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Contraception et gynécologie >

Débat éthique
La maltraitance médicale est (vécue comme) un viol
par Marc Zaffran/Martin Winckler
Article du 25 février 2014

J’ai twitté cette phrase (sans sa parenthèse) le 25 février 2014. Elle a choqué certaines personnes qui suivent mes tweets, pour qui la comparaison est inappropriée, inconfortable ou simplement inadéquate.

J’ai complété le titre (merci YannSud/Dr Psy) pour que cessent les discussions agressives et somme toute stériles sur ma formulation. Le problème reste entier.

Je ne me place pas ici sur le plan légal – qui n’est pas de ma compétence – mais sur le plan moral, éthique (du point de vue du soignant) et émotionnel (du point de vue du patient).

Quand je parle d’éthique, malheureusement, je parle des conceptions internationales, celles de la bioéthique qu’on enseigne et tente d’appliquer dans de nombreux pays développés sauf, singulièrement en France ; ce n’est pas moi qui le dis, ce sont les rares philosophes et bioéthiciens français qui tentent de sortir de concepts archaïques.

Donc, pour expliciter mon titre - et donc, ma perception de la maltraitance médicale (vécue) comme viol :

Le viol est un acte sexuel imposé à autrui contre sa volonté. La condamnation du viol repose sur le fait qu’un rapport sexuel, qui est une manière « naturelle » d’interagir avec une autre personne, n’est considéré comme « acceptable » que s’il est librement consenti à tout moment par les deux partenaires. Pour qu’une personne consente, il faut qu’elle le fasse explicitement, et non qu’elle soit réputée(par l’autre personne) avoir consenti sous prétexte qu’elle n’a rien dit. De ce fait, un adulte qui aurait un rapport sexuel, même non violent, avec un autre adulte ayant perdu conscience (une personne intoxiquée ou un patient sur une table d’opération, par exemple) est, moralement parlant, un violeur, car il n’a pas recueilli le consentement de la personne en question.

L’exemple de la table d’opération n’a rien d’exceptionnel : en faculté de médecine, en France, il a longtemps été – et il est encore – d’usage que les étudiants « apprennent » à faire des examens gynécologiques sur des patientes endormies, en salle d’opération. Je parle d’interventions non gynécologiques, mais s’il s’agit d’interventions gynécologiques c’est pareil car ces patientes n’ont pas été prévenues. Je vous vois grimacer à cette idée. Et ça se comprend. Vous n’avez pas envie qu’on vous touche ainsi (ou qu’on touche votre sœur, votre mère, votre fille, votre compagne) pour des buts« pédagogiques ». L’idée, à elle seule, est insupportable. De même,celle qu’on pourrait « dans un but pédagogique », proposer à des étudiants d’examiner la prostate des hommes endormis. (Curieusement, pendant mes études, on m’a souvent proposé de faire des examens gynécologiques, mais jamais de faire un examen de la prostate…)

Cette pratique est dénoncée par de nombreux étudiants et médecins. Elle devrait être bannie (elle l’est dans d’autres pays, plus évolués sur ce point que la France), mais elle n’est pas dénoncée par les enseignants, ni par le conseil de l’Ordre, ni par le ministère de la santé, ni par les syndicats, ni par personne dans les milieux "autorisés". Donc, non seulement c’est un viol, mais c’est un viol couvert par les personnes responsables.

Ce qui fait le viol n’est pas, en soi, le fait d’introduire des doigts gantés (ou une sonde d’échographie, ou un rectoscope) dans le sexe ou l’anus d’une personne endormie, car le chirurgien qui doit vous opérer peut avoir besoin de le faire pour des raisons liées à l’intervention qu’il va pratiquer. Ce qui fait le viol, c’est de faire ce geste pour des raisons qui n’ont rien à voir avec l’intérêt du/de la patient.e et sans son consentement. En l’occurrence, pour le seul intérêt du médecin – qu’il soit« pédagogique » ou purement et simplement pervers.

