégné de catholicisme. Le suicide assisté n’est autorisé que dans un petit nombre d’états de culture protestante (Pays-Bas, Suisse, Orégon). L’expérience de ces états montre que peu de demandes sont effectivement suivies d’un passage à l’acte.

Car le plus important lorsque quelqu’un demande à mourir, est de soulager ce qui le fait souffrir au point de vouloir en finir. Les Britanniques, champions des soins palliatifs, le disent très bien : quelqu’un qui ne souffre ni physiquement ni moralement ne demande pas à mourir. Si les médecins français, encore très rétifs - ou très mal formés, ce qui revient au même - à l’usage des antalgiques majeurs, étaient plus soucieux de soulager vraiment les patients, ils les entendraient moins souvent demander à mourir.


Fin 2012, le rapport de la commission Sicard ouvre la possibilité d’une réappropriation de la fin de vie par ceux qu’elle concerne. Raison de plus pour ne plus laisser la parole à ceux qui, jusqu’ici, l’avaient confisquée. Parlons de la mort, de celle dont nous ne voulons pas pour nous et pour nos proches, et des conditions dans lesquelles nous aimerions clore notre vie.

Parlons-en entre nous, parlons-en aux médecins, aux croyants et aux incroyants, à nos proches et à nos amis, et ne laissons personne nous faire de leçon de morale.

Donnons à ceux qui en ont besoin une leçon de vie et de liberté.

Martin Winckler




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