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Le sexe du cerveau
Texte de la chronique d’ArteRadio.com

17 mai 2005

Ecouter la chronique sur le site d’ArteRadio


Un jour, à la radio, sur France Inter, j’ai fait une chronique qui devait s’appeler quelque chose comme "est-ce que le sexe a un cerveau ?" [1], ou "de quel sexe est le cerveau" [2] . Et j’ai commencé en disant des trucs assez banals, des choses assez banales, qui étaient que quand on faisait des tests plutôt de type mathématique ou arithmétique ou géométrique, les garçons semblaient plus à l’aise, et quand on faisait des tests plutôt de type verbal ou de type symbolique, c’est les filles qui étaient le plus à l’aise.

Et en fait, je ne voulais pas du tout parler de l’intelligence ou de l’aptitude à faire des maths ou à faire du langage, c’est pas ça du tout, je voulais dire que manifestement, le sexe influait sur le fonctionnement du cerveau, mais que je me posais aussi la question de savoir si l’orientation sexuelle d’un individu, c’est-à-dire le fait qu’un individu ait du désir pour plutôt le sexe opposé ou plutôt le même sexe, ou parfois pour les deux, si ça, c’était quelque chose qui était dans le cerveau.

Et en fait, ce qui s’est passé, c’est que à peu près à la même époque, j’avais lu plusieurs revues et plusieurs études qui semblaient indiquer, enfin dont les chercheurs semblaient indiquer que oui, peut-être que l’orientation sexuelle n’était pas liée aux chromosomes, c’est-à-dire au fait que l’on soit homme ou femme, ni à l’éducation, c’est-à-dire le fait qu’on vous élève plutôt pour devenir un homme ou une femme, et pour avoir un comportement plutôt masculin ou plutôt féminin, mais que c’était dû peut-être à la façon dont le cerveau était modelé pendant la grossesse, pendant le développement embryonnaire du fœtus dans le ventre de sa mère. A la façon dont ce cerveau était modelé par les hormones.

Et l’argumentation était la suivante : chez les rates, les femelles du rat, l’utérus a la forme de la cosse d’un petit pois. Et donc il y a des petits pois - qui sont pas des petits pois, qui sont des embryons - les uns à côté des autres. Et on a remarqué, en observant le comportement des rates et des rats une fois arrivés à maturité, que quand un petit rat masculin s’est développé dans l’utérus de sa mère entre deux rates de sexe féminin, à l’âge adulte il a un comportement plutôt de type féminin.
Quand, à l’inverse, une rate - un rat de sexe féminin - a été conçue et s’est développée dans l’utérus de sa mère entre deux rats masculins, arrivée à l’âge adulte, elle a un comportement plutôt masculin. C’est-à-dire qu’elle s’intéresse aux autres rates femelles comme si elle était un mâle.

Et alors comment on explique ça ? On explique ça de la manière suivante : les hormones qui baignent l’embryon vont orienter le développement de ses organes sexuels. Et ça, on le sait parce qu’on sait qu’il y a des êtres humains par exemple qui sont de sexe masculin, mais dont les organes sexuels se développent très peu ou pas du tout, ou peuvent se développer comme des organes sexuels féminins, à cause d’un certain nombre de circonstances. Et l’inverse est vrai aussi. C’est-à-dire qu’on peut être d’un sexe, génétiquement, et avoir les organes de l’autre sexe, ou même des organes indéterminés, être ce qu’on appelle un hermaphrodite.

Si ça influe sur le développement des organes sexuels, ça doit aussi influer sur le développement du cerveau, parce que le cerveau, il est soumis aux hormones comme le reste. Et donc la théorie actuellement, c’est que notre orientation sexuelle est située dans notre cerveau, elle n’est ni exactement liée à nos chromosomes, ni à la façon dont on nous élève, mais à la façon dont nous nous sommes développés pendant notre embryogenèse. Et c’est pour ça qu’on est (naît ?) hétérosexuel(le), ou homosexuel(le), ou bi.

Ce qui est bizarre, c’est que ça a l’air de gêner beaucoup de gens, qu’on puisse être aussi différents. Et qu’on puisse être l’un ou l’autre, ou les trois. Moi, je trouve pas ça gênant, et vous ?


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[1Oui, j’ai bien dit ça, et non "Est-ce que le cerveau a un sexe ?" Joli lapsus, hein ?

[2"Le cerveau a-t-il un sexe ?", chronique publiée (assortie de commentaires) dans Odyssée, une aventure radiophonique , éd. Le Cherche Midi, 2003




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