Autrement dit, ce qui fait le viol, ce n’est pas la nature du geste (ou son caractère sexuel ou non), c’est le franchissement des barrières personnelles – physiques mais aussi émotionnelles et morales - que la personne considère comme infranchissables sans son autorisation. D’ailleurs, si le viol était seulement « sexuel », pourquoi l’introduction d’une bouteille dans l’anus d’un homme ou d’une femme est-il qualifié de« viol » ? Parce que le caractère « sexuel » est secondaire à la violence elle-même – c’est à dire à l’abus de pouvoir. C’est d’ailleurs sur ce point que l’avocat du Dr Hazout argumentait en disant qu’il n’avait « violé personne » et que les rapports sexuels étaient consentis. (Et que penser du fait qu’il admet être le père biologique des enfants des femmes qu’il a "traitées" pour infécondité ???)

Le problème, c’est que s’ils avaient lieu dans le cadre de son exercice médical(c’est à dire tant qu’il était le médecin des femmes concernées), ils ne POUVAIENT PAS être librement consentis : c’est ce qu’on appelle un abus d’autorité. Ce qui est vrai d’un instituteur, d’un éducateur, d’un officier de police, d’un prêtre dans l’exercice de ses fonctions ne peut pas être moins vrai pour un médecin.

Ce qui permet aux médecins d’introduire (!) l’ambiguïté dans cette perception du viol par le patient, c’est que le médecin est censé toucher le patient, il est censé avoir des contacts sur son corps, y compris avec les organes sexuels. Mais si un médecin introduit brutalement un otoscope dans l’oreille d’un enfant, n’est-il pas tout aussi maltraitant que s’il introduit un spéculum de manière brutale ? Est-ce que la brutalité est« moins grave » parce qu’il s’agit d’une oreille dans un cas et pas dans l’autre ???

Et il n’est même pas nécessaire qu’il y ait une brutalité physique ! Lorsque un patient allongé sur un lit en raison d’une maladie cardiaque voit défiler une tripotée d’étudiants à qui on a dit d’aller ausculter son coeur (c’était chose courante à l’époque de mes études, je serais étonné que ça ait complètement disparu aujourd’hui), il est en droit considérer comme une violence – et dans une certaine mesure comme un viol de son intimité– de les voir défiler sans en avoir donné l’autorisation explicite. Lorsqu’un médecin porte un jugement verbal humiliant sur un.e patient.e en l’insultant,en le/la traitant de (mettons) menteur/se, manipulateur/trice, simulateur/trice ou autre, n’est-ce pas une violence ? N’est-ce pas un viol de l’intégrité morale de la personne concernée ?

De la même manière, imposer à un patient une consultation publique (traduire : en présence d’un grand nombre de personnes inconnues de lui) au cours de laquelle on le fait déshabiller et/ou on lui pose des questions intimes est une violence – et donc, par extension, un viol au sens moral du terme. Ce qui fait qu’une maltraitance médicale est ou n’est pas un viol n’est donc pas lié au caractère « sexuel » (apparent) du comportement du médecin, mais à l’abus de confiance par position de pouvoir.

Dire que la maltraitance médicale n’est pas (comparable à) un viol, c’est établir une hiérarchie entre ce qui est « acceptable » ou ne l’est pas dans le comportement médical, en prenant le sexuel comme repère, alors que la violence, qu’elle soit sexuelle ou non, est toujours de la violence !!!On n’a pas le droit, moralement, de minimiser des gestes qui sont considérés comme « normaux » par certains médecins (rudoyer un patient,l’examiner sans son autorisation, pratiquer des gestes abusifs comme, par exemple, une échographie endo-vaginale ou un toucher rectal ou un examen des seins sans consentement) et qui ne sont jamais dénoncés comme des violences (ou reconnus comme tels par ces médecins) alors même que les patients les ont vécus comme tels !!!!

La seule personne qui peut dire si quelqu’un souffre ou non est cette personne, et pas une autre. De même, et au risque de faire hurler bon nombre de mes confrères, j’affirme que la seule personne susceptible de dire si elle a fait l’objet d’une maltraitance, c’est la personne concernée. (S’il y a plainte, alors ce sera à la justice de trancher, mais ce sera pareil que lorsqu’on a fait l’objet d’une agression dans la rue, ou d’une tentative de cambriolage).

Ce n’est certainement pas au médecin de le dire. Les patient.e.s qui se confient aux médecins attendent, avant tout, que ceux-ci les respectent. S’il y a abus de confiance ou manque de respect délibéré, c’est, moralement parlant (comparable à) un viol.

Je suis bien placé pour reconnaître que tout geste médical, même le plus bienveillant, peut être perçu comme une violence : ça m’est arrivé,comme à tout soignant, de faire mal. En l’occurrence, ce n’est pas l’intention (« Je ne voulais pas vous faire mal ») qui compte, mais ce que l’autre en perçoit. Si mon intention était, manifestement, bienveillante, il est facile de le montrer : d’abord en cessant de faire le geste dès qu’il fait mal ; ensuite en présentant des excuses ; enfin, si le geste doit être fait (sous réserve de l’accord du/de la premier.e intéressé.e), en prenant toutes les précautions possibles (prise en compte de l’anxiété et/ou du ressenti du patient, explication détaillée,discussion prolongée, réassurance, prise d’anti-douleurs, anesthésie locale ou générale, etc.) pour que le geste ne SOIT PAS douloureux (ou le plus tolérable possible).

(NB : On peut consentir librement à la douleur. Les femmes qui refusent une péridurale pendant un accouchement le font en sachant qu’elles sont susceptibles de souffrir (surtout elles ont déjà accouché et savent ce que c’est). Ce qui est une violence, c’est de leur imposer une péridurale dont elle ne veulent pas, ou de la leur refuser si elles la demandent... )

Toute autre attitude est un manque de respect du/de la patient.e. Et c’est, en soi, une violence. Car hors des circonstances d’extrême urgence et/ou de patients dans l’incapacité de donner leur accord, le soin ne peut EN AUCUN CAS être imposé ou transgresser les limites que toute personne établit elle-même pour préserver son intégrité.

L’éthique biomédicale exige que la sensibilité, les opinions, les valeurs, la volonté du patient soit respectées. Tout patient qui a affaire à un soignant attend, implicitement, que ce soignant ait un comportement éthique, c’est à dire respectueux. C’est à cette condition qu’il/elle se confie (se déshabille, physiquement et/ou moralement) devant lui. Si cette confiance est trahie, c’est un viol.

Et si vous n’êtes pas d’accord, je vous invite vivement à présenter vos arguments en réponse. Le débat ne peut être que très enrichissant, pour tout le monde.

Marc Zaffran/Martin Winckler
martinwinckler/at/gmail.com

Le jour où cet article a été posté, j’ai reçu un message d’un étudiant en médecine. Voici mes réponses aux questions judicieuses qu’il soulève.

Bonjour X
Je vous remercie de m’avoir écrit : c’est une marque de confiance qui m’honore.
Je vais vous répondre point par point, et bien sûr, ce n’est que mon opinion, ça n’a pas force de loi, et j’espère que cela stimulera votre réflexion propre, qui me semble d’ores et déjà très avancée.

Je suis actuellement étudiant en médecine, j’ai lu votre article sur la maltraitance.
Je suis d’accord avec la plupart de ce que vous avez dit. Cependant je vous trouve un peu rude sur les consultations publiques et sur l’auscultation par la tripotée d’externe. Quand on va dans un chu on est susceptible de tomber sur des étudiants, c’est dans le titre. Rentrer dans un chu c’est donné son accord implicite pour être vu par des externes.

Justement, non. Le code de santé public est très clair là-dessus : aucun geste ne peut être fait sur un patient sans son accord explicite. Le CHU n’échappe pas à la règle. C’est même dans la charte du patient hospitalisé. Par conséquent, quand on impose une consultation à plusieurs, cette règle est violée.

Il est toujours possible d’enseigner à examiner de deux manières :
 en apprenant auscultation et examen général par groupes d’étudiants (l’un ou l’autre est volontaire, et on tourne)
 en apprenant auscultation pulmonaire et/ou cardiaque et examen sur un patient de manière individuelle (un médecin, un étudiant). C’est ce que j’ai fait dans les années 70. On peut toujours le faire.

Pour le reste, il est aujourd’hui beaucoup plus facile d’apprendre à écouter les bruits du coeur avec des enregistrements, et quand quelque chose est vraiment rare, on DOIT demander au patient l’autorisation de le faire examiner par un étudiant (ou par plusieurs) – oui, on DOIT la demander. Beaucoup de patients accepteront, à condition que ça soit fait de manière délicate. Ce qui n’est pas admissible, c’est de ne rien demander du tout.

Le fait que les patients s’attendent à avoir affaire à des étudiants ne justifie pas qu’on ne dise rien - ou qu’on laisse planer le doute sur la personne qui les examine ou fait tel ou tel geste.

A titre d’exemple : dans les facultés de médecine du Québec, les examens gynécologiques systématiques (et les frottis) sont faits par des étudiants, supervisés par leurs aînés, sur des patientes volontaires, dont la participation à l’enseignement est encadrée par un contrat très précis. Les patientes qui ne sont pas volontaires sont examinées seulement par des médecins (résidents ou diplômés) en exercice. Les étudiants apprennent, mais ils n’apprennent jamais sur des patients qui ne veulent pas ou qui ne sont pas prévenus.

J’ajouterai que l’examen clinique n’est pas le seul problème. Quand on confie à un étudiant l’exécution d’un geste agressif (un prélèvement par exemple) sans l’assister ou sans demander l’autorisation du patient, c’est un viol caractérisé du Code de la Santé publique et c’est une violence faite à l’un et à l’autre.

On aura pas de bons médecins si personne n’écoute de coeur et des poumons, si personne n’a vu comment le chef faisait sa consultation. Il faut passer par là. C’est au final dans l’intérêt des patient.

Malheureusement,
cette vision est totalement contraire à l’éthique la plus élémentaire. Car les patients ne sont pas des cobayes, ni pour la recherche, ni pour l’enseignement. Jamais. C’est même pour éviter ça qu’on a inventé les codes d’éthique, après les procès de Nuremberg !!!

De plus, la « visite du chef » n’est pas en soi un critère de qualité d’enseignement. La première qualité d’un bon enseignant est de montrer l’exemple dans sa manière de s’adresser et de respecter le patient. Si l’exemple qu’il montre est de faire une visite ou une consultation à vingt-cinq, ce n’est pas un bon enseignant. De plus, que peut on apprendre à vingt-cinq ? Un bon enseignement se fait à trois : patient, médecin et étudiant. Quatre, à l’extrême rigueur. Mais pas plus. Et quel que soit le nombre, on doit demander l’autorisation du patient.

Si le patient ne veut pas faire partie de notre formation il peut aller en clinique (d’accord ce n’est pas toujours possible).

Là encore, vous faites erreur. Un patient a toujours le droit de refuser qu’une personne l’examine plutôt qu’une autre. Il a le droit de demander à voir une seule personne (l’interne, l’étudiant ou le chef) car cela encore, cela fait partie des obligations des médecins : le patient a le choix de celui/celle qui le soigne – et en particulier il a le droit de refuser telle ou telle personne. Et on n’a pas à exercer de pression sur lui. On peut lui répondre : « nous n’avons que ce médecin à vous proposer » (si c’est la vérité) et il peut le refuser, mais on ne peut pas lui imposer un médecin. Si le patient est bloqué, l’obligation du médecin est alors de s’asseoir et de négocier pour trouver une solution praticable pour tout le monde (et 99 fois sur cent, quand on cherche ensemble, on trouve !!!)

Le fait d’être dans un CHU n’y change rien. On vous laisse penser que (et on se comporte comme si) les patients de CHU doivent se soumettre aux diktats des chefs (ou de quiconque) mais ce n’est pas vrai. C’est un abus de pouvoir, et quand on passe la frontière pour aller en Belgique, aux Pays-Bas ou au Royaume-Uni, ce n’est pas du tout comme ça qu’on procède.

Après pour tous les gestes invasifs le refus peut se comprendre plus facilement. C’est dur de savoir où mettre la limite de ce qu’on peut "imposer" toute proportion gardée (on impose jamais dans les faits).

Et c’est ici qu’on touche à l’éthique : ce n’est pas au(x) médecin(s) de décider si un refus est "compréhensible" ou "acceptable" ou non. Le respect du patient impose que son consentement soit systématiquement obtenu, mais aussi que ce consentement peut être retiré à tout moment. Ca ne dispense pas le médecin d’avoir à le soigner. Autrement dit : si un patient ne veut pas que je l’examine, je dois quand même le soigner s’il me le demande, et je dois négocier avec lui les gestes qu’il m’autorise à faire ou non. Je ne peux pas exercer un chantage du genre "Si vous ne me laissez pas faire, allez vous faire soigner ailleurs". Cela aussi est contraire à l’éthique. Et c’est parfaitement compréhensible : est-ce que vous refuseriez de soigner une personne muette, ou dans le coma, ou ne comprenant pas le français (ou ne le parlant pas) ? Non. Vous chercheriez de toute manière à la soigner. Vous la prendriez comme elle est. Eh bien il en va de même pour un patient qui ne vous donne pas des informations ou des autorisations. Un patient qui refuse de parler ou de se faire examiner complètement (il peut vous autoriser à ausculter ses poumons, mais sans le déshabiller, par exemple) a quand même le droit d’être examiné et soigné. C’est plus compliqué, mais les patients ne sont pas là pour faciliter le travail des médecins, ce sont les médecins qui sont là pour soulager les patients.

Par ailleurs je suis actuellement en gériatrie dans un service de post-op. Les patients sont confus dans 30% des cas, le toucher rectal (TR) est donc obligatoire à l’entrée.

Pourquoi "obligatoire" ? Pour définir s’ils ont une raison digestive ou urinaire d’être confus ? Et s’ils ne le sont pas, pourquoi le TR serait-il obligatoire ? Là, vous touchez du doigt (c’est le cas de le dire) une notion importante : les examens « obligatoires » ne sont jamais obligatoires. La radio pulmonaire systématique à l’entrée était obligatoire jusqu’à ce qu’on réalise qu’elle coûtait cher et n’apportait rien. De même un TR peut être remis à plus tard si un patient est capable de répondre aux questions. Il est plus justifié si le patient est confus. Mais pourquoi serait-il obligatoire en post-op ? Pour donner quelle information ? C’est le genre de geste qui doit périodiquement être réévalué. S’il ne l’est pas, c’est parce que les médecins ne se posent pas la question. De sorte que le caractère « obligatoire » est tout simplement une habitude, mais pas le produit d’une nécessité clinique. Or, les patients n’ont pas à subir les « habitudes » des médecins. C’est contraire à l’idée d’une médecine rationnelle, scientifique et adaptée à chaque patient – ce qui est la tendance actuelle, partout… sauf en France.

Donc on nous demande à l’entrée de voir un patient confus qui vient de se faire opéré qui est souvent mal, de l’interroger et de faire une examen complet (au moins une heure), puis un ECG, puis le toucher rectal (après l’avoir déjà "embêté" pendant une heure). Quand le patient est confus, a des hallucinations et refuse déjà qu’on l’examine, on le fait. Parce qu’il est confus et n’est pas vraiment en état d’émettre un avis réfléchi, faire le tr me gêne beaucoup quand même, on cherche justement à enlever la confusion mais quand même. Faire un TR à une personne franchement pas consentante...

Oui, je comprends votre gêne . Et elle traduit bien le problème : vous faites un geste dans de mauvaises conditions, un geste qu’on vous impose sans vous apprendre quand le faire pour qu’il soit moins gênant pour vous et pour le patient. C’est une violence, il n’y a pas d’autre mot. Ce qui fait que c’est une violence, c’est qu’il est imposé.
Or, un geste qu’on fait dans la gêne (du patient, du soignant), ne peut pas être une source d’informations fiable : on le fait mal, vite, de manière maladroite.

Les questions que tout « chef » responsable devrait se poser sont celles-ci :
Je demande à mes étudiants de faire un toucher rectal systématique. Est-ce utile ? Est-ce aux étudiants non supervisés de le faire ? Ne dois-je pas leur enseigner comment le faire pour qu’ils ne soient pas gênés et le patient non plus ? Puis-je le remplacer par autre chose ? Peut-on faire en sorte qu’il ne soit plus systématique, mais qu’on le fasse devant des symptômes précis ou dans des circonstances spécifiques ?

C’est ça la médecine : toujours interroger et raffiner son comportement, ses gestes, et ne pas en rester à des « habitudes », qui n’ont strictement aucun intérêt pour le patient. ON DOIT TOUJOURS AGIR DANS L’INTERET DU PATIENT – et le premier intérêt du patient est : « D’abord, ne pas nuire » (autrement dit : d’abord ne pas faire de geste inutile ou superflu !!!!)

Je suis revenu une fois vers mon chef sans avoir fait le TR, je me suis fait engueuler (gentiment). Je débute ça me choque maintenant (à raison, à tort ?) je me suis dit que ça ne me choquerait plus dans quelques années (à raison, à tort ?).

Et là, vous voyez que non seulement on impose un geste brutal au patient, mais en plus il est brutal pour vous (vous êtes gêné) et on vous engueule si vous ne l’avez pas fait. C’est contre-productif (puisqu’on ne vous a pas expliqué l’intérêt et les bonnes circonstances/manières de le faire) et c’est antipédagogique (puisqu’on vous engueule, ce qui n’a jamais été une bonne manière d’enseigner).
Et j’espère bien que dans quelques années vous continuerez à trouver ça anormal, car ça l’est !!!!

Comme vous le voyez, vous soulevez des questions importantes, et qui ne peuvent pas être contournées. Le fait que vous vous les posiez montre que vous avez le souci de faire bien, et de manière respectueuse. Mais comme tous les étudiants mis dans une situation d’enseignement par la contrainte et l’intimidation, il y a des choses que vous ne remettez pas en question. Or, rien de ce qu’on vous *oblige* à faire n’est indiscutable. Tout peut et doit être remis en cause et réexaminé périodiquement. Vous n’êtes JAMAIS OBLIGE d’examiner un patient si vous pensez ne pas devoir le faire. Un médecin peut parfaitement décider de ne pas examiner un patient, il n’a pas à imposer aux étudiants de le faire (forcément moins bien) à sa place. C’est un double abus de pouvoir et ce n’est pas du tout pédagogique.

En pratique, je comprends parfaitement qu’il soit difficile pour vous de remettre en cause tout ça ouvertement, car si les médecins à qui vous avez affaire sont obtus, ils vous puniront de ne pas « obéir aux ordres ». Mais ça ne veut pas dire que vous devez obéir aveuglément (il y a de multiples manières de résister, c’était vrai quand j’étais étudiant, ça ne l’est pas moins aujourd’hui) et ça ne veut pas dire vous ne pouvez pas débattre de ce qui vous gêne, avec d’autres soignants, avec vos camarades, ou avec des interlocuteurs divers et variés qui vous donneront leur point de vue.

Marc Zaffran/Martin Winckler

Vingt-quatre heures plus tard, cet étudiant m’a répondu.
Voici sa réponse et ma (courte) réplique.

Bonjour, merci de m’avoir répondu.

Je tiens juste à préciser que je me doutais ne pas être dans le vrai. Je grossissais le trait pour que vous me répondiez directement sur mes doutes (je ne voulais pas tourner autour du pot) et justement pour faire avancé la réflexion.
Je précise juste ça car je pense que les lecteurs vont me juger peut être violemment. Je partais au casse pipe en disant tout bas ce que certains pensaient, ce qu’on m’avait dit par ailleurs, ce sur quoi je n’avais pas encore eu le temps de bien faire le point (je ne suis qu’à mon 5ème mois d’externat), bref j’espère que l’on comprendra que je ne défendais pas mon point de vue avec vigueur mais que j’étais au contraire ouvert au débat. C’est d’ailleurs pour cela que je vous écris.
A part pour la consultation publique on demande, on demande systématiquement, je reconnais juste que ce n’est pas parce qu’on demande qu’on laisse le choix. Surtout avec des patients parfois fragiles, qui peuvent difficilement refuser (abus d’autorité), et qu’on peut insister lourdement. Honnêtement ce serait long de recueillir pour chaque petite chose un consentement éclairé, les hôpitaux français manquent de moyen, manque de temps.
Mais c’est sans nul doute un point qui est améliorable.

Je pense qu’il y a du mieux, vraiment beaucoup de mieux, par rapport à ce que vous avez connu. Les chefs que j’ai pu côtoyer sont vraiment très humains, ils se mettent à la hauteur du patient, leur parle longuement etc. Cependant parfois ils sont obligés de les forcer un peu "pour mieux les soigner". Exemple typique le syndrome post chute, là on les force presque à marcher, je l’avoue. Mais sinon ils vont rester au lit jusqu’à leur mort, l’alitement chez une personne âgée est vraiment à éviter.
Je comprends qu’allait contre un patient est choquant mais le laisser mourir aussi non ? Le laisser confus avec son fecalome aussi ?
La limite est parfois difficile à établir.

Pour l’histoire du chu, vous avez raison. Mais je trouve toujours que c’est égoïste de profiter de la qualité d’un chu, gratuitement, sans même vouloir voir un interne mais uniquement les chefs. Si tout le monde s’y met les services vont mal tourner.
J’ai une très bonne amie qui est en échange au Québec (elle est à sa deuxième année d’externat). Elle fait toute seule les consultations, elle voit seule des patients qui ne seront jamais revu par qq d’autre (aux urgences) ou pas revu avant l’opération (en ortho) elle est amenée à prendre énormément de décision, elle fait les prescriptions, elle est parfois très stressée le soir quand elle rentre chez elle en ayant pris telle ou telle décision. Tout ça est supervisé par les médecins, évidemment, ils ne sont pas souvent présents pour autant. Après 6 mois elle ne manque vraiment pas d’anecdote de ses coexternes où des dysfonctionnements, parfois grave, ce sont produits à cause du manque d’expérience des externes (je ne sais plus quel est le terme adéquat au Québec)
Cela m’étonnerait que les patients soit au courant de la faible pratique de ces étudiants. C’est positif pour les étudiants qui apprennent vites, sont obligés d’être autonome et ne passent pas leur temps à ranger des examens complémentaires, mais pour le patient dans des mains si inexpérimentés, je ne sais pas.
Enfin au sujet du toucher rectal : on m’a dit Tr obligatoire parce que :
1. Nos patients ont toujours de nombreux facteurs de risque à la confusion. (de part leur âge, le post op, la comorbidité)

2. Le fecalome est un facteur déclenchant et même s’ils ne sont pas confus on veut éviter qu’ils le deviennent.
3. Ils sont sous morphine qui ralentit le transit.

On m’a expliqué les raisons, les circonstances qui nous poussent à le faire, il est obligatoire de par notre recrutement de patient. On explique consciencieusement aux patients pourquoi on doit leur faire.
Par ailleurs les seuls patients qui refusent catégoriquement sont les patients déments ou confus à qui on peine à expliquer l’intérêt de l’examen.
Cela n’en est que plus difficile pour nous, c’est surtout ces patients qui doivent avoir un toucher rectal.

Vous pouvez publier mon précédent message mais j’aimerai bien que vous le tempériez par les éléments que je présente ici (surtout au sujet du TR, aussi sur le fait qu’il y a sans doute des progrès)

Cordialement.
X

Bonjour
Tout ce que vous ajoutez enrichit encore le débat, et je vous remercie de nouveau. Je vais l’intégrer à la suite de l’article.
Je ne pense pas que le Québec soit "parfait" ou "pur", mais l’approche de ces problèmes est très différente dans les pays anglo-saxons (et au Québec, qui bénéficie de leur influence). Cela étant, les dysfonctionnements doivent être dénoncés partout. Si votre amie veut contribuer en me décrivant ce qu’elle a vu, je le publierai aussi (de manière anonymisée, toujours). Car le problème n’est pas spécifique à la France, même s’il est particulièrement aigu là-bas. Je vous crois quand vous dites que beaucoup de médecins que vous croisez sont des gens bien. Et j’en suis sûr. Leur possibilité de faire changer les autres reste cependant limitée en raison du poids des habitudes, des institutions, de la hiérarchie. Et cela, personne ne veut le nommer non plus.

MW

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